En partenariat avec l’ambassade des Etats-Unis d’Amérique, l’association Traversées Mauritanides a lancé les prémisses d’une campagne de sensibilisation et de débat à travers des échanges culturels contre le radicalisme. Un première table-ronde a été animée samedi 26 mars 2022 à la Maison de Quartier de la Cité Plage de Nouakchott, en présence d’éminentes personnalités et une assistance jeune.
La Maison de Quartier de Nouakchott a accueilli samedi 26 mars 2022, une table-ronde sur le thème « Echanges culturels sur la radicalisation ». La rencontre a été animée par le Pr. Sow Samba, professeur à la Faculté des Lettres et Sciences Humaines à l’Université Al Asriya de Nouakchott, M. Imam Cheikh Ould Ely, journaliste consultant, ancien Chargé de communication de l’UNICEF, ancien Secrétaire général du Ministère de l’Education Nationale, ancien Chargé de communication à la Primature et ancien Directeur général de la Télévision de Mauritanie. Parmi également les conférenciers, M. Bios Diallo, journaliste écrivain, président de l’association Traversées Mauritanides et Cheikh Nouh, poète et écrivain.
Ouvrant les débats, Bios Diallo a déclaré que cette rencontre intellectuelle et de réflexion est la première d’une longue série visant à faire de la Maison de Quartier de la Cité Plage un espace d’échanges et de débats à travers des séances périodiques où d’anciens étudiants des universités étrangères pourront faire revivre leur langue d’apprentissage, russe, espagnol, anglais, etc.
Il a ajouté qu’en collaboration avec l’ambassade des Etats-Unis d’Amérique en Mauritanie, son association lance une campagne de sensibilisation autour des questions relatives à l’unité nationale, la cohésion sociale et la lutte contre le radicalisme, par la culture du vivre ensemble et des bonnes valeurs, dont les bénéficiaires sont sans nul doute les générations futures.
Ouvrant la réflexion, M. Imam Cheikh s’est dit réconforté de voir que les jeunes, dont l’échantillon présent à la table-ronde était assez représentatif de la diversité culturelle du pays, ne sont pas dans ce clivage qui alimente les dissensions constatées à travers les réseaux sociaux. Il s’est tout aussi réconforté de constater qu’une telle rencontre se tient dans un quartier, la Cité Plage, caractérisé par un fort brassage. Il a formulé le souhait de voir dans quelques années les rapports humains supplanter les rapports ethnocentristes et que le Mauritanien puisse considérer l’autre, non pas sous le prisme culturel ou ethnique, mais en tant qu’être humain.
M. Imam Cheikh a ajouté que le changement individuel doit commencer dans les familles, à travers une sorte de constitution familiale où les stéréotypes seront bannis du langage des adultes, de sorte que les enfants puissent grandir loin des terminologies chargées qui alimentent le mauvais vivre ensemble. Exemple du petit arabe maure qui grandit avec une idée préconçue sur les Kwars ou ces préjugés cultivés chez les petits négro-africains sur le Thiapato ou Naar.
C’est un long combat, reconnaît-il, qui commence inéluctablement selon lui par l’ancrage dans les esprits, d’une manière individuelle et collective, que tous les Mauritaniens sans distinguo ont les mêmes droits et les mêmes devoirs.
Pour Cheikh Ould Nouh, le sujet est important et touche en profondeur l’avenir du pays. Selon lui, les Mauritaniens ont toujours vécu en symbiose et que le pays n’a jamais connu par le passé des clivages d’une ampleur comparable à celle que nous vivons aujourd’hui. Cheikh Nouh croit que les Mauritaniens sont capables de dépasser ces dissensions, soulignant que ce qui se passe est le fait de jeu politique et de manœuvres de ceux qui cherchent à nous tirer vers le bas. Enfin, il a conclu ces propos en citant Nelson Mandela qui disait « quand tu parles avec quelqu’un dans la langue qu’il comprend, il t’ouvre son esprit et quand tu lui parles dans sa langue maternelle, il t’ouvre son cœur ».
