Fuite de gaz du GTA, « BP n’est pas prête pour la mission qui lui est confiée » selon la société civile mauritanienne

ven, 14/03/2025 - 00:15

Au cours de la conférence de presse qu’elle a animé jeudi 13 mars 2025 au siège de la Plateforme des acteurs non-étatiques à Nouakchott, une dizaine d’organisations de la société civile actives dans l’environnement marin a jugé que la société British Petrolum (BP) en charge de l’exploitation du gaz mauritano-sénégalais, n’est pas encore prête pour la mission qui lui est confiée. En filigrane, la gestion jugée peu transparente de la fuite de gaz émanant du sommet du puits AO2 du champ gazier Grand Tortue Ahmeyim (GTA).

 

Vingt-trois jours après la fuite de gaz du champ pétrolier GTA, la société civile mauritanienne spécialisée dans le domaine de l’environnement marin, a animé jeudi 13 mars 2025 une conférence de presse pour mettre la lumière sur cet incident jugé dangereux pour l’écosystème marin en Mauritanie et au Sénégal.

La contre-expertise de l’IMROP

A l’entame de la conférence de presse, les participants ont suivi un documentaire présenté par Dr. Moulaye Wagne sur les travaux effectués dans le domaine de l’environnement marin depuis plusieurs années par l’Institut Mauritanien de Recherches Océanographiques et de Pêches (IMROP). Ces travaux ont porté, selon lui, sur les menaces de l’exploitation pétrolière et gazière en milieu marin, avec une réflexion lancée depuis 2019 au niveau des ministères de l’Environnement, des Pêches et de l’Energie portant sur des programmes de suivis basés sur la collecte d’informations relatives aux potentiels risques environnementaux liés à ces exploitations.

Cela se serait traduit par des analyses chimiques et le développement de tests écolotoxicologiques. La collecte d’informations aurait également porté, selon Dr. Moulaye Wagne, sur des dispositifs complémentaires du système de suivi de la biodiversité marine, jugée l’une des plus riches au monde.

Toutes ces informations collectées durant ces dernières années, avec cartes des pollutions et manuels de procédures à la main, ont été rendues sous forme de supports transmis aux acteurs concernés, notamment les autorités publiques, la société civile et le monde scientifique.

Avec la fin du programme financé par la GIZ, le Ministère de l’Environnement et du Développement Durable a intégré ce programme dans sa Stratégie de pérennisation du système de suivi de la qualité du milieu marin et côtier pour la période 2015-2019 puis 2020-2024. Tout au long du processus, des échanges constants et réguliers ont été maintenus avec les instituts scientifiques des pays voisins comme le Sénégal.

Dr. Wagne a rappelé que depuis 2012, des programme d’audit ainsi que de nombreux travaux scientifiques ont été menés, se limitant au littoral et aux côtes avant qu’un décret de 2020 ne vienne élargir les compétences de l’IMROP en zone off-shore.

Forte de sa nouvelle mission, l’IMROP, avec son partenaire sénégalais, ont ainsi lancé pendant un mois en 2021 avec l’expertise scientifique de la Norvège, la reprise d’études d’impacts environnementaux de l’exploitation gazière et pétrolière au niveau du GTA.

Des découvertes jugées d’extraordinaires ont été ainsi révélées, contredisant les données fournies par BP sur l’état des récifs. Alors que la société britannique parlait de récifs morts, la contre-expertise menée par l’IMROP et ses partenaires sénégalais et norvégiens révélait l’existence de zones riches en biodiversité marine avec la présence d’une succession de récifs vivants et actifs de 600 mètres de long et 6 mètres de hauteur.

La publication des résultats de cette étude avait créé un tollé notamment au niveau de la FAO qui avait financé une note dans ce sens, demandant à BP de prendre compte de cette nouvelle donne dans sa gestion d’études d’impacts de ses opérations.

Pour que cela ne se reproduise plus

La conférence de presse qui a été conclue par un communiqué rendu public, avait pour objectif, selon Maïmouna Mint Saleck, présidente de l’ONG BiodiverCité, de révéler que d’une part, la société BP s’était comportée avec légèreté quant aux risques potentiels de son exploitation sur le milieu marin, n’ayant pas pris en compte les recommandations suites aux mêmes incidents qu’elle avait provoqués dans le Golfe du Mexique en 2010, et que d’autre part, elle n’a pas joué la transparence en procédant à la rétention de l’information par rapport aux incidents survenus le 19 février 2025 ayant conduit à la fuite de gaz.

Et de rappeler qu’il a fallu dix jours à la société pour importer la pièce qui devait boucher la fuite, alors qu’elle devait disposer de tout l’appareillage en cas de problème sur place à Nouakchott, plus 13 jours pour acheminer la pièce sur site et procéder à l’opération de colmatage.

