Présidentielle Mauritanie 2024, un semblant de putsch anticonstitutionnel dans un contexte géostratégique favorable

mar, 09/07/2024 - 01:36

La Cour constitutionnelle a annoncé mercredi dernier, 3 juillet 2024, les résultats définitifs de l’élection présidentielle du 29 juin dernier reconduisant le président sortant, Mohamed Cheikh Ghazouani pour un second mandat.

Son principal challenger, Birame Dah Abeid, classé deuxième dans la course, continue de réfuter les résultats, déclarant ne pas reconnaître la légitimité de Ghazouani en tant que président de la République.

Ce refus annoncé au soir du scrutin, a été accompagné le lendemain par des manifestations qui ont embrasé le pays. Les marches massives ont notamment paralysé Nouakchott, Nouadhibou et d’autres grandes villes et agglomérations du pays.

Les signes précurseurs de la fraude électorale

Il était visible selon plusieurs observateurs, quelques jours avant le scrutin, que la répression allait être féroce dès l’annonce des résultats, au vu du grand déploiement des forces armées et de sécurité. Exactement comme en 2019, remarquent-ils, où l’armée avait déployé ses chars et ses canons dans les principales villes du pays, surtout à Nouakchott. 

L’opinion avait en effet été abreuvée d’images quelques jours plus tôt avec l’exhibition de milliers de véhicules flambants neufs, d’un arsenal de matériels militaires et d’hommes en tenue de combat. La rumeur expliqua cette grande démonstration de force comme destinée aux pays qui nous voudraient du mal. Personne n’avait fait le parallèle avec les élections en préparation. Pourtant, les véhicules blindés et les chars sur roue, ainsi que les camions bondés de soldats, furent les premiers à être déployés le jour du scrutin dans les grandes villes, transformant le pays en une forteresse assiégée.

Aux premières heures de l’aube de ce samedi 29 juin 2024, jour du scrutin, quatre responsables politiques, membres du Front pour le Changement, dont deux anciens ministres, furent arrêtés à leur domicile. Ils prônaient le boycott du scrutin bien avant le début de la campagne présidentielle. Il s’agit surtout de fidèles lieutenants de l’ancien président Aziz dont le dossier en Appel traîne encore devant les juridictions compétentes depuis sa condamnation le 4 juillet 2023. Sa candidature à l’élection présidentielle du 29 juin lui fut même refusée.

Le même jour du 29 juin, jour du scrutin, deux hauts responsables de la Coalition « Birame président 2024 », sont arrêtés et séquestrés. Il s’agit de Bakary Tandia, un mauritano-américain, directeur exécutif au sein de la campagne du candidat Birame Dah Abeid. Il a été chopé devant son bureau de vote, selon sa déclaration, alors qu’il était venu accomplir son devoir de citoyen. Il ne fut libéré que deux jours après avec des excuses plates et un boubou en guise de consolation. Il ne vota jamais.

Il sera suivi quelques heures plus tard par l’arrestation de Yacoub Lemrabott, directeur de campagne national du même candidat. Des informations relayées par la Commission de communication de la coalition évoque d’autres arrestations, notamment à Nouadhibou, avec le coordonnateur régional du mouvement IRA.

Hommes de loi ou milices ?

Si la police et la garde nationale sont sous la tutelle du Ministre de l’Intérieur, la gendarmerie nationale relève elle du Ministre de la Défense. Ce sont ces trois corps qui seront mobilisés pour mater toute contestation. Or, dans une République qui se respecte, le droit de manifester est pourtant garanti par la loi et par la Constitution. C’est ce qui tenait lieu en tout cas de ligne de conduite jusque dans ces dernières années. Malheureusement, même dans les plus grandes démocraties, ce droit semble tacitement avoir été amputé des droits fondamentaux. Il est vrai que le droit de manifester, reconnu dans la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948 et repris dans la quasi-totalité des pays du monde, est encadré par la loi. Cela pose une contradiction, car ce droit dont l’objectif est de faire pression sur les tenants du pouvoir repose sur leur autorisation. 

Si cela pose problème ailleurs, que dire alors d’un pays comme la Mauritanie où l’Etat d’exception subsiste, même s’il s’est enrobé du faux manteau de la démocratie. Ainsi, l’armée républicaine et la neutralité de l’administration ne sont plus que des formules creuses et galvaudées. Dorénavant, il faut faire le deuil de tous ses principes. La démocratie par la force prend ainsi le pas sur la démocratie élective dans plusieurs pays au monde. Les forces de l’ordre, ou hommes de loi, censées protéger la loi deviennent ainsi ses propres fossoyeurs. La notion de forces ou armées républicaines tendent à disparaître du lexique appliqué.