Quant au Pr. Sow Samba, l’un des plus grands spécialistes mauritaniens des faits sociaux, notamment les questions liées à l’unité nationale, la cohésion sociale, le dialogue culturel et la lutte contre le radicalisme, il a déclaré qu’on lui avait demandé un jour « quelle est la ville mauritanienne qui symbolise l’hospitalité mauritanienne ? », il a dû se rabattre sur le Pr. Abdel Wedoud Ould Cheikh, qui lui a indiqua Boutilimit, une ville cosmopolite où se brassent toutes les cultures, avant d’enchaîner par une autre anecdote qui confirme les propos précédents. Selon lui, il y a des Mauritaniens qui ne veulent pas que les Mauritaniens se parlent et que la radicalité se délite là où se renforcent les convergences culturelles. Pour lui, ce n’est pas l’Islam qui soude la société mauritanienne comme on le galvaude partout, mais c’est plutôt le partage de valeurs communes immuables.
Selon Pr. Sow Samba, c’est aux jeunes de détecter les signes précurseurs du radicalisme dans leur entourage, pour aider à la prise en charge des radicalisés avant qu’ils n’en arrivent aux armes. Il a souligné que toutes les approches testées jusque-là pour combattre le radicalisme ont donné des résultats mitigés, que cela soit l’approche sécuritaire, l’approche religieuse ou l’approche économique. Selon lui, aucune de ces approches ne saura aboutir si le combat n’est pas mené contre la mal gouvernance et le déficit dans l’offre culturelle. Et de donner l’exemple des jeunes diplômés qui se retrouvent sans perspective et sous pressions sociales, proies faciles pour les recruteurs des forces du mal.
Il a fustigé d’autre part l’émergence de la médiocratie qui a pris le pas sur la méritocratie, à travers tout un système de népotisme, citant Thierno Souleymane Baal décédé en 1775 et qui disait que le mérite doit reposer sur la connaissance, la droiture et l’honnêteté.
Parmi les interventions, celles qui ont soutenu que le radicalisme tire l’une de ses racines d’une mauvaise éducation et d’un mauvais environnement, d’autres qui soutiennent que nous créons nos propres radicaux par la généralisation de l’injustice, la légalisation de l’impunité, l’ancrage des privilèges de naissance, le cloisonnement communautaire et le repli identitaire, mais aussi l’exaspération des sentiments d’exclusion et de marginalisation.
M. Ismaïla Kane de l’ambassade des Etats-Unis d’Amérique, trouve que nous vivons ensemble en communauté mais nous ne vivons pas en relation, chaque entité vivant en vase clos, dans des quartiers compartimentés par ethnie ou par ensemble régional.
Pour le réalisateur Baba Mine, le rôle du cinéma et de la culture doit être valorisé comme arme de conscientisation des masses contre le radicalisme et pour l’ancrage des valeurs du vivre ensemble. Il a évoqué cette peur de plus en plus grandissante de se mélanger sous peine de se faire phagocyter et de perdre sa propre identité.
Enfin, la table-ronde s’est achevée par des esquisses de solution qui passent, selon certains points de vue, par un consensus entre décideurs, intellectuels et politiques, autour des questions inhibitrices de l’unité nationale et par le biais de concessions de part et d’autres pour une refondation des valeurs clés de la cohésion sociale entre toutes les composantes de la population mauritanienne.
Avaient assisté à la rencontre, outre un public à majorité jeune, composé d’étudiants et d’élèves du secondaire, des acteurs connus comme Fatou Kiné Diaw, ambassadrice de la paix, Kadia Thiam, actrice culturelle, Abdel Vetah, éditeur et ancien chargé de communication à la présidence de la République, entre autres participants.
Cheikh Aïdara