Relations sino-mauritaniennes dans la tourmente d’un monde tiraillé entre l’Occident et les BRICS

mar, 22/07/2025 - 19:42

A peine de retour de Washington et d’une rencontre qui a fait couler beaucoup d’encre avec le président Donald Trump, le président Ghazouani et son gouvernement viennent de fêter soixante ans de relations avec la Chine. Dans un contexte mondial marqué par un conflit latent entre Washington d’une part, Moscou et Pékin d’autre part, de quels jeux d’équilibres disposent Nouakchott pour tenir les deux bouts de la ficelle ?

« La relation bilatérale (entre la Chine et la Mauritanie : ndlr) a résisté aux changements mondiaux et reste aussi solide que le roc. » a déclaré l’ambassadeur de Chine en Mauritanie, citant l’intervention de Pékin dans l’accompagnement infrastructurel de la Mauritanie aux lendemains de son indépendance. Le Port de l’Amitié, l’hôpital national, le Musée, la Maison des Jeunes, jusqu’au récent Pont Madrid rebaptisé Pont de l’Amitié. Ces relations aujourd’hui centrées sur les énergies vertes et la transformation numérique, embrassent tous les secteurs, l’agriculture, la pêche, la santé, les infrastructures, etc.

Dans l’entretien téléphonique qu’il a échangé avec son homologue chinois à l’occasion de la célébration de ces 60 ans d’amitié, le président Ghazouani a loué « des relations fondées sur la coopération et l’échange dans un respect mutuel ». Ces relations, rappelle-t-il en substance, ont été renforcées en 2019, à travers des accords économiques stratégiques et une augmentation des échanges commerciaux de 7,59% en une année.

Relations Mauritanie-Chine dans le contexte mondial actuel

La Mauritanie n’est pas membre des BRICS, mais participe au format « BRICS Plus/Outreach » comme partenaire stratégique. Elle se reconnait dans le cadre visant la réforme de la gouvernance mondiale, notamment la réforme des Nations Unies et des institutions de Brettton Woods, s’inscrivant dans la même vision que la Russie et la Chine. Dans cette initiative visant la dédollarisation des échanges commerciaux et le développement d’alternatives au système SWIFT, la Mauritanie riche en ressources pétrolières, gazières et minières, trouve dans cette approche une opportunité de réduire sa dépendance au dollar et aux multinationales occidentales.

C’est dans ce contexte qu’elle consolide ses liens historiques avec la Chine qui lui a formé plus de 3500 diplômés et qui cherche à renforcer son influence dans les secteurs clés comme les infrastructures, la pêche, l’agriculture, l’énergie, entre autres.

Mais les défis restent prégnants. Il y a la Russie qui accroît son commerce en Afrique avec plus de 30% de part du marché et qui soutient la Mauritanie via l’Union africaine, créant ainsi une rivalité d’influence avec la Chine.

Il y a aussi les tensions au sein même des BRICS à cause de l’hétérogénéité des blocs, comme les divergences entre la Chine et l’Inde, voire les critiques de l’IRAN sur les positions du groupe par rapport au conflit en Palestine. Ces divergences sont exacerbées par les tensions avec les Etats-Unis qui taxent les BRICS d’anti-américains, auxquelles s’ajoutent les tarifs douaniers de Trump qui perturbent les chaînes d’approvisionnement, ce qui affecte indirectement les économies partenaires comme la Mauritanie.

Courtisée par l’Occident, à cause de son sous-sol, mais aussi de sa position stratégique, entre l’Afrique du Nord et l’Afrique Subsaharienne, à la frontière des Etats rebelles de l’AES (Alliance des Etats du Sahel) réfractaires au camp occidental avec leur poudrière jihadiste, la Mauritanie qui a également un pied dans le Sud Global, tout aussi hostile au camp occidental, a choisi de diversifier ses partenariats tout en étant capable de capitaliser toutes ces relations complexes et antinomiques.

 

De l’autre côté de l’Atlantique

La Mauritanie qui flirte avec la Chine et la Russie a aussi des relations privilégiées avec l’Alliance Atlantique Nord (OTAN), à laquelle elle a adhéré en 1995 à travers le Dialogue méditerranéen. Cette collaboration s’est d’ailleurs beaucoup intensifiée avec le renforcement des liens militaires et sécuritaires.

En janvier 2025, Javier Colomina, représentant l’OTAN, a visité Nouakchott dans le cadre de la lutte antiterroriste et pour sécuriser les frontières face à l’instabilité au Sahel. La Mauritanie est en effet qualifiée par l’OTAN comme « seul pays partenaire stable au Sahel ».

Une diplomatie d’équilibre

Tenaillée entre l’Occident et le Sud Global, deux camps antinomiques qui se livrent une bataille feutrée par proxy interposés, la Mauritanie est obligée de naviguer entre les eaux troubles des supers puissances. Elle s’y prend pour le moment avec beaucoup de tact, nouant des partenariats avec les deux camps.

La Russie vise les gisements de gaz de BirAllah avec ses 2,2 billions de mètres-cubes de réserves et dont le développement prévu en 2028 placerait la Mauritanie parmi les premiers exportateurs africains de GNL. Cela, sans compter les autres accords miniers en discussion.

Les pays occidentaux, la France, les Etats-Unis, l’Espagne, entre autres, courtisent aussi Nouakchott pour moult raisons, militaires, sécuritaires et économiques, notamment.

Mais les tensions entre la Russie et l’OTAN, face aux menaces de Wagner au Mali et l’insécurité sur le « flanc sud » de l’Alliance au Sahel, mettent la Mauritanie au cœur de la fournaise, surtout avec l’incitation au renforcement des bases militaires otaniens sur son sol.

Même si la Mauritanie a déjà signé en 2021 un accord militaire avec Moscou. Même si la Mauritanie est le premier partenaire commercial de la Chine avec 75% d’importations.

Cheikh Aïdara