Il n’y a plus, presque partout dans le monde, que des milices publiques soumises à l’ordre du pouvoir. Pourtant dans une élection présidentielle en principe, le président sortant n’est plus qu’un candidat comme les autres. Le pouvoir réel revient en effet au peuple, dans l’intervalle de temps séparant la campagne présidentielle et la proclamation définitive des résultats. Ce qui n’est plus le cas.

Maitrise des institutions, menaces et bourrages

Il est extraordinaire de constater qu’à l’issue de toutes les élections qui ont eu lieu en Mauritanie, et cette présidentielle du 29 juin n’échappe pas à la règle, aucun candidat de l’opposition n’a jamais disposé de la totalité des procès-verbaux de vote.

Selon la direction de campagne de la Coalition Birame, plus de 700 de ses représentants ont été chassés des bureaux de vote par les présidents des dits-bureaux. Certains, même avec leur badge, n’auraient même pas été autorisés à pénétrer dans leur bureau, d’après leur version.

Dans ces bureaux où les représentants des candidats de l’opposition ont été chassés, ces derniers affirment que des bourrages d’urnes massifs ont été notés, donnant au président sortant des taux frisant les 100%. Ces pratiques auraient eu lieu en particulier dans les véritables greniers de l’Est, du Centre et Nord du pays, mais aussi dans certains bureaux du Trarza.

Les hauts cadres de l’administration auraient aussi été militarisés, sommés chacun d’aller faire campagne chez lui et de faire gagner le président sortant, sous peine de sanction pouvant leur coûter leur poste. Des ministres du gouvernement plongés dans le charbon de la bataille auraient ainsi menacé des localités de privation de tout service public au cas où elles voteraient pour le camp adverse.

Des institutions publiques auraient été aussi mises à contribution. L’Agence nationale de solidarité et de lutte contre la pauvreté (TAAZOUR) qui brasse des milliards d’ouguiyas aurait été mise à contribution. Des cash transferts et des microfinances auraient coulé à flot pour ceux qui voteraient pour Ghazouani. L’Agence des titres sécurisés qui s’occupe de l’Etat-civil aurait aussi été utilisé, ainsi que le Commissariat à la sécurité alimentaire qui supervise la distribution des vivres pour les populations démunies, la quasi-totalité de la population mauritanienne

Des milliers de pièces d’identité ont été par contre achetées comme des petits pains, au vu et au su de tous. Certaines de ces pièces d’identité auraient été utilisées pour alimenter les votes multiples et distribuées ainsi aux partisans du pouvoir, d’autres destinées à empêcher ses propriétaires de voter contre le président sortant.

Ajoutée à tout cela, l’intimidation faite à tous les hommes d’affaires de participer à l’effort de guerre pour la réélection du président sortant et une forte interdiction de verser le moindre sou aux parties adverses. Le président sortant et son staff de campagne auraient aussi largement abusé de l’argent et des biens publics pendant la campagne.

Une question reste cependant en suspens. Où sont passés les milliards de la campagne de Ghazouani, s’il est admis par des responsables de sa campagne, qu’aucun sou ne leur a été versé. Chacun a dépensé sur ses propres fonds collectés pour battre campagne.

Répressions sauvages, arrestations et morts de jeunes manifestants

Malheureusement, le nouveau mandat de Ghazouani placé sous le signe de la jeunesse a débuté dès sa réélection par la mort de quatre jeunes dont l’âge ne dépasse pas 21 ans à Kaédi. Certains ont parlé d’assassinat dans une brigade de gendarmerie à la suite de tortures. Une répression aveugle s’était ainsi abattue sur les manifestants, sans aucune raison, selon le témoignage de quelques jeunes détenus qui étaient dans la même brigade de gendarmerie que les morts.

Il n’y a eu ni vandalisme, ni casse, ni violence perpétrée par les manifestants, contrairement aux termes du communiqué publié par le ministre de l’Intérieur, selon plusieurs témoignages.  Beaucoup de jeunes arrêtés et torturés dans les locaux de la gendarmerie de Kaédi auraient été appréhendés chez eux ou marchant seuls dans la rue sans lien avec les manifestations.

Tous les détenus libérés parlent des tortures dont ils ont été l’objet, des conditions inhumaines de détention, entassés à plus de 30 dans une pièce exigüe sans aération, privés d’eau et dans une chaleur torride.

La quasi-totalité du staff de campagne du candidat Birame ont été ainsi mis aux arrêts à Kaédi et un peu partout en Mauritanie. Même des blogueurs et membres des commissions de communication du candidat sont encore incarcérés, notamment à Rosso et à Nouadhibou.

