Interview de Moulaye El Hacen Ould Soueilem, militant des droits de l’homme : « j’exige la libération immédiate de Mohamed Ould Ghadde »

mar, 02/04/2024 - 00:54

El Hacen Ould Soueilim est journaliste, homme politique, syndicaliste, militant des droits de l’Homme et membre de la Commission Nationale des droits de l’Homme (CNDH) depuis l’année 2023. Il avait créé en 2000 le journal « La Démocratie ». Il fut entre 1995 et 1997, journaliste à « El Mushahid », puis responsable de publication à « El Messar ». Il fut également adjoint au maire de la commune de Boulenoir (Nouadhibou) entre 2013 et 2018. Il nous livre son avis sur les différents sujets de l’actualité nationale.

L’AUTHENTIQUE : vous avez publié il y a quelques jours une déclaration demandant la libération de l’ex-sénateur et président de l’ONG « Transparence Inclusive » Mohamed Ould Ghadde, écroué en prison suite à une plainte déposée par le chef du patronat Zeine Abidine, qu’il accuse à travers plusieurs rapports sur des malversions commises par sa société de BTP dans l’exécution de la part du marché qui lui revient dans le projet Aftout Echarghi. Pouvez-vous nous en dire plus ?

El Hacen Ould Soueilim : j'ai été profondément choqué par la rapidité des procédures inhabituelles dans ce type d'affaires, ce qui risque de nous livrer au diktat des puissances de l’argent dans un contexte de restriction de plus en plus grande des libertés, et finalement, d’empêcher la société civile de dénoncer des actes de pillage de nos fonds publics.

Pourquoi cette rapidité des procédures et d'emprisonnement ne s’applique-t-elle pas à Zeine Abidine, dont dont les engagements annuels avec l’Etat dépassent désormais les cent milliards ? Est-ce que les marchés publics qu’il a déjà emportés ont été passés au crible et d’où lui viennent-ils ?

D’autre part, plus d’une dizaine de juges sont empêtrés dans des accusations et ne sont pas inquiétés, au contraire du Cadi de Sebkha qui vient d’être suspendu de ses fonctions. Pour dire la politique de deux poids deux mesures qui existent aujourd’hui dans les couloirs de la justice du fait du trafic d’influence et du népotisme.

J'appelle les Mauritaniens, quelle que soit leur position, à faire front face à ce tournant dangereux. J'espère que les hommes d'affaires ne suivront pas cet exemple parce qu'ils ont quelque vhose à perdre !

J'appelle également les autorités administratives et judiciaires concernées par cette affaire à faire preuve de clairvoyance dans toute décision qu’elles pourraient prendre concernant Mohamed Ould Ghadde, à prendre en considération les éléments contenus dans ses rapports sur le dossier objet de la plainte et à prendre une décision contre son organisation en sa qualité de personne morale dotée d’un statut juridique. La responsabilité incombe ici à tous les membres de l’organisation « Transparence inclusive », tous ceux ayant participé à la confection des rapports incriminés, et que ce ne soit pas Mohamed Ould Ghadde tout seul qui devient dans cette affaire le bouc émissaire.

L’homme est connu pour sa crédibilité et ses combats contre les injustices du temps de son cousin Mohamed Abdel Aziz qui l’avait emprisonné pour ses positions.

En définitive, je dirais qu’il ne faut pas qu’après la loi sur les symboles qui a magistralement réduit la liberté d’expression, qu’on nous impose une loi non écrite sur l’immunité des hommes d’affaires qui instrumentalisent la justice pour bâillonner tous ceux qui osent dénoncer les malversations et la corruption qui gangrènent notre pays.

L’AUTHENTIQUE : on vous connaît aussi déjà à travers un article diatribe publié en 2000 sous le titre « Nos hommes d’affaires, l’omniprésence » Penses-tu que cet écrit est toujours d’actualité ?

El Hacen Ould Soueilim : je pense hélas que nous n’avons pas évolué d’un iota par rapport aux réalités d’il y a plus de vingt-ans. Je crois même que les choses se sont empirées. A l’époque j’avais dit que dans notre pays, il est difficile de définir l’homme d’affaires mauritanien. Qui est-il réellement ? La question se pose tellement ce genre de personne est caractérisé par la mobilité dans sa boulimie de tout embrasser, mais aussi par son égoïsme du fait qu’il ne pense qu’à lui-même tellement il veut s’accaparer de tout et dans tous les secteurs, pas seulement de l’économie, mais de toute la vie du pays. Je crois que la Mauritanie a intérêt à suivre l’exemple américain et sa loi antitrust. La marque spécifique de l’homme d’affaires mauritanien fait que nous sommes le seul pays au monde où il a un statut éternel de nomades qui se déplace au gré de ses factures, de ses humeurs et de ses intérêts du moment.

