Festival Visa For Music, Rabat la capitale de la musique du monde

mar, 26/11/2024 - 03:46

La capitale marocaine, Rabat, a abrité du 21 au 24 novembre 2024, la 11ème édition du Festival Visa For Music. Un rassemblement de centaines d’artistes et d’experts venus d’Afrique, d’Europe et d’Asie, des concerts, des conférences et des masters class.

L’Assemblée Générale de la plateforme des acteurs culturels africains, Arterial Network, a eu lieu le 22 novembre 2024 en marge du Festival Visa For Music qui a tenue toutes ses promesses lors de la 11ème édition qui a eu lieu du 21 au 24 novembre 2024 au splendide Théâtre Mohamed V de Rabat, Royaume du Maroc et dans plusieurs autres sites.

Lors de cette AG à mi-mandat d’Arterial Network, qui a regroupé plus d’une dizaine d’affiliés et quelques membres du Comité de Pilotage et son président, quelques amendements ont été apportés à la Constitution de l’organisation.

Mais comme chaque année depuis son lancement en 2013, Visa For Music a prouvé qu’il est l’un des évènements culturels phares en Afrique. Un rendez-vous que les musiciens, artistes et experts dans le domaine culturel attendent avec impatience, édition après édition.

Il faut noter que le festival Visa For Music s’est imposé au fil des ans comme une plateforme essentielle pour la promotion des artistes et des musiques d’Afrique et du Moyen-Orient, un marché musical professionnel qui réunit des artistes, producteurs, agents ainsi que des professionnels de l’industrie musicale. Le programme est varié avec des showcases live, des conférences, des ateliers et des rencontres entre professionnels.

En termes de chiffres, Visa For Music c’est 20.000 festivaliers, plus de 400 artistes, plus de 1200 professionnels et plus de 1400 speed meetings.

Quatre jours de scène

Pendant quatre jours, les amoureux de la musique ont été nourris à la sève de plusieurs sonorités et trempés dans plus d’une dizaine de cultures.

Le 20 novembre déjà, c’était la parade des artistes avec une parade urbaine sur le boulevard Ben Abdallah au pied du Musée Mohamed VI et une esplanade au Théâtre Mohamed V où furent prononcé les mots de bienvenue des officiels et des organisateurs, notamment celui de Brahim Mezned, le directeur du festival.

Un show musical est venu clore ce lancement avec la troupe marocaine, Tasutan-Imal, le groupe cap-verdien Ferro Vaita et Valérie Exqume, un groupe franco-camerounais.

Les jours suivants, plusieurs groupes se sont succédé sur scène, venant de Guinée-Bissau, Côte d’Ivoire, Italie, Algérie, France, Angola, Sénégal, Afrique du Sud, Bénin, Madagascar, Seychelles, Emirats, Grèce, Equateur, Espagne, Portugal, République Dominicaine, Jordanie, USA, Irak, Quebec, Egypte, Brésil, Corée du Sud, Libéria, Guadeloupe, Finlande, Australie

Des ateliers, des masterclass et des conférences se sont succédé dans les différents sites du festival, à l’Auditorium du Musée Mohamed VI, à l’Institut Français, au Centre Cervantès, à la Fondation Hiba café de la Scène à la Renaissance, à l’Institut Goethe, etc.

A côté des scènes musicales et l’ambiance feutrée des conférences ou encore le climat studieux des ateliers, le festival a abrité aussi plusieurs stands pour les associations, organismes et acteurs culturels venus exposer leurs œuvres ou faire connaître leurs structures dans des échanges spiritueux intra-professionnels mais aussi avec le public et les visiteurs.

 

Plus d’une dizaine de conférences

Plus d’une dizaine de conférences-débats ont été organisés en marge du festival, sur plusieurs thèmes, l’accès à la culture dans le domaine de la musique, valorisation des instruments de musique traditionnelle, inclusion et diversité dans l’industrie musicale, mobilité intra-africaine des artistes et professionnels de la musique, comment restructurer un festival, cas du festival Dougga en Tunisie, la plateforme de streaming Sportify, l’édition musicale, les droits d’auteurs, etc.

Valorisation des instruments de musique traditionnelle

Cette table-ronde a été animée par les experts suivants, Michel Ndondo du Camaroun, Sidi Haiba, Mme Sadegh, Conservatrice adjointe du Musée de Meknés, Ali Ben Slah d’Ayoun Saghiat-Hamra (Maroc), Izzi Chayer, directeur du Grand festival Maroc spécialiste en sonorisation, Moadh Ben Hmady, praticien multi-instrumentaliste.

