Plus de 120.000 enfants mauritaniens souffrent de malnutrition aigüe modérée (MAM) et plusieurs régions du pays ont dépassé le seuil d’urgence en matière de malnutrition aigüe globale (MAG) et de malnutrition aigüe sévère (MAS). Malgré ces chiffres alarmants, la nutrition a jusqu’ici été le souci mineur des décideurs. A Aleg, un atelier multisectoriel de validation des textes de base sur la nutrition semble remettre la question de la nutrition au cœur des préoccupations du gouvernement.
Loin des turbulences de Nouakchott, la ville d’Aleg est en passe de devenir le lieu de « retraites » privilégié pour la réflexion sur les grandes décisions de l’Etat, en remplacement de Tiguint, trop proche de la Capitale et source d’escapades régulières de la part de certains participants aux différents ateliers et séminaires où l’assiduité est sensée être de rigueur.
Ainsi, du 11 au 14 janvier 2024, sous l’égide du Ministère de l’Economie et du Développement Durable, la ville d’Aleg a abrité un atelier de validation des drafts de la Politique Nationale sur la nutrition, ainsi que son plan stratégique multisectoriel. Une trentaine de cadres issus de départements concernés par les questions liées à la nutrition, comme l’Agriculture, l’Elevage, la Pêche, le Commissariat à la Sécurité Alimentaire (CSA) et les Finances y ont pris part, ainsi que certains partenaires comme UNICEF, PAM, Word Vision et la société civile.
Première étape du processus
Il est rappelé que la première étape du processus de révision des documents clés de la nutrition a débuté en 2023 par une rencontre à Tiguint de la Plateforme nationale multisectorielle. Cette étape, sanctionnée par un rapport, a été marquée par l’analyse de la situation de la nutrition au cours de laquelle il a été procédé à la révision de la politique nationale à l’horizon 2030. Ce qui a permis la révision également du Plan stratégique de nutrition couvrant la période 2024-2030.
Ce sont ces deux documents, partagés au préalable au sein de la Plateforme multisectorielle, qui a été l’objet de l’atelier de validation organisé récemment à Aleg.
Après l’ouverture officielle de la rencontre marquée par le mot de bienvenue prononcé par le directeur adjoint de la SCAPP, Sidaty Ould Sidaty, le consultant recruté pour la tâche, en l’occurrence l’ancien ministre de la Santé, Dr. Nedhirou Ould Hamed, a pris la parole pour expliquer les différents volets de l’atelier, axé essentiellement sur les travaux de groupe et les restitutions en plénière.
Trois jours de travaux
Les participants s’étaient scindés en trois groupes de travail dès le premier jour. Ils ont d’abord parcouru les différentes parties de la Politique nationale de nutrition (PNN) au regard de la situation nationale en la matière pour apporter leurs suggestions, avant de faire de même avec le Plan stratégique multisectoriel de la nutrition (PSMN) pour in fine valider les deux documents au regard des améliorations apportées.
Par rapport à la PNN, l’un des groupes a travaillé sur la disponibilité et l’accès des populations à une alimentation nutritive diversifiée et saine, ainsi qu’à une eau potable, à une hygiène et à un assainissement adapté. Le deuxième groupe s’est penché sur la promotion des bonnes pratiques, sur la résilience des ménages face aux crises alimentaires et nutritionnelles, ainsi que la prise en charge adéquate des enfants et des femmes malnutris. Le troisième groupe a travaillé pour sa part sur la bonne gouvernance, les modalités d’opérationnalisation de la PNN, son financement, ainsi que sur le cadre institutionnel de pilotage, de coordination et de suivi-évaluation.
Par rapport au PSMN, les groupes ont travaillé sur les acquis et défis de la réponse nationale, le cadre conjoint de résultat ainsi que l’orientation stratégique en termes de disponibilité et d’accès, de promotion des bonnes pratiques, de renforcement de la résilience et de prise en charge, ainsi que sur la bonne gouvernance et l’environnement propice au développement de la sécurité alimentaire et nutritionnelle.
Financer la nutrition
Toute la problématique de la nutrition repose sur l’absence ou la faiblesse du financement qui lui est accordée. C’est la première rubrique que les départements concernés n’hésitent pas à supprimer en cas de débordement de leurs prévisions budgétaires face aux limites imposées. Il est arrivé même qu’en 2023, la nutrition ait tout simplement été effacée de la loi de finances de cette année.
L’Etat mauritanien avait en effet, depuis des années, délégué sa souveraineté alimentaire et nutritionnelle aux agences des Nations Unies et aux organisations internationales. D’où l’indignation que cet état de fait a provoqué lors des plénières. En 2021, un accord tripartite a été pourtant conclu entre TAAZOUR, le Ministère de la Santé et UNICEF.
Malgré son engagement devant les partenaires de payer les intrants nutritionnels à partir de 2023, et malgré les résultats catastrophiques de l’enquête SMART sur la situation nutritionnelle dramatique, le ministère de la Santé a tout simplement refusé de payer les intrants, menaçant ainsi la survie de 30.000 enfants souffrant de MAS. Une décision en porte-à-faux par rapport aux engagements internationaux de la Mauritanie, notamment les ODD 2030, la Feuille de route du mouvement SUN et les exigences du N4G de Tokyo, et même sa propre stratégie de croissance pour 2030.
Aussi, au cours de l’atelier d’Aleg, une journée a été consacrée au renforcement du financement de la nutrition, à la répartition du montant cumulé sur la période entre les priorités stratégiques du PSMN, aux tendances évolutives des besoins financiers en fonction des possibilités de financement, ainsi qu’aux opportunités et contraintes liées au financement de la nutrition.
