L’imminence de la mise à la retraite du général Elbourour, actuel Directeur Général de la Sûreté Nationale, a suscité de nombreuses spéculations quant à l’identité de son successeur. Les débats se multiplient, certains plaidant pour une « normalisation » consistant à confier cette responsabilité à un policier de carrière. Mon avis, fondé sur une analyse attentive de l’histoire sécuritaire récente de notre pays et des défis qui se présentent aujourd’hui, est que la Mauritanie doit maintenir un officier militaire à la tête de la DGSN.
Depuis plus de trente-cinq ans, la DGSN a été dirigée par des officiers supérieurs de l’armée. Cette continuité n’est pas le fruit du hasard mais celui d’un choix stratégique mûrement réfléchi, qui a permis de préserver la cohésion de l’appareil sécuritaire et de faire face avec succès à des crises majeures : flambées de criminalité transfrontalière, infiltration de groupes extrémistes, vagues de migration irrégulière et tensions urbaines. Le profil militaire s’est imposé comme un gage de discipline, d’autorité et de coordination interservices, trois éléments sans lesquels aucune politique de sécurité intérieure ne peut être efficace.
Les officiers généraux, par leur formation et leur expérience, maîtrisent les principes de planification stratégique et de conduite d’opérations complexes. Leur culture de la décision, forgée dans les écoles de guerre et sur le terrain, leur permet d’anticiper les menaces, de réagir rapidement aux crises et d’imposer des mesures d’ordre dans des situations critiques. Dans le contexte sous-régional actuel ; marqué par l’instabilité chronique au Mali, la persistance des groupes armés dans le Sahel et la montée des trafics illicites ; la Mauritanie ne peut se permettre de fragiliser l’une de ses principales institutions sécuritaires en expérimentant un modèle de commandement dont la viabilité reste à prouver.
À ces considérations stratégiques s’ajoute un constat objectif sur l’état actuel de la police nationale. Malgré des efforts indéniables de professionnalisation, ses rangs restent traversés par des pratiques problématiques : la discipline est jugée insuffisante et le système du « service payé » a contribué à installer une culture de monétisation des fonctions de police, où les rentrées sont partagées entre subordonnés et chefs, au point que l’ensemble de la hiérarchie en porte la responsabilité collective. Cette situation, combinée aux rivalités internes, aux jeux de clans et au lobbying entre gradés, compromet la cohésion et la performance de l’institution. Placer un militaire à la tête de la DGSN permet de surplomber ces tensions, de briser les inerties, d’imposer une discipline extérieure et de restaurer la confiance du public dans l’impartialité et l’efficacité de la police.
Ce choix aurait en outre un impact psychologique fort : il réaffirmerait la volonté de l’État de considérer la sécurité intérieure comme une priorité nationale, et non comme une simple administration. Il consoliderait la complémentarité entre les différentes forces ; armée, gendarmerie, garde et police ; en assurant une chaîne de commandement fluide et respectée. Il garantirait également la neutralité de la DGSN vis-à-vis des influences politiciennes, en préservant l’institution d’une instrumentalisation qui pourrait compromettre sa mission.
Dans ce contexte, il apparaît que le successeur du général Elbourour doit être choisi avec la plus grande attention. Parmi les généraux qui, selon ma connaissance des potentiels prétendants, présentent le profil le plus solide pour diriger la DGSN avec l’autorité et la compétence requises, deux noms se détachent : le général de division Hamada Ould Boyda, actuel chef d’état-major de l’armée de l’air et personnalité réputée proche du Président de la République, dont l’expérience opérationnelle et la rigueur de commandement sont unanimement reconnues ; et le général de brigade Mohamed Lemine Ould Zamel, intellectuel accompli, bardé de diplômes, conseiller auprès du Premier ministre, qui combine une compréhension fine des enjeux de sécurité nationale et une culture administrative solide.
Confier la DGSN à l’un de ces deux officiers ne serait pas seulement un choix de continuité : ce serait un acte de responsabilité stratégique, visant à consolider les acquis sécuritaires de la Mauritanie, à préserver sa stabilité et à renforcer la confiance des citoyens. Dans un environnement régional incertain, l’État se doit de privilégier la prudence, l’efficacité et la cohérence de sa politique sécuritaire.
Haroun Rabani [email protected]