Pour Michel Ndondo, les instruments de musique traditionnelle, c’est l’histoire des identités culturelles des peuples, soulignant que ce patrimoine culturel et mémoriel est aujourd’hui confronté aux défis de la conservation et de la préservation. D’où l’impérieuse nécessité de la transmission aux générations actuelles et futures. Cette transmission est selon lui d’abord familiale, dans les techniques de fabrication des instruments de la musique traditionnelle, dans la collecte des savoirs musicaux ancestraux et dans la documentation, en prenant en compte la dimension sociale, mais aussi environnementale.

Mme Sadegh du Conservatoire de Meknès a insisté pour sa part sur le problème de la restauration des instruments de la musique traditionnelle, assurant que le conservatoire possède des instruments mais aussi des costumes datant de plus d’un siècle.  Elle a procédé à un survol historique du Conservatoire créé en 1882 et les différentes étapes de son évolution, sous la colonisation française jusqu’aux années 1920, 2014 et 2022 et le statut actuel du conservatoire en tant que 1er Musée de musique du Maroc, lancé dans la recherche, la collecte, la conservation et l’exposition du patrimoine culturel de la musique qui allie musique traditionnelle et musique savante. Le musée s’intéresse aux accords, aux percussions et aux tenues vestimentaires.

Sidi Haiba appartient à une longue lignée de restaurateurs et de fabricants d’instruments de musique traditionnelle marocains. Il a engagé un long débat sur l’origine du luth que d’aucuns rattachent à l’Andalousie, alors qu’il soutient que le luth marocain est totalement différent. Sidi Haiba possède ainsi un atelier de fabrication d’instruments de musique traditionnelle où il accueille une trentaine d’apprentis à différentes saisons.

Ben Salah, originaire d’Ayoun Saghiat-Hamra et de la coopérative Romh s’est fait connaître à travers son compte Instagram. Il est musicien, sculpteur et spécialiste de la rénovation des instruments musicaux sahraouis, en particulier le « Tidinit ». Il possède son propre atelier où il fabrique et restaure des instruments.

Chayer est lui spécialiste de la sonorisation. Pour lui, il a longuement buté sur les difficultés liées à la sonorisation des instruments de la musique traditionnelle, les micros disponibles étant incapables de faire ressortir l’originalité de ce genre de musique non adapté aux outils modernes.  D’où le palliatif qui a consisté à utiliser les pastilles des poupées qui parlent ou encore l’utilisation d’autres procédés.

Pour le praticien Moadh, chaque instrument de musique a sa propre poésie et raconte une histoire tirée d’une expérience humaine. Aussi, a-t-il exprimé sa joie de pouvoir savourer toutes les sonorités, du Maghreb arabe à l’Afrique noire, avec autant d’instruments traditionnels aussi divers et diversifiés, de la Kora de l’Afrique subsaharien au Oud ou au Luth d’Afrique du Nord. L’impression selon lui de voyager entre des mondes qui se recoupent et se complètent.

Bernard Payé de l’Ile de la Réunion a évoqué quant à lui l’apport de la migration africaine et sud-asiatique, notamment indienne, à travers le tambour dans le patrimoine culturel et musicale du Port de la Réunion.

Mobilité intra-africaine des artistes et des professionnels de la musique

Le déplacement des artistes africains et des professionnels de la musique à l’intérieur du continent africain est confronté à de multiples défis d’ordre logistique, financiers, administratifs et autres tracasseries.

Cette table-rond organisée par la Zone Franche en présence de son directeur, a été animée par un panel de haut niveau composé de Camille Seck experte en culture, Alassane Babylas Ndiaye président de Arterial Network, Pierre Claver Mabilia coopérative culturelle et directeur congolais de l’Espace culturel et du festival Ndj-Ndj, Ghita Khaldi directrice de projets culturels fondatrice de l’ONG marocaine Afrikayna et Didier Awadi, artiste musicien du Sénégal et directeur du Studio Sankara basé à Dakar.

Il faut souligner que la Zone Franche pour la diversité culturelle travaille sur la mobilité des artistes en les aidant notamment pour l’obtention de visas.  Elle compte 230 adhérents dans une vingtaine de pays africains.

Il faut dire que la mobilité des artistes et des professionnels de la musique reste un défi et un challenge financier énorme face à la cherté des déplacements, avec des billets d’avions aux prix élevés sans compter les coûts liés à l’hébergement et à la nourriture. Il y a, en plus, de escales jugées illogiques qui obligent certains pour se rendre d’un pays africain à un pays africain, à se soumettre à des escales dans des capitales européennes, notamment Paris.