L’AUTHENTIQUE : mais à défaut de définir l’homme d’affaires mauritanien, peut-on au moins décrire sa situation et son profil ?

El Hacen Ould Soueilim : dans notre pays, comme nulle part au monde, l’homme d’affaires voltige verticalement sans limite aucune et se répand horizontalement comme un rouleau compresseur. Ainsi, on peut découvrir qu’un vendeur de CD se hisse au sommet de la fortune en accumulant une gigantesque plus-value due à ses activités commerciales, qu’un commerçant devienne député, qu’un apprenti de voiture camion entre Nouakchott et Nouadhibou devienne sénateur.

Ce qui est inadmissible politiquement, injuste socialement, aberrant économiquement, c’est d’accepter que cette poignée d’hommes d’affaires concentre légalement entre leurs mains toute la richesse nationale, car chacun de ces hommes d’affaires est à la fois, commerçant, banquier, armateur, agriculteur, éleveur, transporteur, exportateur, prestataire de services et même politicien, exerçant tous les métiers existants et inexistants.

Cette situation de monopole aurait été supportable si ces hommes d’affaires payaient correctement leurs impôts, créaient des emplois, participaient à la construction des infrastructures sociales, ouvraient des opportunités devant tous les Mauritaniens en fonction des ratios de compétences et de productivité, qu’ils arrêtent de spéculer sur le marché noir des devises, qu’ils cessent de détourner nos richesses par l’entremise du trafic d’influence, du micmac et du faux en écritures, s’emparant au passage de plusieurs milliards de nos deniers publics 

L’AUTHENTIQUE : parlez-nous un peu de votre expérience en tant que militant des droits de l’homme et membre de la CNDH.

El Hacen Ould Soueilim : il faut dire que la CNDH a beaucoup œuvré pour la promotion des droits humains en Mauritanie, avec certes des hauts et des bas comme toute œuvre humaine. Parfois, son président, Ahmed Salem Ould Bouhoubeïny est accusé à tort d’être du côté de l’Etat, mais ce qu’il faut savoir c’est que la CNDH évolue dans un contexte difficile et contradictoire, car ses partenaires oublient qu’elle n’est qu’un organe consultatif dont les missions sont définies dans la loi de 2017 constitutive de cette institution constitionnelle.

Chaque fois que la CNDH marque des points dans l’évolution des droits humains dans notre pays, des mains viennent tout saborder. Par-delà la non contribution de certains pans de l’administration parfois dans ses interventions, des décisions improductives viennent saper tous ses efforts. C’est le cas par exemple de l’assignation de l’Etat mauritanien au niveau de certaines instances d’arbitrage international par une société arabe d’importation de ciment dont la dernière livraison, 55 containers, a été bloquée par la douane alors que le produit n’est pas soumis aux droits de douane car ses importations se déroulent dans une zone franche exempte de droits de douanes. Résultat, la société a perdu sa cargaison et a porté l’affaire devant les juridictions internationales, ce qui est un coup dur pour l’image du pays.

D’autre part, je voudrais dire que l’esclavage de type traditionnel et classique a presque disparu, et s’il en reste, ce ne sont que des résidus. Par contre, l’esclavage moderne ravage le marché du travail en Mauritanie, au point que les violations des règles du travail décent sont devenues une pratique normale, même au sein de l’administration publique.

Il faut dire que l’Etat est absent dans la plupart des cas, comme l’exemple de ce vieux enchaîné dans le village de Jedde près d’Aleg pendant plus de 4 ans et qui a préféré retrouver la liberté que de prendre l’argent qu’on lui tendait pour choisir entre les deux, être détaché de ses chaînes ou prendre l’argent. Où était l’Etat et où étaient les défenseurs des droits de l’homme, Boubacar Messoud de SOS Esclaves, Birame de IRA, Aminetou Mint El Mokhtar et les autres défenseurs des droits de l’homme ?

