Les données sur la migration internationale du Travail n’ont pas été jusque-là une priorité pour la Mauritanie, d’où leur quasi inexistence dans les stocks d’informations statistiques fournies par les principales sources de données que sont l’Office National de la Statistique (ONS), l’Etat-civil et l’Agence nationale pour l’Emploi des Jeunes (ANAPEJ), entre autres. Mais avec le concours technique du Projet «Appui à la Migration Equitable pour le Maghreb AMEM» du BIT et le soutien financier de l’Agence italienne de Coopération pour le Développement (AECI), les autorités nationales sont entrain de combler le vide.
Qui dit migration internationale du Travail dit migrants étrangers travaillant en Mauritanie et Mauritaniens travaillant à l’étranger. De ces deux catégories, l’administration mauritanienne n’a que des informations parcellaires, contradictoires parfois, inexistantes le plus souvent. Pour combler ce vide, les autorités nationales, avec l’appui technique du Projet «Appui à la Migration Equitable pour le Maghreb AMEM» du BIT et le soutien financier de l’Agence italienne de Coopération pour le Développement (AECI) se fixent un objectif ambitieux : consolider, harmoniser et coordonner le système national d’informations statistiques sur la migration internationale du travail. Un rapport portant sur «l’état des lieux des systèmes d’informations sur la migration du travail depuis et vers la Mauritanie », ficelé par le Pr. Isselmou Ould Mohamed Taleb, consultant, a été présenté lundi 21 octobre 2019 aux membres du Comité National Tripartite de Suivi (CNTS) du projet AMEM en Mauritanie.
Les participants avaient suivi auparavant une présentation du Projet AMEM avec focus sur deux objectifs pour les pays du Maghreb, l’amélioration des systèmes d’informations sur la migration du travail et les résultats attendus de l’état des lieux, par Mohamed Belarbi du BIT. Il a été complété dans sa présentation par son collègue, Aurélia Segatti, qui a mis la lumière sur les «Nouvelles directives concernant les statistiques des migrations internationales de main d’œuvre » à la lumière de la 20ème Conférence internationale des Statisticiens du Travail (CIST) qui s’est tenu en octobre 2018.
Qui sont les migrants internationaux
Dans son intervention, Aurélia Segatti a défini certains concepts, comme main d’œuvre qui fait référence «à l’offre de travail du moment pour la production de biens et services en échanges d’une rémunération ou d’un profit», mais aussi le concept de migrants internationaux adopté en novembre 2018 qui introduit deux nouveaux concepts, les migrants internationaux de retour et les migrants internationaux demandeurs d’emplois.
Ainsi, les migrants internationaux du travail englobent les travailleurs frontaliers, les travailleurs saisonniers, les travailleurs itinérants, les travailleurs employés à titre de projet, les travailleurs admis à un emploi spécifique, les travailleurs indépendants, les gens de mer, les travailleurs sur des plateformes en mer, les travailleurs domestiques étrangers, les étudiants étrangers exerçant un emploi ou une activité, les voyageurs internationaux exerçant un travail, les réfugiés et demandeurs d’asile exerçant un emploi ou une activité, les personnes déplacées de force et les personnes victimes de traites.
Sont exclus de cette liste, les militaires, les touristes, le personnel de centre d’appel, les autres personnes servant dans des services hors du pays.
Etat des lieux en Mauritanie
Résumant le Rapport qu’il a établi sur «l’état des lieux des systèmes d’informations sur la migration de travail depuis et vers la Mauritanie», l’ancien ministre et consultant du BIT, Pr. Isselmou Ould Mohamed Taleb a souligné que les sources sur la migration internationale du travail sont quasi inexistantes en Mauritanie. Aussi bien le RGPH 2013, les enquêtes sur l’emploi et le secteur informel (ENESI) ou les enquêtes sur les conditions de vie des ménages (EPCV) menés par l’ONS ne donnent pas d’informations sur l’emploi, sur le marché du travail et encore moins sur le travail des migrants. Idem pour d’autres structures, comme l’Agence nationale du registre des populations et des titres sécurisés (désigné sous le vocable Etat-civil) ou l’ANAPEJ, ou encore les services chargés de l’Emploi et du Travail ou les services du Ministère des Affaires Etrangères.
Il a mis en exergue l’absence de coordination entre les structures chargées du traitement des informations en Mauritanie, certains participants parleront même d’une culture de rétention de l’information ancrée dans l’administration nationale.
