Emploi domestique, vers un plan de professionnalisation et de valorisation

ven, 28/07/2023 - 23:25

Longtemps considéré comme dégradant, exclu du système formel du marché du travail et sans cadre juridique qui le protège, l’emploi domestique non qualifié en Mauritanie est en phase de professionnalisation et de valorisation. C’est ce que l’atelier des 27 et 28 juillet 2023, organisé à Nouakchott sous l’égide du Ministère de l’Action Sociale, avec l’appui du Bureau International du Travail (BIT) a abordé, en présence des acteurs concernés.

Des « boys » et des « bonnes » diplômés ! Cette perspective sera bientôt une réalité en Mauritanie, dans un marché de l’emploi domestique qui absorbe des milliers de femmes et d’hommes, masses informes et non reconnues. La professionnalisation du secteur est en cours d’élaboration sur la base d’une phase pilote lancée en 2022 et qui est en cours à Kiffa, Aïoun et Teyarett.

L’atelier des 27 et 28 juillet 2023 sur « le développement des compétences professionnelles dans les métiers du secteur de l’emploi domestique », organisé à Nouakchott par le Ministère de l’Action Sociale, de la Famille et de l’Enfance (MASEF), avec le concours du BIT, vise à promouvoir le travail décent, la santé et la sécurité au travail, ainsi que l’amélioration de la gouvernance des relations de travail dans l’emploi domestique en Mauritanie.

La nouvelle stratégie de l’OIT

Dans son intervention, Mark Ninerola, Coordinateur national du Projet Bridge en Mauritanie, a précisé que « le 15 juin 2023, l’OIT lance une nouvelle stratégie pour assurer un travail décent aux travailleurs et travailleuses domestiques », dans un contexte marqué par l’augmentation de la demande mondiale dans ce secteur.

Il a exposé l’appel lancé par le Directeur général de l’Organisation internationale du Travail (OIT), Gilbert Hungbo, à l’occasion de la Journée internationale des travailleurs domestiques, le 16 juin 2023, demandant à tous les pays de ratifier la Convention 189 de 2011 sur le travail domestique. 

Cette stratégie au niveau mondial vise, selon lui, à fournir des statistiques dans chaque pays sur le nombre d’acteurs du secteur de l’emploi domestique et leur part dans le marché de l’informel, ainsi que les caractéristiques de ses acteurs, l’analyse du cadre juridique et réglementaire régissant le secteur, et la mise en œuvre d’un plan d’action de réalisation des objectifs visés.

Mark Ninerola a indiqué que la contribution des travailleurs domestiques est souvent sous-estimée, rappelant le rapport publié en 2021 par l’OIT, révélant que 81% des travailleurs domestiques étaient employés de manière informelle, en raison de lacune dans la couverture juridique ou dans sa mise en œuvre.

Pourtant, souligne-t-il en substance, leur rôle dans les ménages, dans la société et dans l’économie est indéniable. Ils sont à la base des familles, pour qui ils préparent à manger, prennent soin de leur domicile et gardent leurs enfants, s’ils ne les élèvent et les éduquent.

Etat des lieux du secteur domestique en Mauritanie

Avec le concours du BIT, le MASEF accompagne déjà les associations de femmes travailleuses et de ménages employeurs dans trois Moughataas pilotes, Teyarett (Nouakchott-Est), Kiffa (Assaba) et Aïoun (Hodh Gharbi) dans un processus de concertation et de dialogue social. Cette démarche pourrait contribuer à renforcer la cohésion sociale et l’inclusion socioéconomique des couches de la population.

Dans cette perspective de mise à échelle de l’expérience, une étude qualitative de diagnostic est en cours pour établir l’état des lieux en matière de principes et droits fondamentaux au travail (PDFT), identifier et analyser les contraintes et les opportunités, identifier les préoccupations, besoins et priorités des acteurs, ainsi que les opportunités et pistes d’intervention.

Valoriser le métier de domestique

L’analyse en cours va permettre de mieux comprendre les besoins en compétences dans les activités liées à l’emploi domestique. Elle devrait déboucher sur la valorisation du travail dans le secteur et un moyen d’extirper de la précarité les populations exerçant les métiers domestiques.

Selon Mark Ninerola, « il s’agit d’élaborer et de mettre en œuvre un plan de développement des compétences pour renforcer les capacités des personnes déjà en activité » et évoluer vers la formalisation du métier de domestique pour aboutir à une reconnaissance du secteur dans la nomenclature des emplois reconnues en Mauritanie.

