Esclavage en Mauritanie, quand l’impunité devient un mode opératoire supervisé par l’Etat sous la pression des tribus

mar, 12/09/2023 - 03:37

Victime de propos esclavagistes et avilissants, Moussa Bilal, un ressortissant de Boutilimit était hors de lui, lors de la conférence de presse qu’il avait animée, lundi 11 septembre 2023, en compagnie du député et président de l’ONG IRA-Mauritanie, Birame Dah Abeid.

La personne contre laquelle il avait porté plainte, également natif de Boutilimit, Sid’Ahmed Ould Jeylani, fonctionnaire à l’Agence nationale des statistiques et des analyses démographiques et économiques (ANSADE), écroué le 23 août 2023 par le Parquet de la République pour injures à caractère esclavagiste, punies par l’article 19 de la Loi 031-2015 incriminant les pratiques esclavagistes, a bénéficié d’une liberté provisoire.

Selon Moussa Bilal, sa libération s’est déroulée dans une atmosphère de fête et magnifiée par des chapelets de louanges portés par des bloggeurs de la tribu qui l’ont magnifié en héros. En fait, selon Moussa Bilal, cette liberté provisoire est la victoire du système esclavagiste et tribal sur les institutions et les lois de la République.

Pourtant, selon Abdallahi Abou Diop, responsable des droits de l’homme au sein du mouvement IRA, non seulement l’accusé, Sid’Ahmed Jeylani, est sous la coupe d’une loi réprimant des crimes contre l’humanité, mais en tant que fonctionnaire, il est passible de l’article 19 de la loi 031-2015 qui stipule : « la qualité de fonctionnaire ou d’officier public, de dépositaire ou d’agent de l'autorité ou de la force publique de l’auteur d’infractions, prévues par la présente loi, constitue une circonstance aggravante ».

Pire, selon lui, l’accusé a été libéré sous la pression de sa tribu, notamment de ses députés et de ses magistrats, à l’image du député de Boutilimit, Abdoul Mawahab Mohamed Houcein, qui s’est particulièrement distingué dans sa lutte pour l’obtention de cette liberté provisoire, soutenu par des magistrats de la tribu, lesquels ont échangé des blogs magnifiant ce qu’il a fait.

Dans son intervention, Birame Dah Abeid, a relevé deux curiosités. D’abord, la Cour d’Appel avait refusé tout recours contre le billet d’écrou dressé par le Parquet contre l’accusé, avant que le juge chargé du dossier ne se rétracte sous la pression tribale et n’accorde la liberté provisoire à l’accusé.

Ensuite, il s’est étonné de voir un magistrat dévoiler les secrets de l’instruction judiciaire, dans la mesure, où il a continué à communiquer avec une tierce partie favorable à l’accusé sur les résultats satisfaisants des délibérés pour l’élargissement provisoire de l’intéressé. Et ces échanges étaient répercutés sur le groupe de réseaux sociaux des intéressés.

C’est en fait, ce vaste mouvement d’impunité sur l’ensemble des cas d’esclavages jugés et condamnés depuis l’adoption en 2015 de la loi incriminant l’esclavage en Mauritanie qui a été mis en exergue et dénoncé lors de la conférence de presse.

Selon Abdallahi Abou Diop, il est étonnant de constater qu’aucune des personnes poursuivies pour des crimes d’esclavage depuis 2015 ne se trouvent en prison, alors que des dizaines de cas ont été jugés ces dernières années.

Pire, Birame Dah Abeid a fustigé le caractère mensonger des déclarations du Commissariat aux droits de l’homme qui affirme que plus d’une cinquantaine de personnes accusées d’esclavage sont actuellement en prison. Selon lui, c’est un gros mensonge, aussi a-t-il demandé à l’actuel Commissaire, arrière-petit-fils de l’Emir du Trarza, Cheikh Ahmedou, de démissionner et de quitter l’antre de la falsification qu’est le département qu’il dirige.

Il faut noter que Moussa Bilal a affirmé, lors de la conférence, qu’il n’est pas membre du mouvement IRA, qu’il est plutôt dans la mouvance du président Ghazouani, mais qu’il est conscient qu’il s’agit de la seule organisation vers laquelle se tournent les victimes d’injustice, quelle que soit leur obédience.

Cheikh Aïdara