La nuit des chars et du sang : mon témoignage sur la tentative de coup d’État le plus sanglant de l’histoire de la Mauritanie du 8 juin 2003

mer, 11/06/2025 - 11:20

La nuit des chars et du sang : mon témoignage sur la tentative de coup d’État le plus sanglant de l’histoire de la Mauritanie du 8 juin 2003

Ce témoignage retrace les heures sombres d’une nuit où la République a vacillé sous les chars et le bruit des balles. 

Une nuit que l’histoire retiendra comme la plus violente tentative de renversement du pouvoir en Mauritanie.

Il était exactement une heure du matin, ce dimanche 8 juin 2003. 

Nouakchott dormait d’un sommeil étrange et pesant. 

Je conduisais ma voiture, en compagnie de quelques amis que je devais déposer au quartier “ Îlot C” le quartier de la présidence. 

Les rues étaient presque désertes, la ville silencieuse, comme figée dans une attente angoissante.

En passant devant la Direction du Budget, en face de l’université, j’aperçus au loin une masse imposante. 

D’abord, je crus qu’il s’agissait d’un camion chargeur, mais à mesure que je m’en approchais, je réalisai qu’il s’agissait d’un char, avec un militaire armé posté à son sommet, avançant lentement dans ma direction. 

La scène était irréelle, mais je poursuivis ma route, déposai mes amis, puis m’arrêtai un moment dans la voiture pour observer ce qui se passait.

C’est alors qu’un avion surgit dans le ciel, survolant le palais présidentiel. 

J’observai des lueurs rouges fuser depuis l’intérieur du palais, semblant viser l’appareil. 

Je compris immédiatement que quelque chose de grave se tramait. 

J’appelai aussitôt mon père qui était à l’époque Directeur du Protocole du président Maaouiya Ould Sid’Ahmed Taya — pour lui faire part de ce que je voyais.

En poursuivant, je fis un arrêt devant la maison de l’ancien commissaire Abdatt Ould Seni, où je croisai son fils, accompagné de mon frère, le fils d’Ely Ould Mohamed Vall, alors Directeur général de la Sûreté nationale. 

Nous échangeâmes à peine quelques mots — je comptais regagner le domicile familial. 

Mais très vite, le fils du directeur général reçut un appel téléphonique pressant : il devait rentrer immédiatement chez lui en raison de la dégradation de la situation sécuritaire. 

Il me proposa de l’accompagner, ce que j’acceptai.

Nous arrivâmes rapidement à la maison — elle était toute proche — et montâmes dans sa chambre. C’est à ce moment-là que j’appelai de nouveau mon père pour lui dire que j’étais chez Ely Ould Mohamed Vall. 

Il me répondit fermement :

« Ne bouge pas d’un pas. Reste là où tu es. »

Je passai le reste de la nuit éveillé, debout au balcon, observant les mouvements militaires dans le quartier. 

Des chars circulaient, des explosions secouaient la ville, des rafales illuminaient la nuit. 

Nouakchott avait basculé en zone de guerre.

Mon père me rappelait fréquemment, soucieux de ma sécurité, répétant toujours la même consigne : ne bouge surtout pas.

À l’aube, mon ami nous proposa de monter dans la voiture. 

Le chauffeur personnel d’Ely Ould Mohamed Vall était au volant, et le directeur général lui-même était avec nous. 

Le chauffeur nous déposa ensuite à une maison au Ksar, puis reprit la route avec le Directeur Général. 

Nous restâmes à l’abri toute la journée du 8 juin.

Les nouvelles commencèrent à tomber :

 • Le colonel Mohamed Lemine Ould N’Diayane, chef d’état-major général des armées, avait trouvé la mort au cours des affrontements.

 • Le capitaine Mohamed Ould Louda’a avait été atteint de plein fouet par un obus de char.

Tout avait été d’une violence extrême, une nuit de feu et de sang.

Le lendemain, la chaîne Al Jazeera annonçait officiellement que la tentative de coup d’État avait échoué et que les autorités avaient repris le contrôle.

Ce que j’ai vu cette nuit-là n’était pas un simple trouble. 

C’était un tournant dans l’histoire de la Mauritanie. 

Une capitale écrasée sous les chars, un ciel strié de missiles, des rues envahies par la peur.

Ce 8 juin restera, à jamais, l’aube tremblante d’une page sombre de notre mémoire nationale.

Lehbib Melainine Tomy