A propos de l’affaire de Ouadane: Réaction aux élucubrations d’un journaliste de Le7tv

ven, 07/05/2021 - 00:04

Sous le titre provocateur à souhait « Mauritanie-la honte : Le dernier pays au monde où l’esclavage existe encore », Abderrazzak Boussaid, un « journaliste » d’un obscure média marocain, Le7tv, verse dans le sensationnel donnant libre cours à une imagination débridée qui transgresse, allègrement, l’éthique journaliste. Illustrations.

Comment un journaliste qui se respecte peut-il fonder un argumentaire censé convaincre (en s’adressant à la raison) ou persuader (en ciblant les sentiments) sur un « fait » qu’il n’a pas lui-même vérifié ? « Un homme a offert » ! Même pas la précaution journalistique habituelle consistant à se couvrir par l’usage du conditionnel, même si l’on rapporte le soi-disant fait à une ONG locale. A des milliers de kilomètres du lieu supposé de l’histoire, c’est parole contre parole. Sauf si l’objectif inavoué n’est pas d’informer mais de lâcher l’un de ces vomis qui cherchent, de temps à autres, à nuire au climat de sérénité qui caractérise les relations entre la Mauritanie et le Maroc depuis l’arrivée au pouvoir de Mohamed Ould Cheikh Ghazouani.

Quand on écrit sur un pays, quel que soit le sujet traité, la crédibilité tient non pas à un alignement de mots « Cette pratique, d’offrir « une esclave en dot », est encore aujourd’hui une tradition respectée dans le nord-est de la Mauritanie », « Les femmes haratines sont surtout visées », mais à la réalité qu’ils rapportent. Sauf si le papier en question sert de noirs desseins, ici ou ailleurs.

Non, Monsieur le « journaliste », les «Maures Noirs» ne sont pas des « tribus haratines » mais une composante essentielle de la majorité arabe de la Mauritanie. Leur rôle et place ne diffèrent en rien, historiquement parlant, de ceux qu’ont leurs cousins germains dans les tribus du Grand Sahara dont certaines font partie aujourd’hui des sujets de Sa Majesté. Pour preuve, je vous renvoie à la thèse « L’esclavage au Maroc : des Saâdiens au début des Álaouites (entre Ahmed al-Mansr̄ et Mulāy Ismāìl), XVIe-XVIIIe siècles, par Abdelkader Tellat.

Non, Monsieur, les «Maures Blancs», comme vous dites, versant dans cet acharnement à vouloir diviser la majorité arabe en Mauritanie, n’ont pas pris le contrôle de la région dans un passé pas si lointain !… » La présence arabe est séculaire et, faut-il vous le rappeler, son histoire est fortement imbriquée avec la vôtre, ne serait-ce qu’en ce qui concerne l’islamisation de cette partie du monde arabe.

Non, la Commission Nationale des Droits de l’Homme (CNDH) n’est pas si « mal-nommée » que ça, sinon, vous diriez la même chose de sa consœur marocaine, le Conseil national des droits de l’Homme (CNDH), créé dans des conditions similaires de protection de la dignité humaine, selon les termes du Dahir n° 1-11-19 du 3 mars 2011.

L’énumération des mesures et lois prises par la Mauritanie pour éradiquer un phénomène (l’esclavage) que la planète tout entière a connu, et dont les manifestations modernes ne lui sont pas propres, loin s’en faut, est tout à son honneur. L’arsenal juridique mis en branle depuis 1981 est la preuve que l’Etat ne fait pas de discrimination entre ses citoyens et que des pratiques marginales, si elles existent, ne peuvent lui être imputées.

Non, Monsieur le « journaliste », la Mauritanie n’a pas le monopole d’un phénomène qui, dans ces manifestations modernes, concerne aujourd’hui 40 millions de personnes, soient dix fois la population de notre pays, selon l’Organisation internationale du travail (OIT) et la Rapporteuse spéciale sur les nouvelles formes d’esclavage.

Les statistiques que vous livrez sur « l’esclavage en Mauritanie » sont la meilleure preuve de sa dénégation en tant que pratique. Dites-nous, « Grand journaliste, s’il en existe tant, ce n’est pas un « cas », tous les deux ou trois ans, qui sera « découvert » et exposé à l’opinion publique internationale, comme un trophée, mais ils courraient les rues de grandes villes comme Nouakchott et Nouadhibou. Mais ce serait aussi le cas de villes à configuration sociodémographique similaire comme Dakhla et Laayoune !

