Forum de Kigali sur l’esclavage moderne en Afrique, survivants et experts débattent des solutions d’éradication

jeu, 24/11/2022 - 22:20

Le Forum régional africain pour la libération de l’esclavage s’est achevé ce jeudi 24 novembre 2022 à Kigali, au Rwanda, après trois jours d’intenses échanges entre des délégations venues de plusieurs pays. Des panels et ateliers de groupes ont émaillé cette rencontre organisée par Freedom Slavery et The Legal Aid Forum, avec le concours de plusieurs organisations et fondations, Humanity United, The Elkes Foundation, Pathy Family Foundation et Global Fund to End Modern Slavery.

Au cours de la rencontre de Kigali sur l’esclavage moderne, organisée du 21 au 24 Novembre 2022, l’accent a été mis sur l’impérieuse collaboration entre la société civile et les gouvernements des pays où sévit l’esclavage afin de mettre fin définitivement à ce fléau.

C’est ce qu’a déclaré Andrews Kanaga, Directeur Exécutif de « The Legal Aid Forum » du Rwanda, lorsqu’il soutient que « les OSC peuvent faire de la recherche et du plaidoyer, mais nous ne sommes pas en mesure d'élaborer des lois anti-traite. Pour qu'il y ait des changements concrets, nous devons nous engager et collaborer avec nos gouvernements car ce sont eux qui peuvent faire et appliquer les lois »

Les crimes esclavagistes restent impunis

Le président de l’Initiative de Résurgence du mouvement Abolitionniste (IRA) de Mauritanie, Birame Dah Abeid, a participé à un des panels animés au cours du forum. Il a d’abord fait un survol historique des racines de l’esclavage en Afrique, en particulier dans le Sahel et le Sahara, de la période antéislamique au commerce négrier, notamment le commerce triangulaire, puis la colonisation européenne qui a ancré le système de castes qui s’est nourri d’interprétations tendancieuses de l’Islam, explique-t-il. Ce qui donnera lieu, selon lui, à des systèmes de domination et l’exacerbation au cours des siècles des pratiques esclavagistes, ancrées dans les consciences collectives comme émanation divine.

Evoquant le cas de la Mauritanie contemporaine, il déclare que le pays « continue de fonder le mode de vie d’une importante partie de l’élite arabo-berbère dominante, sur l’exploitation de l’homme par l’homme, notamment le travail non-rémunéré et indécent, sans omettre la séparation des familles serviles, le trafic des enfants et des femmes ; le droit de s’approprier le corps d’une esclave et la légitimation du viol ancillaire ponctuent la déshumanisation des victimes ».

Selon lui, la Mauritanie use de la « duplicité diplomatique à l’endroit du droit international public ». La ruse consiste, d’après lui, « à ratifier toutes les conventions possibles et imaginables sur l’esclavage et les trafics des personnes, édicter des lois nationales de coercition, capter les fonds destinés aux colloques, ateliers et autres programmes de prévention et formation, voire créer des tribunaux ad-hoc ». Il s’agira également, poursuit-il « de nommer des cadres ou personnalités issus des milieux serviles, au sein du gouvernement et de la haute administration, en leur assignant la mission de témoigner contre le réel ».

Birame Dah Abeid déclare en outre que « L’Etat mauritanien assure l’impunité totale dans tous les dossiers de crimes avérés d’esclavage », citant dans ce cadre les plaintes de la petite Ghaya Maiga, Mariem Cheibani et ses filles. Ces deux exemples, parmi plusieurs selon lui, sont qualifiés de contrainte esclavagiste par le Parquet et la police, et sabotées sur injonction du pouvoir. Des juges d’instruction qu’il a nommés s’abstiennent, d’après lui, d’appliquer la loi, en dépit même des insuffisances de celle-ci. Il déclare que les autorités se gardent de porter assistance matérielle et psychologique aux personnes émancipées, d’où le retard de leur réinsertion dans une société de normalité moderne. « Aucun bourreau n’est exproprié au profit de ses esclaves, malgré des siècles d’humiliation et de violence, y compris le viol des servantes et des cas de mutilations parmi le cheptel masculin » a-t-il souligné.