Plan de bataille pour des informations de qualité sur la migration du travail
Pour combler l’absence de données consolidées, harmonisées et coordonnées sur la migration du travail en Mauritanie, le consultant a concocté un véritable plan de bataille avec une batterie d’activités préconisées, telles que l’introduction d’un module migrations dans l’ENESI 2020 et un questionnaire urgent dans l’EPCV 2019, un appui à l’enregistrement et l’exploitation des fiches d’entrées et de sorties du territoire national, sur les visas accordés, sur les permis de travail et sur les fichiers administratifs des services d’utilité publique, avec la mise en place d’un système d’informations (SIMEF-MT) comme outil de coordination nationale des données sur la migration internationale du travail.
Cette batterie de mesures devra permettre de corriger les dysfonctionnements que le consultant a relevés, notamment l’absence d’un système de coordination des activités de collecte, de méthodologies, de concepts et de normes, l’absence d’analyses et d’évaluation des données disponibles, la non prise en compte de l’adaptation des données aux besoins des utilisateurs, la difficulté d’utiliser les données disponibles à titre comparatif sur le plan international.
A la fin des travaux, les membres du CNTS du projet AMEM se sont réunis en conclave. Ce comité est composé de membres représentants le Ministère du Travail (Direction du Travail, Caisse Nationale de Sécurité Sociale CNSS, Conseil National du Dialogue Social), du Ministère de l’Emploi (Direction générale de l’Emploi, ANAPEJ), du Ministère des Affaires Sociales (MASEF), du Ministère des Affaires Etrangères (Direction des Mauritaniens de l’Extérieur), du Ministère de l’Intérieur, de l’ONS, des Syndicats membres de la CSI (UTM, CGTM, CLTM, CNTM), et l’Union nationale du Patronat (UNPM). S’ajoutent à la liste l’AECI en tant que bailleur et le BIT pour assurer le Secrétariat de séances.
Réaction des participants
Mohamed Abdallahi, ANAPEJ : «je vous informe de la création au sein de l’ANAPEJ d’une nouvelle cellule pour la mobilité professionnelle qui se fixe comme objectif d’accompagner les Mauritaniens de retour au pays ou souhaitant le faire. Pour le moment, 60 candidats sur un objectif de 100, devront bénéficier, avec l’aide de l’Organisation Internationale sur la Migration (OIM) d’une aide et d’un suivi régulier post-réinsertion. Ce serait le lieu d’introduire les nouvelles normes du BIT en matière d’informations pour fournir des données sur les Mauritaniens de retour ».
Aboubecrine El Jar, MASEF : «les normes harmonisées du BIT sur les données relatives à la migration internationales du Travail doivent être conceptualisées sur la base du contexte mauritanien et intégrées dans le système d’informations et de collectes au niveau sectoriel »
Sinya Haidara CLTM : «le dispositif légal mauritanien ne permet jamais de gérer les questions migratoires, et ne prend pas en compte l’ensemble des instruments internationaux ratifiés ainsi que les données disponibles en matière de migration en raison d’un manque de diffusion de l’information surtout si les sources sont administratives, l’éternelle culture de rétention. Il est bon de savoir quelles mesures devront-elle être prises pour corriger ces dysfonctionnements».
Béchir Abdel Rezagh, ANAPEJ : «le problème en Mauritanie, ce n’est pas la collecte de l’information, mais le partage de cette information. Nous sommes tous victimes, car nous ne recevons pas d’informations, et nous sommes également acteurs de ce problème car nous faisons un peu de rétention de l’information. C’est là où résident toutes les difficultés du SIMEF (Système d’Information sur le Marché de l’Emploi et de la Formation) qui n’a pas pu être opérationnel après 3 ans d’élaboration, même si sa mise en œuvre est en cours. Et c’est le moment de réviser le SIMEF pour y intégrer un volet sur la migration internationale du travail».
Amadou MBaw, CNSS : «effectivement, nous souffrons ici en Mauritanie de la rétention de l’information de la part des responsables administratifs, qui ne veulent pas partager les données dont ils disposent. Par ailleurs, il existe un cadre de concertation qui regroupe 15 communautés étrangères en Mauritanie, donc une source potentielle d’informations, d’autant que ses membres se réunissent une fois par mois. Le problème est que l’administration se focalise sur le secteur formel et néglige le secteur informel, qui absorbe l’écrasante majorité des travailleurs migrants en Mauritanie».
Cheikh Aïdara