Certains avancent le chiffre de plus de 200 personnes, toutes faisant partie du staff de Birame Dah Abeid ou de ses partisans, détenus, soumis aux pires exactions. Il semble que la tâche est désormais confiée à la gendarmerie et non plus à la police.

Blanchiment de « crimes »

Paniquée par les évènements de Kaédi, la présidence mauritanienne a envoyé dare-dare deux de ses ministres originaires de la Vallée et appartenant aux mêmes groupes ethniques que les morts. Deux halpulaars, Coumba Bâ et Thiam Diombar. Appelés à la rescousse pour éteindre le feu. Et surtout, empêcher tout développement de l’affaire, notamment étouffer toute tentative d’enquête ou de procès éventuel. Il fallait exercer une forte pression sur les parents pour qu’ils enterrent leurs enfants. Ces derniers resteront toutefois stoïques refusant de passer l’éponge.

Dans la foulée, Birame Dah Abeid vint à Kaédi, traînant dans ses sillages depuis Boghé quelques véhicules de la gendarmerie qui tentaient de le provoquer, selon le témoignage de Abou Diop, un des membres de son staff qui l’accompagnait.

Une fois sur place, Birame rencontra les parents des jeunes martyrs, puis se dirigea vers l’hôpital où les corps reposaient encore. Il lui aurait été refusé le droit de jeter un coup d’œil sur les dépouilles. Les parents étaient restés sur leur position, exigeant une autopsie et l’ouverture d’une enquête. Mais ni les autorités administratives, ni le Procureur de la République, ni le Directeur de l’hôpital, n’autorisèrent cette autopsie. Le temps pressait et avec lui, la pression augmentait au sein de l’appareil d’état.

Des autorités maraboutiques et spirituelles auraient même été mises à contribution pour jouer sur l’aspect religieux, invoquant le pêché lié au refus d’enterrer les morts à temps. C’en était trop pour des parents faibles, démunies, vaincus par l’autorité de l’Etat et l’autorité religieuse. Ils plièrent et enterrèrent leurs enfants, mettant ainsi fin à toute possibilité de documenter la mort des quatre jeunes.

Birame Dah Abeid ainsi que tous ceux qui comptaient sur la justice pour donner l’éclairage sur ces tragiques évènements ne pouvaient que constater le mal. Même l’avocat dépêché de Nouakchott pour entamer les procédures était arrivé trop tard.

L’enquête sur la mort des quatre jeunes de Kaédi n’aura jamais peut-être lieu malgré les appels dans ce sens. Car, il est inconcevable dans un Etat dit de droit qu’une telle tragédie puisse passer par perte et profit.

Un contexte géopolitique favorable

La présidentielle en Mauritanie s’est déroulée dans un contexte mondial, régional et sous-régional en pleine ébullition. Ce contexte est surtout marqué par la dégringolade de toutes les valeurs universelles liées au respect des droits de l’homme et aux principes de la démocratie. Les conflits en Ukraine et en Palestine ont mis en effet à nu la gouvernance du monde avec le deux poids deux mesures qui caractérise désormais les relations internationales. Il est de plus en plus clair que tous ses principes étaient jusque-là utilisés et continuent de l’être selon les intérêts des grandes puissances.

Dès lors, fermer les yeux et les oreilles sur ce qui se passe en Mauritanie est dicté par les intérêts des prétendus gendarmes du monde qui perdent de plus en plus pied en Afrique. Chassés du Mali, du Niger et du Burkina Faso, avec des risques d’élargissement du camp des anti-Occidentaux dans l’ancien pré-carré, la Mauritanie reste un allié dont on ne souhaite pas la séparation. D’où l’attitude observée aux lendemains du scrutin présidentiel du 29 juin 2024 malgré les dénonciations de fraude brandies par l’opposition, les exactions contre les manifestations, les arrestations massives, la mort de manifestants dans des lieux de détention, pour ne citer que ces exemples. Malgré ces entorses, les pays de l’Occident ont été les premiers à féliciter le président Ghazouani pour un second mandat sans la moindre réserve sur sa réélection.

Mais avec toutes ses données qui ont entouré la présidentielle 2024 en Mauritanie, des questions restent suspendues. Pourquoi le camp de Birame Dah Abeid n’a pas déposé de recours ni auprès de la CENI ni auprès du Conseil Constitutionnel ? Pourquoi, alors qu’il récuse la légalité de l’élection de Ghazouani pour un second mandat, Birame a tendu la main au pouvoir pour le dialogue ? Un dialogue pourquoi ?

Cheikh Aïdara