Enfin, il a dénoncé la non reconnaissance du parti pour la Refondation et l’Action Globale (RAG), « le seul capable de créer l’alternance dans mon pays » déclare-t-il, « parce qu’il projette, en vertu du vote libre et de la non-violence, le démantèlement du système d’hégémonie raciale et l’instauration d’un État de droit ». Il a aussi évoqué le bannissement de son organisation IRA Mauritanie, pour avoir livré son témoignage au Rapporteur Spécial des Nations Unies sur les formes contemporaines de l’esclavage lors de son passage en Mauritanie en février 2022.

L’engagement de la Mauritanie à éradiquer l’esclavage

La Mauritanie n’a pas été représentée par une délégation officielle à Kigali. Néanmoins, un cadre du Commissariat aux Droits de l’Homme, à l’Action Humanitaire et aux Relations avec la société civile, qui a requis l’anonymat, a mis en exergue les efforts déployés ces dernières années par la Mauritanie pour respecter ses engagements internationaux et régionaux dans le domaine des droits de l’homme, en particulier l’esclavage et la traite des personnes. Outre l’important arsenal juridique répressif contre ces pratiques dont dispose le pays, il a cité le processus d’élaboration d’une stratégie nationale de promotion et de protection qui est en cours selon un processus consultatif en coopération avec la représentation en Mauritanie du Haut-commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme.

Il a aussi cité la caravane nationale lancée depuis octobre 2022 visant la sensibilisation des citoyens sur l’ensemble du territoire sur la gravité de l’esclavage et de la traite des êtres humains ainsi que la vulgarisation des textes y afférents.

Experts et victimes donnent leurs points de vue

D’autres participants au forum de Kigali ont livré leurs impressions. C’est le cas de Dr. David Okech, Director, Centre on Human Trafficking Research and Outreach, US. Dans son allocution au cours de l’ouverture du forum, il avait déclaré que « les bonnes intentions seules ne suffisent pas. Notre bonne intention devrait viser à faire de notre mieux pour ceux dont nous nous soucions. Des données précises et fiables sont peut-être le meilleur moyen d'informer et de concevoir les meilleurs programmes pour les survivants et les victimes ».

Victoria Klimova de l’Organisation Internationale de la Migration (OIM) du Burundi a précisé pour sa part que « le partenariat est un accord formel entre les organisations tandis que la collaboration est volontaire, nous devons faire les deux, et efficacement afin d'être efficace dans la lutte contre l'esclavage moderne ».

Le deuxième jour du forum s’est articulé autour de la recherche et de l'engagement politique dans la lutte contre l'esclavage moderne.

Plusieurs tables-rondes et ateliers ont émaillé le forum au cours des deux derniers jours, notamment sur l'engagement politique dans le contexte africain et sur la manière de combler le fossé entre la recherche et la mise en œuvre. Il a été précisé durant les discussions que l'augmentation des politiques fondées sur des données et l'attention, ainsi que l'intérêt et le soutien continus des gouvernements sont essentiels dans les efforts de lutte contre la traite au niveau national.

D’autres discussions ont porté sur les opportunités et les défis des politiques de lutte contre la traite des êtres humains axées sur les données, mais aussi sur l'engagement éthique des survivants dans la recherche, ainsi que sur les limites de la recherche en Afrique en termes de manque de ressources et de culture.

« Pour que l'engagement des survivants soit significatif, il doit être structuré et formalisé. Les survivants doivent être impliqués dans toutes les étapes de la conception et de la gestion du programme. Cela évitera la symbolique. » a souligné Florence Soyekwo de l’organisation « Hope for Justice » d’Ouganda

 

Une survivante, Eunice Foloh du Cameroun, de l’organisation « Survivors Network » a lancé un véritable cri du cœur. « Mon calvaire en tant que victime de la traite découlait de mon besoin d'argent pour mieux subvenir à mes besoins. Un individu autonome a une grande capacité à résister au trafiquant » a-t-elle témoigné.

Cheikh Aïdara