Les sorties médiatiques d’Aziz se suivent et se ressemblent. Le même fil conducteur depuis 2008. Les mêmes arrangements. La toute dernière, « sponsorisée » par le parti « Ribat » est de la même facture que celle qui l’avait consacré, en 2009, « président des pauvres », en jouant sur les maux du peuple pour donner un semblant de force aux mots. Prédominance du moi, contre-vérités, illogismes... fuite en avant.
L’ancien président confond, consciemment ou non, temps de la narration et temps de l’histoire. Illustrations.
Il était le Président de la République et président de facto, non seulement du parti au pouvoir mais de toute la majorité. Il nommait - et dénommait. Président du parti, secrétaire général, membres du bureau exécutif et du conseil national. Sorti de la présidence au terme de deux mandats constitutionnels, Aziz a voulu revenir au pouvoir par l’entremise du Parti. Son argument fétiche : le parti-Etat (jeu de mots pour désigner un parti au pouvoir qui n’est plus à son service) est une « infamie » dans un régime démocratique qui se respecte ! C’est une trouvaille azizienne. Une « vérité » née seulement le 1er août 2019 ! Elle a un avant (ce qu’Aziz faisait depuis 2009, quand il créa l’Upr) et un après (quand il n’avait plus la « commande » entre les mains pour jouer).
La « guerre du parti » et son aboutissement heureux ont sauvé la Mauritanie d’un dangereux précédent : un pouvoir bicéphale, avec un président de la République élu et un président du parti au pouvoir, autoproclamé, bien décidé à jouer sa propre partition pour mettre au pas le parlement et s’en servir comme moyen de pression sur le gouvernement. En fait, une variante de la « fronde » qui avait conduit, en 2008, à la crise politique et au coup d’État contre le Président Sidi Mohamed Ould Cheikh Abdallahi, Allah yarehmou.
L’aile politique favorable au président Ghazouani a donc habilement manœuvré pour mettre échec et mat le plan à la Kabila d’Aziz.
Le second point qui montre les incongruités de la conférence de presse d’Aziz est cette incapacité de répondre à l’essentiel : la source de ses richesses. De ses immenses richesses, comme il le reconnaît lui-même. C’est pourtant ce que le peuple veut savoir.
Si tout est clean, comme le prétend l’ancien Raïs, quelles difficultés éprouve-t-il alors à dire aux Mauritaniens, dans un langage qu’ils comprennent, « voilà l’origine de mon argent » ? Autrement, les milliards d’ouguiyas saisis par la justice proviennent-ils uniquement de l’accumulation, sur trente, quarante ans, de ses salaires d’officier puis de président de la République ? Ou bien d’opérations occultes, en affaires ou autres?
Répéter à l’infini « je n’ai pris aucune ouguiya de l’argent public » est certes une affirmation mais elle a besoin de preuves pour être une certitude.
Autre amalgame : le départ qu’Aziz fait, dans un flou artistique de son cru, entre budget de fonctionnement et budget d’investissement. Suivant son « résonnement », le premier va dans les poches des responsables et le second au peuple.
Si l’on comprend que l’augmentation de l’un doit permettre à l’administration de « fonctionner » convenablement, il faut aussi admettre que la propension à tout inscrire dans le chapitre « investissements » au cours de la décennie 2009-2019 pourrait avoir permis à celui qui détenait tous les pouvoirs entre ses mains de ponctionner. L’ampleur des rétrocommissions révélées par l’enquête de la CEP (Commission d'enquête parlementaire) va dans ce sens. Ainsi, on préfère construire une route entre Atar et Akjoujt, à coups de milliards d’ouguiyas, pour sa « rentabilité » en rétrocommissions, et pas un palais de justice dans la wilaya de Nouakchott sud qui coûterait SEULEMENT quelques centaines de millions d’ouguiyas ! Quand on décide de se faire de l’argent, ce qui importe c’est de ne pas passer pour un gagne-petit. Vingt-neuf (29) milliards d’ouguiyas, c’est le salaire d’un président de la République durant 345 ans, soit 69 quinquennats ! Sans mélange des genres (politique et business), il parait impossible qu’une telle fortune – qui ne serait que la partie visible de l’iceberg – puisse avoir été amassée suivant le principe de la « séparation des biens ».
Pour revenir au politiquement correct, on dira que l’avant et l’après Aziz n’est pas l’objet de la polémique actuelle. Etre sorties d’une crise devenue notre « normalité » permet aujourd’hui à la majorité et opposition de revoir leurs stratégies en toute quiétude. Et si elles ne s’accordent pas pour dire qu’on est « dans le meilleur des mondes possibles », par les effets conjugués de l’héritage économique de la décennie 2009-2019 et le surgissement, il y a presque deux ans, de la pandémie du nouveau coronavirus (Covid-19), on est presque heureux de voir que le terrain est à nouveau propice à la compétition politique qui use – mais n’abuse pas – d’une bipolarité qui est l’essence même de la démocratie.
Sneiba Mohamed