Quelle ville pour notre bien-être ? Telle est la question centrale que les écrivains, dans le cadre de la 15ème édition du festival littéraire « Traversées Mauritanides » ont été amenés à débattre avec experts du bâtiment, architectes, urbanistes et environnementalistes. Cela s’est passé jeudi 5 décembre 2024 à l’Institut Français de Mauritanie (IFM) à Nouakchott.
« Comment nous moderniser sans détruire notre environnement ? » Cette question vient à point nommé car elle tombe alors que l’Etat mauritanien vient de consacrer 50 milliards d’ouguiyas à la modernisation de la capitale de la Mauritanie, Nouakchott.
Ont été interpellés par cette équation cruciale pour le devenir de cette ville confrontée à des défis sérieux sur le plan environnemental et climatique, Inès Senghor, autrice et architecte, Aïchetou Tandia, cadre au Ministère de l’Environnement et du Développement Durable, Oumar Welle, ingénieur en génie-civil président du bureau d’études Habitat et Développement en Mauritanie (HABIDEM) versé dans la construction à base de matériaux locaux et Marion Le Guilloux, Chargée de Croissance Inclusive et Durable auprès de la Délégation de l’Union Européenne à Nouakchott.
Construire des habitats durables
Les cris de la nature, confrontée à tant de supplices liés à la main de l’homme ou aux effets des changements climatiques, sont si audibles que les ignorer signifie être complice. Tel est le constat tiré par Inès Senghor qui a cité pêle-mêle les diverses agressions subies par Dame Nature, que cela soit, les érosions côtières, la perte de la biodiversité marine et terrestre, les émissions de gaz à effets de serre, la pollution, les changements climatiques, les catastrophes naturelles, etc.
D’où l’urgence selon elle, de proposer des dispositifs sociaux, économiques et environnementaux afin de léguer aux générations futures une nature généreuse telle que nous l’avons héritée.
Selon elle, la ville de Nouakchott offre ce contraste entre les exigences de modernité et l’urgence de se préserver contre un style à l’occidental, pourtant cause de la crise climatique actuelle.
Pour Inès, l’impérium est de construire des villes durables où urbanité et agriculture écologique peuvent coexister et où le vernaculaire ferait revivre les cultures et les valeurs africaines authentiques. Des villes au visage humain, où la solidarité, le bon voisinage et la simplicité reprendront leur droit de cité, chassant l’individualisme dans ses frontières originelles. Ce sont par exemple, cite-t-elle, les transports publics à la place des voitures personnelles, pour consolider ces liens de promiscuité humaine et limiter la pollution ainsi que les encombrements dans les villes.
Moderniser les villes oui, mais changer les mentalités
Pour Aïchetou Tandia, ingénieur en économie de l’énergie, d’autres composantes que physiques doivent être prises en compte dans le projet envisagé de moderniser Nouakchott, telles que les éléments ensoleillement et aération, ainsi que le paramètre climat dans la conception des bâtiments.
Selon elle, l’individualité a entraîné des types d’habitat et des modes de vie anti-environnementaux, reprenant l’idée avancée par Inès Senghor sur la prépondérance des véhicules personnels au dépend des transports publics.
Informer, sensibiliser et former seraient en définitive, d’après elles, des préalables avant tout projet de modernisation d’une ville.
L’agression environnementale permanente
Marion Le Guilloux trouve pour sa part que la Mauritanie est confrontée à plusieurs menaces, citant la désertification, le boom démographique, la surexploitation de ses ressources halieutiques et minières, la perte de la biodiversité, la menace marine, avec tous les impacts constatés sur la faune et la flore avec la disparition de plusieurs espèces terrestres dont les dernières survivantes sont sous le viseur des braconniers.
La Mauritanie figure à ses yeux parmi les pays les plus exposés aux effets des changements climatiques avec des hausses prévisionnelles de température dans des villes comme Nouakchott et Nouadhibou, mais aussi des baisses de la pluviométrie ainsi que l’augmentation de phénomènes liés à la rupture des parcours pastoraux.
Tous ces défis, selon elle, sont pris en compte par la Délégation de l’Union européenne dans ses stratégies et politiques d’appui aux efforts du gouvernement mauritanien. Il s’agit en général, précise-t-elle, des programmes d’atténuation des effets du changement climatique dans l’activité économique, à travers par exemple le développement d’une agriculture écologique responsable, respectueuse de l’environnement et d’une politique de préservation des stocks.
Le vernaculaire plutôt que l’industriel
Oumar Welle, directeur de HABIDEM, déclare à son tour travailler depuis son retour en Mauritanie il y a six ans, après 20 ans de vie en France, dans la valorisation des matériaux locaux dans la construction, dans le cadre d’un projet autofinancé qui prône l’écoconstruction.
Il s’est félicité des progrès notoires enregistrés par la Mauritanie, soulignant que le pays est très en avance dans ce domaine par rapport aux pays du voisinage comme le Sénégal où la législation reste encore rigide par rapport à l’utilisation de matériaux locaux dans la construction.
Selon lui, même sur le plan de la recherche scientifique et sur le plan de l’introduction de modules au niveau de l’école Polytechnique de Nouakchott, l’avancée de la Mauritanie est grande sur ce plan.
Il affirme que le bâtiment à base de ciment participe à hauteur de 39 % dans les émissions de gaz à effet de serre et n’offre pas assez de confort.
Il a donné des exemples de bâtiments construits par son entreprise que cela soit à Rosso sur commande publique ou à Nouakchott pour le compte de particuliers, il déclare que la comparaison est sans commune mesure entre un bâtiment construit avec du ciment et un autre à base de matériaux locaux, comme le sable, l’argile et le typha.
Ces derniers sont selon lui l’héritage d’un savoir-faire ancestral compatible avec le type de climat local. Ils conservent de la chaleur durant les périodes de froid et de la fraîcheur durant les périodes caniculaires. En plus, leur durée de vie est largement supérieur.
En définitive et selon le témoignage de quelques participants, la conférence a été instructive, car la plupart ignorait l’ampleur des avantages offerts par l’écoconstruction et l’existence même d’une charte qui serait en cours d’adoption au niveau du ministère de l’Environnement dans ce domaine.
Cheikh Aïdara