
Abdoulaye Mamadou Daouda Baro alias Thierno Mouminina Sakho s’est éteint ce mardi, tranquillement chez lui, exactement comme il a vécu. Natif de Boghé, métisse culturel et biologique, Abdoulaye Baro est diplômé de la Sorbonne en Lettres et Sociologie. Il débute sa carrière professionnelle comme professeur puis censeur au lycée de Rosso jusqu'aux événements de février 1966. Il sera successivement directeur de l’ENA et Haut-commissaire à l'Enseignement technique et à la Formation des cadres avant d’entamer une longue carrière ministérielle. Son entré au Gouvernement de feu Moctar ould Daddah (rahmatou Allahi aleyhi), en juillet 1968, comme Ministre de l'Enseignement technique, de la Formation des cadres et de la Fonction publique, marque un point d’inflexion majeur du régime mauritanien, fortement impacté par la crise raciale de 1966, les tueries du 29 mai 1968 à Zouerate et l’émergence d’un courant de gauche dans le sillage de mai 68. Abdoulaye Baro et ses amis, Sidi ould Cheikh Abdallahi (rahmatou Allahi aleyhi), Ahmed ould Sidi Baba (qu’Allah lui prête longue vie et bonne santé) et tant d’autres, vont être les animateurs d’une aile réformiste au sein du Parti du Peuple Mauritanien, aile dite des “Technos”. C’est en réalité une nouvelle élite diplômée, comptant de brillants intellectuels et des profils variés, qui apporte un sang nouveau au PPM qui, sous le poids des facteurs centrifuges, peine à faire avancer l’idée de la construction d’une Nation.
Depuis cette date, Abdoulaye Baro est aux premières loges du Gouvernement, en tant que technocrate chevronné et conseiller avisé. Le département du Travail lui sera d’ailleurs rattaché en septembre 1971. Et c’est là qu’il expose tous ses talents avec une gestion fine et intelligente de la crise syndicale complexe, jusqu'au congrès du PPM d'août 1975. Et depuis, il enchaine les portefeuilles stratégiques : Ministre d'État chargé de la Promotion sociale, Ministre d'État chargé de la Promotion rurale, puis Ministre d'État chargé du Plan et des Mines, tout en présidant le conseil de surveillance de la SNIM. De toute évidence, Abdoulaye Baro représente l'archétype de l'intellectuel-technocrate mauritanien.
Abdoulaye Baro n’était pas cependant qu’un technocrate compétent. C’était un homme exigeant, et avec lui-même d’abord. Homme de principe, ordonné, méthodique, ouvert, discret, lucide et très tatillon sur la rectitude et la performance, Abdoulaye était tout cela à la fois. L’histoire retiendra qu’il aura pesé lourd, avec d’autres, dans les Grandes Réformes telles que la création de l’ouguiya, la nationalisation de la MIFERMA et la révision des accords avec la France. Il sera également de ceux qui ont pris langue avec les Kadihines pour baliser le chemin de leur intégration au PPM.
Se sont toutes ces qualités qui expliquent que ould Taya ait fait appel à lui comme Secrétaire général du Gouvernement, pour assurer la continuité de l’État, le contrôle de légalité des actes de l’État et la coordination de l’action gouvernementale. Il assurera cette fonction avec compétence et effacement, toutes choses encore admirés par tous ses collaborateurs directs. Se sont également ces mêmes qualités qui expliquent sa brève carrière en international, comme conseiller du gouvernement sénégalais sur les questions d’éducation et comme expert à l’UNESCO.
Lors des événements de 1989, malgré la douleur impactant sa propre famille, Abdoulaye Baro a observé avec dignité le chancellement en quelques jours d’une œuvre patiemment construite des années durant. Son ami et mon cousin feu Bouna Kane (rahmatou Allahi aleyhi) m’a un jour rapporté cette réflexion qu’il avait tenu : “face à une tempête imprévue et d’apparence irrésistible, il faut garder toute sa tête car c’est elle qui commande la résilience”.
Même après sa retraite politique en avril 1991, Abdoulaye Baro a continué à influencer le débat public. Chargé de délicates missions d'intermédiation lors des drames d'avril-mai 1989, il a, sans tambour ni trompette, contribué au rétablissement des fils rompus. Sa sagesse, son expérience et sa hauteur ont fait de lui un homme écouté par tous et capable de parler à tous. Ainsi, il a souvent joué un rôle d'interface entre différents courants politiques.
Avec sa disparition, la Mauritanie perd un Grand Homme, un homme qui a été au cœur de l'histoire politique mauritanienne postindépendance.
Par devoir de mémoire et pour m’acquitter d’une dette générationnelle, je ne pouvais que me joindre aux hommages unanimes rendus à un homme d’une si grande dimension. Qu’Allah le Tout-Miséricordieux, dans son infinie bonté, lui accorde le plus haut degré de son Paradis. Inna lillahi wa inna ileyhi rajioun
Birane Hamath Wane (page Facebook)