Vingt-trois jours de fuite de gaz dont il va falloir rendre compte, notamment son impact sur le milieu marin.

Il faut rappeler que les gouvernements mauritaniens et sénégalais se sont tous les deux réjouis de la résolution du problème. Mais quid de l’avenir ?

Cheikh Aïdara

Ci-après le communiqué publié par la société civile

« Nous, organisations de la société civile actives dans la préservation de la biodiversité marine et côtière en Mauritanie, signataires du présent communiqué, avons décidé d’organiser cette conférence de presse pour exprimer et justifier notre vive inquiétude par rapport à l’incident de fuite signalé au niveau de l’un des puits du projet Grand Tortue Ahmeyim.

Nous déplorons la relative discrétion de la compagnie BP dans les premiers temps de l’incident. La communication minimale de l’entreprise a suscité un grand nombre d’inquiétudes qui ont malheureusement été confirméesquandnousavonsapprisqu’ilavaitfallu10jourspourdisposer des moyens d’interventions sur site. Aujourd’hui, encore 13 jours plus tard, ces moyens n’ont toujours pas pu être mis en œuvre pour colmater le puits.

Nous ne sous-estimons pas la difficulté d’intervention aux grandes profondeurs où se situent l’accident, mais nous regrettons vivement que la compagnie BP n’ait pas fait montre d’une meilleure communication et d’une plus grande transparence vis-à-vis des parties prenantes locales et même internationales.

L’histoire du développement des hydrocarbures offshore dans la sous- région a permis aux pays concernés et notamment la Mauritanie de disposer de l’appui d’une communauté scientifique qualifiée, pour guider le déploiement de la lutte la plus adéquate avec le moins d’impact, sachant que les compagnies pétrolières ont souvent recours aux dispersants pour éviter que la pollution atteigne le littoral et qu’elles soient plus visibles des observateurs, des populations résidentes et des médias.

Nous constatons ainsi, avec grande consternation, que BP n’a pas pris en considération les recommandations de la Commission d’Enquête sur Deepwater Horizon au sujet des bouchons de puits (capping stacks) et des moyensd’interventionimmédiatsquidevraientêtredisponiblessurplace, pour éviter qu’un puits ne devienne incontrôlable-surtout en présence de condensats et de pétrole brut.

Et c’est le lieu pour nous, de formuler les recommandations suivantes pour éviter que de tels incidents n’arrivent et pour travailler ensemble dans l’intérêt général :

Par rapport à cet incident et conformément aux cadres légaux en vigueur en Mauritanie et auxquels la compagnie BP est soumise:

Il serait absolument nécessaire

o       de diligenter un audit indépendant pour évaluer les impacts environnementaux réels de cette fuite (recommandations du Panel Pétrole 2009 en de pareilles circonstances ;

o       de mettre en place une procédure de reporting quotidien sur l’évolution de l’incident (cf. Plan POLMAR et politique sectorielle au niveau des hydrocarbures) ;

o       de partager toutes les images satellites de la fuite disponibles, sur lesquelles la société civile voudrait faire ses propres analyses pour évaluer la quantité de gaz qui sTest échappée du puit(cf.l’InitiativedeTransparencedesIndustriesExtractives);

o       d’informer lTopinion sur les actions déployées pour contenir la fuite et pour minimiser les risques pour la faune et la flore marine.

Pour le moyen et le long terme (et ce conformément au Guide desMeilleures Pratiques auxquelles se réfère la compagnie bp dans sesétudes d’impact ) :

o       Mettre en place un Conseil Consultatif des Citoyens constitué des OSC actives sur le littoral et des représentants des communautés côtières pour cogérer, avec la compagnie BP et les autorités, les situations de crises ;

o       Développer et mettre en œuvre un plan de surveillance pour prévenir tout impact du GTA sur ces écosystèmes sensibles ;

o       Ratifier le protocole de la convention dTAbidjan relatif aux installations pétrolières et gazières offshore ;

o       Organiser des cycles de formation pour la société civile afin de renforcer leurs capacités et leurs connaissances ;

o       Valoriser     et       divulguer    les     connaissances       scientifiques         qui doivent absolument être un outil d’aide à la décision pour toutes les parties prenantes (Gouvernements – Société Civile – Compagnies pétrolières) ;

o       Réaliser des études de recherche scientifique vers la zone sud qui ne dispose pas de data (données) pour mieux la connaître (sa vulnérabilité, sa richesse. etc) et mieux la protéger.

O Améliorer la communication des parties prenantes et respecter le droit à l’information des citoyens – sans oublier les partenaires au développement des pays de la sous-région.

o Mettre en place un programme de réparation et de compensation pour les dommages causés à l’environnement.

Fait à Nouakchott, le 12 mars 2025