La tendance serait de porter le budget alloué à la nutrition de 255 millions MRU (à peu près 10 millions de dollars US) en 2022 et 369 millions MRU en 2024, à 3 milliards 117 millions en 2030 (environ 80 millions de dollars US).
Les différents groupes devraient répondre et argumenter les questions liées au financement mobilisé par l’Etat et ses partenaires. Est-il en cohérence avec leurs engagements dans le cadre du mouvement SUN ? La répartition du coût global du PSMN entre les six orientations stratégiques est-elle logique ? La tendance d’évolution du coût annuel estimé du PSMN parait-elle soutenable au regard des possibilités nationales et extérieures de financement ? Quels sont les principales opportunités et contraintes liées au financement de la nutrition ?
A la lumière des résultats des travaux de l’atelier d’Aleg, un plan d’action nationale sur la nutrition devrait faire l’objet les jours à venir d’une rencontre nationale à Nouakchott.
Les dividendes de la nutrition
La malnutrition a une réelle incidence sur la productivité d’une population, donc sur le développement socioéconomique, culturelle et scientifique des Etats. C’est le constat fait par plusieurs experts qui ont tenu à faire la différence entre Indice du Développement Humain (IDH), basé sur la richesse et le PIB, et Indice du Capital Humain (ICH) qui est la valeur totale de la santé, des aptitudes, des connaissances, de l’expérience et des habitudes d’une population et qui est resté longtemps hors- jeu alors qu’elle plaide en faveur de la valorisation du capital humain de la prochaine génération. Il est en effet de plus en plus établi, que le désintérêt pour les investissements dans les ressources humaines peut affaiblir radicalement la compétitivité d’un pays dans un monde en mutation rapide dont les économies ont besoin toujours plus de main d’œuvre qualifié pour maintenir leur croissance.
La nutrition attire des capitaux
La question de la nutrition est devenue si récurrente que des institutions financières telles que la Banque Africaine de Développement (BAD) a engagé un plan multisectoriel qui passe par le renforcement des capacités de ses cadres et responsables dans le domaine de la nutrition, afin de répondre plus efficacement aux fortes demandes que ce secteur commence à susciter, pour ne citer que le Centre de formation en nutrition pour les pays d’Afrique de l’Est et d’Afrique Australe dont le siège est au Burundi, ou encore la priorité donnée à ce sujet par l’Ethiopie qui a institué un Comité interministériel de lutte contre la malnutrition, ou mieux encore, le Centre d’Excellence Régional contre la Faim et la Nutrition (CERFAM) dont le siège est à Abidjan, mais surtout la place de la nutrition en tant que pilier essentiel des Objectifs de développement durable à l’horizon 2030 (ODD 2).
Aujourd’hui, l’accent est ainsi mis sur le tracking budgétaire en matière de nutrition pour garantir l’efficacité et la transparence des dépenses dans le secteur. Ainsi, beaucoup de pays, dont la Mauritanie, disposent d’un plan multisectoriel de nutrition, mais non budgétisé, donc non opérationnel. Mais les fonds étant rares, il est de plus en plus question de fonds innovants ou fonds catalyseurs, comme le « Power of nutrition » ou encore les fonds GFF devenus accessibles à la Mauritanie depuis 2019, mais qui n’y sont pas inscrits malheureusement.
Et la compétition est rude, les pays les plus attirants pour les bailleurs étant ceux qui accordent beaucoup plus de ressources domestiques à la nutrition comme le Burkina Faso qui a dégagé un budget de 120 millions de dollars U.S de fonds propres. Ce qui en fait un des pays champions en Afrique de l’Ouest et du Centre en matière de nutrition. Un pays comme le Sénégal est ainsi parvenu lui aussi à décrocher plus de 496 milliards de francs Cfa du GFF pour soutenir son plan de réduction de la mortalité, néonatale, infanto-juvénile, des adolescents et des jeunes (2018-2022).
Il est ainsi recommandé aux Etats d’aligner les financements innovants à leurs plans nationaux multisectoriels de nutrition avec l’appui du point focal, à faire des analyses des dépenses de nutrition, de mobiliser des ressources domestiques, entre autres. Au cœur de ce combat de titan, la multisectorialité de la nutrition qui tarde à se mettre en place dans les pays d’Afrique de l’Ouest, du Centre et Madagascar, ainsi que l’absence dans ces pays de la Couverture santé universelle que l’on continue de saupoudrer sous sa forme déguisée, la couverture médicale universelle qui n’accorde que peu d’intérêt à la prévention, laquelle est au cœur de la lutte contre la malnutrition.
Chiffres sur la nutrition en Mauritanie
Ces chiffres sont issus de l’enquête SMART 2018 de UNICEF
- Taux de MAG (moyenne nationale) : 10,9%
- Wilayas en situation d’urgence (MAG supérieur à 15 / MAS supérieur à 2%) : les deux Hodhs, Assaba, Gorgol, Brakna et Guidimaghha
- Taux allaitement maternel exclusif : 40,3%
- Malnutrition aigüe globale (MAG) estimé à 11,6%
- Retard de croissance : 1 enfant sur 5
- Taux d’anémie : Trois quart des enfants de moins de 5 ans
- Carence en vitamine A : près de la moitié des enfants en âge préscolaire
- Disposition de sel iodé : moins de 10% des ménages
Cheikh Aïdara
Aleg