Dans son expérience des tournées, plus de 40 pays africains visités, Didier Awadi a évoqué l’exemple d’hommes qui ont juré de rester debout pour la culture, à l’images des promoteurs de la RDC qui continuent d’organiser des festivals au milieu des fusillades qui endeuillent des villes de l’Est comme Gouma à la frontière rwandaise, avec des millions de tués et des exodes massifs de populations.

Pierre Claver qui a dressé une cartographie des artistes et des festivals en Afrique Centrale, avec glissement en Afrique de l’Ouest, a évoqué l’expérience des déplacements terrestres à travers les frontières où les tracasseries de visa et de passage continuent d’entraver la mobilité des professionnels de la musique.

En général dira-t-il en substance, les budgets des festivals ne parviennent pas à financer le déplacement des artistes avec le coût exorbitant des billets de transport et les cachets des artistes. Il a déclaré de fin 2022 début 2024, la structure qu’il dirige a pu distribuer 74 bourses aux artistes, soutenus plus de 20 festivals en Afrique Centrale dont les invités artistes ont tous voyagé par la route.

Babylas Ndiaya a aussi évoqué le circuit rwandais et un programme de partage des festivals sur le plan de la sonorisation et de la lumière, ainsi que le tracé  du circuit Mali-Côte d’Ivoire-Burkina Faso et le site de Koudougou dont la capacité a plus qu’augmenté, passant de 200 à 5.000 places. Ce programme s’est arrêté, a-t-il expliqué, du fait de la pandémie Covid, l’insécurité des routes et l’état des infrastructures.

Ghita Khaldi a parlé du Fonds Maroc-Afrique Subsaharienne lancé en 2016, un programme de 4 ans qui a permis de soutenir les artistes à travers l’octroi de bourses de mobilité. Ce programme avait permis selon elle de financer plus de 400 vols dans 133 projets qui avaient été soumis. Par la suite, elle a évoqué le circuit Casablanca-Nouakchott-Dakar et le peu de ressources octroyées par les pays africains et le grand apport venant en général de la coopération internationale, telle que l’Union européenne, EuroMed ou le MENA (Moyen-Orient et Afrique du Nord). Mais, ajoute-t-elle, malgré ces fonds, il faut toujours aller chercher d’autres financements pour compléter les gaps.

Elle a évoqué par la suite la faiblesse de la coopération bilatérale, le manque de fonds suffisants pour la circulation des biens culturels. La création de l’ONG AfriKayna serait ainsi le fruit de toutes ces difficultés. Selon elle, il faut se diversifier et s’inspirer des modèles de fonds mobiles qui existent dans d’autres parties du monde.

D’autres initiatives sont en train de pousser comme le fonds de mobilité que le festival MASA de Côte d’Ivoire a lancé en janvier 2024. L’idée serait à ce point de lancer un plaidoyer pour la réduction d’au moins 25% des taxes au niveau de la CEDEAO.

Didier Awadi a lui prôné un plaidoyer auprès des instances régionales, comme l’Union africaine, tout en exhortant les professionnels et les artistes à développer le réseautage et en essayant par exemple le modèle anglo-saxon qui pousse les professionnels de la musique en Afrique à se comporter en entrepreneurs plutôt que de rester enchaîné par l’attente des subventions. Il a aussi critiqué le fait que beaucoup de pays ont des bureaux de droits d’auteurs qui ne sont pas encore passés au stade de gestion collective.

Les panélistes ont aussi déploré l’absence dans beaucoup de pays de lois sur le statut de l’artistes, ce qui est un autre frein à la mobilité des acteurs.

D’autres idées sont ressorties de la table-ronde, telle la nécessité de jeter des ponts entre l’Afrique francophone et l’Afrique anglophone, d’intensifier la formation/sensibilisation des artistes, de documenter les circuits et de démocratiser les fonds pour la mobilité, de voyager différemment (la route plutôt que l’avion), de passer de la mentalité d’artiste lié aux financements extérieurs et aux subventions à la mentalité d’entrepreneur, de développer le modèle de sponsoring, d’harmoniser les calendriers des festivals.

La Convention de 2005 de l’UNESCO sur la diversité de l’expression culturelle fait pourtant de la mobilité à l’international des artistes un droit. Ce plaidoyer aurait pourtant été mené auprès des 195 pays membres de l’organisation chargée de l’éducation, des sciences et de la culture dans le monde.

Cheikh Aïdara
Rabat-Maroc