Autonomisation des acteurs de l’emploi domestique

Mme Lebneik Mint Soulé, Directrice de la famille, de la promotion féminine et du genre, au niveau du MASEF, a fait une présentation sur l’autonomisation. Elle a mis l’accent sur l’importance de l’autonomisation des femmes en tant qu’actrices du développement, appelant à surpasser les obstacles qui entravent cette autonomisation, tels que l’analphabétisme, la pauvreté, la déperdition scolaire, le poids des traditions, le non accès aux financements et le mariage des enfants, entre autres.

Pour surmonter ces obstacles, des mesures doivent être prises selon elle, tels que la culture des droits, la lutte contre les violences faites aux femmes, l’accès aux tribunaux, la formation professionnelle et le renforcement de l’entreprenariat féminin.

Mme Lebneik a ensuite énuméré les différentes stratégies mises en place par le MASEF pour assurer l’autonomie économique et sociale des femmes, la stratégie nationale de promotion féminine, la stratégie nationale d’institutionnalisation du genre, la stratégie nationale de protection sociale, etc.

Elle a par la suite présenté des données sur l’évolution de la population mauritanienne de 1965 à nos jours, avec une proportion plus élevée des femmes (50,5% de la population), le pourcentage des femmes dans le parlement, de O% en 1992 à 20,3% en 2016, avec un recul par rapport à 2013 (25,2%) et 2004 (22,1%), un fort taux de chômage des femmes, 23 % contre 11% d’hommes en milieu urbain, 10,5% contre 5,8% en milieu rural.

Des compétences pour lutter contre le travail forcé

Henri Ebelin du bureau BIT en Mauritanie a expliqué que le travail domestique est plus exposé au travail forcé qu’aucun autre secteur, avançant des facteurs de risques liés aux carences juridiques, à l’application des lois et à la gouvernance politique. Il a aussi avancé des facteurs liés à la migration, aux modes de recrutement et à la nature informelle du secteur domestique, mais aussi la pauvreté, la problématique liée au genre et la vulnérabilité des employés domestiques souvent issus de milieux défavorisés.

C’est pourquoi, explique-t-il en substance, seules les compétences acquises peuvent prémunir les acteurs du secteur domestique aux risques liés au travail forcé. L’OIT a identifié, selon lui, trois moyens dans ce cadre, une sensibilisation sur les formes et risques d’exploitation au travail, la formation aux droits humains et aux droits du travail, entre autres.

En Mauritanie, a-t-il précisé, le projet Bridge a mis en place l’approche compétences à travers une étude qui a été lancée pour analyser le marché du travail domestique à Nouakchott, Kiffa et Aïoun en mettant en parallèle les compétences recherchées par les employeuses avec les compétences existantes au niveau des travailleurs, à travers le dialogue social.

Il devrait résulter de cette étude, un plan de développement des compétences conforme à la demande du marché du travail domestique.

Le plan pilote testé au cours des ateliers organisés a permis ainsi, selon Henri Ebelin de réunir 25 partenaires sociaux à Kiffa et 40 à Teyarett.

Cette première phase a ainsi eu pour résultat, l’élaboration d’une mini convention régissant les relations de travail dans l’emploi domestique, adopté par les employeuses et les travailleuses à Nouakchott et à Kiffa.

La deuxième phase en cours va porter sur la collecte des données à Nouakchott, Kiffa et Aïoun et la formulation d’un plan de développement des compétences (PDC).

Du travail domestique

M. Kassougué du bureau du BIT Mauritanie a donné une définition large du travail domestique qui englobe selon l’Arrêté 1797 du Ministère du Travail : « tout salarié embauché au service du foyer et des travaux attachés à la maison : boy, bonne, cuisinier, maître d’hôtel, nurse, berger, chauffeur, gardien, jardinier, etc. »

Citant les constats partagés, le travail domestique serait un travail non qualifié, ne nécessitant aucune compétence, ni formation spécialisée. Il n’est pas pris en charge dans l’offre de formation et d’emploi, il n’est soumis à aucune réglementation, livrant les employés aux humeurs de leurs employeurs. Les acteurs, en général des femmes et filles vulnérables, sont souvent issus de milieux serviles, de la migration ou de l’exode rural.

Les travailleurs domestiques doivent pourtant disposer de compétences avérées en matière de cuisine, de propreté et de soins pour enfant, ce qui requiert une formation, souvent acquise dans le tas au sein de leur famille d’origine. Mais la plupart des travailleurs domestiques mauritaniens disposent de peu de compétences.

La professionnalisation du secteur du travail domestique, selon Kassougué, va faire entrer les acteurs dans le salariat, donc la contractualisation formelle, à améliorer la qualité des services auprès des foyers et ainsi relever le niveau de rémunération des acteurs, grâce à un emploi diplômant ou certifié par un centre de formation reconnu.

