La structuration du travail domestique, une expérience pilote réussie dans 3 Wilayas de la Mauritanie

Considéré jusque-là comme de « l’esclavage domestique » et jugé comme une activité dégradante, le travail domestique est en réalité un métier à valoriser. C’est ce que le Bureau International du Travail (BIT) et ses partenaires de mise en œuvre ainsi que ses partenaires institutionnels viennent de prouver à travers l’expérience pilote menée depuis près de deux ans au Hodh El Gharbi, en Assaba, au Guidimagha et à Teyarett à Nouakchott. 

Lancé en 2022 pour une période de quatre ans, le projet « IHTIRAM » initié par le BIT, en partenariat avec l’Instance nationale de lutte contre la traite des personnes et le trafic des migrants (ci-dénommé l’Instance) et le Ministère de l’Action Sociale de l’Enfance et de la Famille (MASEF), a prouvé sa pertinence au cours d’un atelier de restitutions des résultats d’évaluation à mi-parcours de ses actions.

L’atelier qui a eu lieu le mercredi 30 juillet 2025 à Kiffa, a été animé par l’experte en évaluation, Oumoul Khairy Bâ, en présence du Directeur régional du MASEF, Mohamed Salem Ould Ahmed, du représentant de l’Instance, Tfeil Ould Sidi Haiba, du Coordinateur du projet, Aboubekrine Dieng du BIT, du consultant Niang Mamadou, et de plusieurs participants venus d’Aïoun et de Kobeni (Hodh Gharbi), Kiffa (Assaba), Teyarett (Nouakchott) et Sélibaby (Guidimagha).

La domestique ou bonne, ou d’une manière plus familière « chaghala ou boya », est en réalité un personnage central dans la vie de toute famille. C’est elle qui s’occupe de la garde des enfants, de la propreté de la maison et de sa sécurité, de la préparation des repas, du traitement des hôtes, une fois que le père et la mère de famille se seraient rendus à leur travail. Elle est aussi dépositaire du secret du foyer. 

Seulement, la fonction de domestique est restée longtemps dévalorisée, son statut inexistant dans la législation nationale, d’où les nombreux abus et violences, le non-respect des droits fondamentaux de ses travailleurs et son traitement comme le plus bas des métiers. En fait, le travail domestique est exercé en général par les femmes, filles et garçons, issus des couches les plus pauvres et les plus défavorisées de la société, certains venant de ménages victimes des séquelles de l’esclavage par ascendance.

« IHTIRAM », un projet de valorisation du travail domestique

Financé par le « Bureau Of Democracy, Human Rights and Labor (USDOS) du Trésor américain pour un montant de 2.635.689 dollars U.S, le Projet « L'autonomisation au service de la résilience : les survivants luttent contre l'esclavage et la discrimination fondée sur l'esclavage par le biais de partenariats sociaux sectoriels et d'une collaboration sous-régionale « Ihtiram » a été lancé le 23 septembre 2022 en Mauritanie et au Niger et s’achèvera le 31 août 2026. Il fait partie des nombreux projets à travers le monde que l’administration américaine sous Donald Trump avait décidé de suspendre. Stoppé net dans sa mise en œuvre en avril 2025, une petite fenêtre de quelques mois lui a été ouvert pour mener quelques activités. Parmi elles, l’atelier de restitution de l’évaluation de Kiffa.

Un rapport enrichi avec les débats

Le rapport d’évaluation présentée par l’experte Oumoul Khairy Bâ a porté sur le contexte du projet, ses objectifs et ses résultats. Le projet « IHTIRAM » a porté sur les aspects liés à la sécurité et l’équité au travail, l’accès aux services de base, à la justice et aux moyens de subsistance. Il s’est focalisé sur le travail domestique et la boucherie, avec des ambitions dans les secteurs de la pêche traditionnelle et l’élevage.

Le partenaire principal du projet est l’Union Régionale des Coopératives et Associations Féminines du Hodh El Gharbi (URCAFHG) qui dispose d’antennes dans les zones du projet et joue le rôle de patronat local dans le dialogue social sur le travail domestique.

Parmi les résultats du projet, qui a porté exclusivement sur les femmes et les filles domestiques, l’instauration d’un dialogue social tripartite entre les employeuses, les employées et les facilitateurs qui représentent la partie Etat. 

Le projet œuvre à étendre la protection sociale aux domestiques, mais aussi à leur accès ainsi que celui de leurs enfants à l’état-civil, à la santé, à la sécurité au travail et à l’autonomisation économique. 

D’autres actions sont aussi au programme, comme la formation au profit des femmes domestiques et d’une dizaine de bouchers vivant en milieu rural. 

Un dialogue social réussi

Depuis son lancement, le projet « IHTIRAM » a permis la création d’un bureau des employeuses, d’un bureau des employées et d’un bureau des facilitatrices dans les zones d’intervention. Chacun des bureaux est composé de 5 membres élus. Des dialogues directs entre employeuses et employées, sous la supervision des facilitatrices, ont permis de mettre sur pied des mini-conventions où les droits et les devoirs de chaque partie ont été consensuellement établis. 

Chaque femme désirant recruter une domestique s’adresse au bureau des employeuses ou celui des employées qui disposent de listes de candidates au travail domestique. Le recrutement est dûment consigné dans un registre, et les termes du contrat fixé en présence des deux parties, salaire, horaires de travail, jours de repos et de congé (exigence de l’employée) et côté employeuse, respect des horaires de travail, hygiène et bonne tenue de la maison, respect mutuel.

La méthode, selon les différentes parties déjà constituées, a permis d’enregistrer un grand succès aussi bien du côté des familles désireuses d’avoir une domestique qu’auprès des travailleuses domestiques qui se sentent plus en sécurité et en confiance.

Le BIT, mais aussi les différents bureaux constitués dans les Wilayas pilotes ont réclamé sa mise à l’échelle. Ce qui fera dire à Niang Mamadou, le consultant qui a accompagné tout le processus, qu’un atelier régional était prévu pour élargir le projet avant sa mise à l’échelle nationale.

Seulement, le projet se trouve plombé par deux facteurs : la menace de suspension du projet et la non ratification par la Mauritanie de la Convention 189 de l’OIT de 2011 sur les travailleurs et les travailleuses domestiques.

Nonobstant ces deux défis, les organisations socioprofessionnelles ainsi constituées ont exprimé leur engagement à poursuivre cette expérience novatrice qui garantit les droits aussi bien des maîtresses de maison que des domestiques.

Cheikh Aïdara