A l’occasion du 50ème anniversaire du Hip-Hop et en marge de la 16ème édition du Festival Assalamalekum, le siège de l’association Assalamalekum et de sa boîte « Zaza Production », sis à la Cité Plage de Nouakchott, a abrité jeudi 29 juin 2023, un panel sur le « rôle des artistes dans la consolidation de la paix au Sahel ». Animé par Didier Awadi, Monza et Fadel Dadidef Camara, sous la modération du journaliste culturel malien, Bocoum, le débat a réuni plusieurs artistes mauritaniens, maliens, béninois, ivoiriens, burkinabés, sénégalais, entre autres.
Alors que le Festival hip-hop, organisé par l’association Assalamalekum depuis 2008, bat son plein depuis le 22 juin 2023, avec deux concerts déjà produits à l’Institut Français de Mauritanie puis au Stade Olympique de Nouakchott, un panel a été animé jeudi 29 juin au siège de l’association. Le lendemain, les artistes se sont rendus à la cité économique du pays, Nouadhibou, quelques 400 kilomètres plus au Nord, pour un premier concert décentralisé du festival à l’intérieur de la Mauritanie.
Le débat sur le « rôle des artistes dans la consolidation de la paix au Sahel » a commencé par un tour de table pour faire connaître les trois panélistes, Awadi, Monza et Daddidef, sous la modération de Abdil Bocoum, journaliste culturel malien.
Le débat fut le lieu d’une mûre réflexion sur les défis auxquels sont confrontés les pays du Sahel (Mauritanie, Mali, Burkina Faso, Niger et Tchad) et leurs conséquences sur l’insécurité, terrorisme, trafics de tous genres, tensions inter-ethniques, pauvreté... Au cœur de la réflexion, le rôle de la société civile, en particulier celui des artistes, dans la consolidation de la paix.
La paix, un concept adossé sur des principes
S’exprimant à propos du rôle des artistes dans la paix au Sahel, Monza trouve que la paix est un concept qui s’inscrit dans un processus qui doit conduire à un environnement de stabilité, de compréhension, de consensus et d’acceptation de l’autre. Selon lui, les artistes ont un devoir et une contribution dans la consolidation de la paix, à travers leur rôle central dans le dénouement des crises, l’apaisement des tensions et la résolution des crises. « Etre artiste, c’est de dire tout haut ce que le peuple pense tout bas » résume Monza.
Pour lui, la question du Sahel est complexe et que d’un point de vue citoyen, il est important d’observer l’environnement géopolitique dans lequel baigne les pays du Sahel. Il souligne que cette région est confrontée à une série de problèmes à cause de ses richesses naturelles et de son sous-sol, objet de convoitise des puissances. Selon Monza, il y a des populations qui vivent dans cette région, qui n’ont pas droit, selon lui, à la parole et dont les souffrances sont rapportées par d’autres. Il reconnaît que la région vit dans l’instabilité et que le rôle des artistes est de transcrire le quotidien de ces populations.
Des générations désabusées
Sur l’exemple du Mali, Monza commence par le problème du passif humanitaire en Mauritanie où un groupe d’artistes a été mobilisé pour donner la dimension humaine à la situation. C’est ce qui aurait été fait au Mali avec l’artiste Awa Maïga, ici présente. Monza a évoqué le problème de l’immigration massive des jeunes du Sahel qui souffrent chez eux du manque de cadres d’épanouissement et de perspectives d’avenir.
« Toute une génération privée de leurs droits fondamentaux, du droit d’expression, même culturelle, du droit de loisir comme en Mauritanie. Répondre à tous ces problèmes fait partie du rôle de l’artiste » pointe Monza. Car, selon lui, cette situation pousse les jeunes, soit vers l’exil, soit vers la radicalisation. Ainsi, l’artiste, dira-t-il, doit porter ces souffrances à bras-le-corps, interpeller les décideurs, alerter l’opinion publique nationale et internationale, pour améliorer la situation pour éviter l’implosion des rues par une jeunesse qui représente 75% de la population au Sahel.
Industrialiser et digitaliser les traditions
Pour Monza, il s’agit de s’appuyer sur les valeurs morales dont regorgent les pays du Sahel pour stopper les vagues d’émigration et de radicalisation à travers la sensibilisation et les cris de conscience. D’où, selon lui, l’impérieuse nécessité pour les populations du Sahel d’industrialiser les traditions, donnant l’exemple de « Kirikou » cette BD africaine qui cartonne dans l’industrie du cinéma pour enfant. A travers ce patrimoine et la digitalisation, les jeunes africains sont capables selon Monza de creuser un filon qui leur permettra de monétiser leur propre culture.
Les artistes ne peuvent rien changer seuls
Pour Didier Awadi, ce ne sont pas les Rappeurs qui vont changer quoi que ce soit et qu’il appartient aux Etats du Sahel de prendre leur responsabilité. Si dans une partie du territoire, l’Etat ne met aucune infrastructure de base, la nature a horreur du vide, d’autres vont venir avec leur système de pensée et l’imposer par la force, explique-t-il.
Selon lui, ceux qui prétendent venir islamiser des populations qui sont déjà musulmanes, donnent déjà un aperçu de leur fausse mission. En réalité, dit-il, le fond de leur supposé Djihad, c’est le business qui se nourrit de l’absence d’Etat. Pour Awadi, ce qui se passe au Sahel est le fruit de nos propres incapacités car nous n’avons pas pu au début prendre nos responsabilités. Comment prétendre à l’indépendance si on n’a pas d’armée et que notre protection dépend de forces étrangères, se demande-t-il. Selon lui, nul ne peut raisonnablement déléguer sa sécurité à quelqu’un qui pendant des siècles vous a réduit à l’esclavage et vous a colonisé. De la même manière, poursuit-il, il est insensé de confier son argent à celui qui vous a volé pendant des siècles pour prendre l’exemple du Cfa.
L’incapacité de se prendre en charge
En gros, Awadi trouve que le problème du Sahel c’est le refus de son peuple et de ses gouvernants à prendre en main leur destin, préférant la confier à d’autres. Donc, les artistes auront beau chanter et danser, dénoncer et crier, dit-il, ils ne pourront rien changer s’il n’y a pas un Etat derrière eux.
Message auprès des réfugiés
Selon Fadel Camara dit DaddyDelf, les problèmes au Sahel sont de nature économique, politique et culturelle. Il a énuméré les activités menées pour le compte du HCR par son artiste, Le Baron, auprès des réfugiés maliens au camp de Mberra avec un concert qui a réuni plus de 8.000 personnes avec des messages porteurs. Il a aussi cité une autre aventure dans le cadre de l’UNICEF avec Adviser, ambassadeur de cette institution.
L’aspect économique
Selon Daddydelf, il faudrait régler le problème économique des pays du Sahel avec des projets complets avec des chaînes de valeur complètes, et non des projets qui se réduisent à de simples espaces d’autoconsommation familiale sans possibilité d’extension commerciale. C’est le modèle imposé au Sahel, selon lui par des bailleurs, à quoi s’ajoute la compétition imposée par les produits agricoles importés, comme ceux du Maroc, à bas prix, et non concurrentiels par rapport à ceux produits localement dans des zones isolées et qui ne disposent pas de l’infrastructure nécessaire pour la conservation.
Il a expliqué aussi comment par le poids de la dette coloniale, les pays du Sahel se sont livrés pieds et poings liés à certaines puissances.
Cheikh Aidara