Les visages de la misère que vous essayez de coller aux Harratines en Mauritanie ne sont pas la réalité de tous les jours. Ils ne sont pas désignés uniquement, comme vous l’insinuez, aux « basses besognes » mais il y en a qui ont réussi, jusqu’à devenir ministres, hauts gradés de l’armée, médecins, ingénieurs, avocats, commerçants. Le Marché de la Socogim communément appelé « Msid El Maghreb » qui ravitaille tout Nouakchott, et même l’intérieur du pays, en produits alimentaires (fruits et légumes) est entre leurs mains. Renseignez-vous auprès de vos camionneurs qui y déchargent leurs marchandises chaque jour.

La chute de votre article est une insanité dont vous seul êtes capable, car elle dénote de votre légèreté d’esprit : «  Combien de temps faudra-t-il à la Mauritanie pour opérer un changement de mentalités…?…Ou faudra-t-il qu’un grand pays voisin du nord y entre pour faire le ménage, et fasse libérer les derniers esclaves sur terre ?!… (À bon entendeur salut)

Le Maroc auquel vous faites allusion (car il ne peut s’agir que de lui, connaissant votre hostilité à l’Algérie) à d’autres chats à fouetter que de suivre l’avis, mal avisé, d’un donneur de leçon dégénéré. Question : Nos frères marocains seraient-ils prêts à s’engager dans une campagne pour « libérer » de chimériques esclaves, alors qu’eux-mêmes, en tant que « sujets » de Sa Majesté, connaissent les limites de leur liberté de penser et d’agir ?

C’est l’occasion de dire ici, à ceux qui surfent sur des idées comme les vôtres, qu’ils font fausse route. Hollande avait fait son mea culpa en écrivant « Un président ne doit pas dire ça ». Cela doit servir de leçon à d’autres. A Vous et à nos « militants des droits de l’homme ». La retenue – le sens de la mesure – est une vertu essentielle pour qui veut atteindre de nobles objectifs, et qui sait devoir parcourir un long, très long chemin, pour y arriver.

Le discours parle à la raison. Notre déraison privilégie notre être. Elle est « raison d’être » d’une ambition dévorante, entretenue par les voluptés d’une action-parole qui se nourrit de la confusion.

La raison d’un combat juste est là, à portée de main. Elle n’a pas besoin de Genève, Rome, Bruxelles, Paris ou Washington pour être menée.

Les mauritaniens ont besoin de justice, d’équité et de démocratie ; les haratines sont, dans leur écrasante majorité, « les damnés de l’opulence », pour emprunter cette expression à Georges ELGOZY. C’est la conséquence directe d’un asservissement de masse pratiqué sur plusieurs siècles, comme dans plusieurs autres contrées de ce vaste monde, et dont les séquelles ont pour nom « pauvreté » et « ignorance ». L’effort de l’Etat, à travers le CDHAH (Commissariat aux droits de l’homme et à l’Action Humanitaire), ou encore la nouvelle structure « Taazour », est peut-être insuffisant, mais l’approche est la bonne. Elle gagnerait à impliquer des ONG agissant de bonne foi pour aller plus vite vers le but recherché.

Le rôle du gouvernement est d’encourager une discrimination positive qui diminue les déséquilibres sociaux, sans toucher cependant aux droits des autres.

La vérité du passé ne doit pas se transformer en mensonge du présent. Si l’on vous concède que l’esclavage existe, en quelques proportions – ou exceptions – qu’une investigation gouvernementale (ou indépendante) devrait pouvoir déterminer, il faut aussi vous dire que le « commerce triangulaire », dans sa version moderne, ne doit plus être entretenu par des monstruosités comme : « les esclaves sont encore castrés par leurs maîtres », « les femmes serviles sont abusées sexuellement», « les  enfants des esclaves sont vendus ou cédés » ! L’Européen, toujours en manque de sensations fortes, peut encore croire ces contes d’affect, qu’on lui ressasse comme des contes de fées, mais le « héros » que cherche à devenir celui qui véhicule de telles contre-vérités, condamné à vivre ses perceptions et ses émotions provoquées par l’illusion d’avoir le monde extérieur de son côté, sera trahi par un pathos transformé en impression de « grandeur » et non en réalités crédibles.

Mohamed Ould Brahim