Cette démarche, d’après lui, va injecter sur le marché de l’emploi, des travailleurs domestiques qualifiés, augmenter l’offre de formation dans le secteur, étendre géographiquement l’exercice d’un métier qui ne ferait plus honte et accroître la capacité organisationnelle des organisations socioprofessionnelles à mobiliser autour de la structuration et de la formalisation de la pratique du métier.

Partenaires de mise en œuvre

Le projet de développement des compétences professionnelles dans les métiers du secteur de l’emploi domestique mobilise, outre le MASEF et le BIT, d’autres acteurs, tels que le Ministère de l’Emploi, à travers l’agence Techghil, l’INAP, mais aussi le Centre de formation et d’autonomisation des femmes (CFAF), ex- Centre de formation et de promotion féminine relevant du MASEF.

Ouverture officielle

L’ouverture officielle de l’atelier sur « le développement des compétences professionnelles dans les métiers du secteur de l’emploi domestique » a été lancée par la Conseillère chargée du Genre au MASEF, en présence du conseiller juridique du ministère et de la directrice du CFAF.

Cette dernière, Mme Seyida Jeireb a présenté une communication sur son centre qui a été créé en 1974, avec 15 antennes régionales et des équipes de formation mobile. Le centre qui envisage d’intégrer une formation sur le travail domestique, à partir de la nouvelle stratégie, forme des jeunes filles, la plupart victimes de déscolarisation, dans 24 spécialités.

Cheikh Aïdara

Témoignages

Conseillère chargée du Genre

« Il faudrait organiser un nouveau dialogue social et procéder à la mise en œuvre du cadre juridique existant afin que tous les acteurs, employeuses et travailleuses, en soient imprégnés »

Vatimetou Mint Selman, représentante des employeuses de domestiques, Kiffa

« Cette stratégie vient à point nommé, car en général les ménages au niveau de Kiffa recrutent une bonne et se rendent compte après qu’elle ne connaît rien aux travaux ménagers et ne dispose d’aucune compétence. C’est pourquoi, il est nécessaire que les travailleurs domestiques, mais aussi les employeuses, soient formées car ces dernières ignorent également comment elles doivent traiter leurs employées, et empiètent souvent sur leurs droits. Depuis que l’annonce a été faite à Kiffa de l’existence de la cellule, mise en place par le MASEF et le BIT, les demandes affluent. Nous disposons d’un bureau composé de représentants des travailleuses, des employeurs et de l’autorité. Nous gérons les travailleuses, sur présentation de leur carte d’identité et nous savons pour quel ménage elles travaillent, nous les aidons dans la formulation du contrat du travail et nous pouvons suivre leur situation. Ce qui leur offre une garantie solide, et pour les employeuses de savoir à qui elles ont affaire. Ce n’est pas comme avant, où les familles ne savaient pas l’identité réelle de celles qu’elles engagent ».

Aïchetou Mint Bilal, représentante des femmes travailleuses domestiques, Kiffa

« Mon rôle est de sensibiliser les travailleuses domestiques, sur leur mission et son importance. Nous avons déjà commencé à sensibiliser dans les quartiers de Kiffa et nous demandons aux travailleuses de ne pas accepter un emploi sans passer par notre bureau. Nous enregistrons leur carte d’identité et leur numéro de téléphone dans nos registres, ce qui nous permet d’être informé de leur situation et en cas de différend avec leurs employeurs, nous les aidons à régler le problème. C’est une double garantie aussi bien pour les travailleuses que pour les employeuses. L’employeuse saura que la bonne qui lui est confiée dispose d’un contrat de travail, avec un salaire défini à l’avance et ses jours de repos. La formation envisagée va nous permettre, employeurs comme travailleurs, d’acquérir des compétences ».

Hasnya Mint Lemrabott, représentante de l’autorité

« Cette expérience est vraiment la bienvenue, car cela fait quelques mois à Kiffa que la sensibilisation est presque complète. Nous avons réuni les employeuses et les travailleuses et nous avons entamé des dialogues fructueux. Il faut reconnaître que le travail domestique comme beaucoup d’autres domaines est resté pendant longtemps géré dans la pagaille et le désordre. Les employeuses ne donnaient aucune importance aux travailleuses et ces dernières également ne prenaient pas leur métier au sérieux. Avec cette nouvelle stratégie, nous nous sommes organisés et nous discutons de tous les points dans un parfait consensus. Depuis, les demandes pleuvent, chacun nous demande l’adresse de notre siège. Les employeuses sont surtout excitées à l’idée qu’il va y avoir des domestiques formées et spécialisées et elles sont demandeuses de ce genre de compétences. Je crois que cela va contribuer à améliorer les salaires, qui varient pour le moment entre 15.000 et 25.000 anciennes ouguiyas. Avec les formations professionnelles annoncées, les salaires vont certainement s’améliorer ».