L’esclavage moderne est ainsi présent avec force dans les sociétés minières, dans le secteur de la pêche, notamment les sociétés chinoises qui concentrent la majeure partie de l’activité, notamment la société Polyhondong qui continuent à refuser d’appliquer les clauses contenues dans les cahiers des charges, comme le recrutement de 2.800 travailleurs mauritaniens.

C’est le cas aussi de la société Mauritanie SeeFood qui n’a recruté que dix agents administratifs mauritaniens proches des actionnaires, alors que la société exploite 30 containers de poissons par jour, et ne fait travailler que des journaliers étrangers mal payés et exploités au vu et au su des autorités régionales et de la direction du travail. Aucun profit pour la Mauritanie du fait de l’absence de l’Etat. Par cupidité, certains responsables mauritaniens sont prêts à vendre leur pays, car les vrais patriotes portent le pays dans leur cœur, alors que les autres ne sont que des occupants du sol.

Même si la question du tâcheronnat, la pire exploitation de l’homme par l’homme, continue d’être de rigueur au sein de la Société industrielle et minière (SNIM) comme dans beaucoup de sociétés minières et non minières, il faut reconnaître que cette société continue d’être une référence dans le traitement de ses travailleurs, en termes de traitement salarial, des revenus de production et d’opportunités de crédit, mais aussi en termes d’actions sociales à travers sa fondation.

J’exprime en outre ma satisfaction par rapport au déroulé du procès du dossier de Souvi Ould Cheine, et la diligence avec laquelle le tribunal a tranché cette affaire. J’espère que ce traitement exemplaire de ce crime saura se répercuter sur les autres affaires de même type.

L’AUTHENTIQUE : vous avez intégré la CNDH en tant que syndicaliste, pouvez-vous nous parler de votre expérience syndicale ?

El Hacen Ould Soueilem : je vous parlerai plutôt des mille et un problème du monde syndical et de ses rapports avec l’Etat, notamment le Ministère du Travail. Le premier problème est l’absence totale de transparence dans la distribution des subventions allouées aux centrales syndicales. Personne ne connaît la clé de répartition de cette subvention ni les critères d’attribution. Cela n’apparait pas non plus sur le site du Ministère du Travail.

Il y a un montant de 40 millions d’ouguiyas anciennes qui n’a pas changé depuis vingt-ans et qui était destiné à l’époque à seulement 8 centrales syndicales. Aujourd’hui, on en est à 49 centrales et le montant n’a pas évolué, mais la part des centrales a diminué comme peau de chagrin.

Tout récemment, le syndicat de l’Etat, l’UTM, s’est retrouvé toute seule avec un budget de 60 millions MRO dans un geste de favoritisme qui fait aujourd’hui de cette centrale une véritable institution de l’Etat par la force du patronat. Elle n’est plus ainsi une centrale comme les autres. Il y a aussi des passe-droits et des privilèges indus accordés à certains syndicats, les mêmes, toujours invités dans des forums, ateliers ou séminaires, que cela soit au niveau national ou international, notamment les voyages à Genève. Le clientélisme et le népotisme gangrènent le monde syndical.

L’AUTHENTIQUE : vous avez été pendant trois ans, de 2013 à 2018, maire adjoint de la commune de Boulenoir. Pouvez-vous nous parler de cette expérience ?

El Hacen Ould Soueilim : il faut dire que cette expérience a eu lieu avant la décentralisation, au moment où les autorités locales au niveau du département de Boulenoir et de la Wilaya de Dakhley-Nouadhibou n’étaient pas encore au top en matière de règles de fonctionnement des mairies.

D’abord, elles ont bloqué le jumelage qui devait unir la commune de Boulenoir à la commune de Watiya au Maroc, un jumelage qui a été signé côté marocain, mais bloqué jusqu’à nos jours, côté mauritanien.

D’autre part, le Festival international organisé par la commune de Boulenoir en partenariat avec la commune marocaine de Watiya n’a pas été étudié comme il le fallait, car les dépenses engendrées par ce festival ont beaucoup influé sur le budget de la commune, d’autant qu’aucune aide n’a été fournie par les autorités mauritaniennes, en l’occurrence le Ministère de l’Intérieur et le Ministère de la Culture. Parmi les avantages tirés de ce partenariat avec la commune de Watiya, la prise en charge totale pour des vacances au Maroc attribués aux élèves de Boulenoir. 

Propos recueillis par Cheikh Aïdara