Par son second mariage, il a mis fin à une entente familiale vieille de vingt-ans. Certes, rien ne lui interdit, dans sa religion, l’islam, de convoler en justes noces, si les conditions sont réunies, mais il devait savoir que satisfaire un plaisir – un désir – ne vaut pas tout le tort qu’il porte à sa femme et à ses trois enfants dont un encore en bas âge.
Tout allait dans le meilleur des mondes possibles pour Sadvi. Six mois déjà qu’il vivait avec Halima qui avait accepté de respecter le « pacte » de seconde épouse. Il ne vient la voir que quand il peut, c’est-à-dire, fréquemment le jour, en allant au bureau, entre 8 heures et 10 heures, et une fois sur deux, le soir, entre 20 heures et 00 heures. Il lui arrivait de « pousser jusqu’à 1 heures ou 2 heures du matin, prétextant avoir été pris par le travail de nuit que lui imposait le port !
Tout allait dans le meilleur des mondes possibles, jusqu’au jour où, son fils de 12 ans, jouant avec un ami de classe, à quelque 1800 m du domicile familial, remarqua la voiture de son père garée devant une luxueuse villa. Le soir, il en fait la remarque à son père qui le stoppa net par cette réponse :
- Oui, j’étais avec mon ami Ahmed.
Un deuxième mensonge, après celui du travail de nuit. La pauvre mère de famille ne prêta guère attention à cet échange entre le fils et le père étant à mille lieues de penser que son homme pouvait la tromper, la trahir plutôt, elle qui l’avait préféré, à l’époque, à un riche homme, croyant en l’amour comme première valeur fondant une famille.
L’enfant vit la voiture une seconde fois, une troisième, et n’en pouvant plus, décida de conduire sa mère vers cette maison où son père avait élu domicile. Elle faillit perdre la tête quand elle vit son mari sortir et s’engouffrer dans sa voiture. Elle se dirigea vers lui, ouvrit la portière avant et lui dit :
- Voilà, ce sera elle ou moi. Fini le mensonge. Tout ce temps que j’avais cru en toi…
Elle entra dans une rage indescriptible, à tel point que Sadvi crut qu’elle était devenue folle. Elle criait à l’intérieur de la voiture attirant les regards de passants qui imaginaient certainement que la cause d’une telle scène de ménage ne peut être qu’un « crime » d’infidélité dont la victime est souvent la femme et les enfants. Elle vit un vrai dilemme : accepter de partager son homme, de perdre une partie de son affection, ou décider de le quitter, de faire ce terrible saut vers l’inconnu.
La polygamie, bien qu’autorisée en Mauritanie et dans plusieurs autres pays musulmans, d’Afrique et d’Asie, pour l’essentiel, est l’une des pires violences faites aux femmes, quand elle est pratiquée sans le consentement de celles-ci et, surtout, quand l’homme n’agit pas en responsable regardant plus l’intérêt de son épouse et de ses enfants avant de chercher à satisfaire sa libido.
Ainsi, le cas de Halima n’est qu’un exemple parmi des dizaines, voire des centaines de milliers d’autres. Des femmes qui subissent des sévices moraux, qui souffrent parfois en silence sombrant dans une sorte de folie douce que ne remarquent que leurs maris ou leurs parents proches. Il s’agit d’une non assistance à des personnes en danger, quand le mari préfère ignorer ce drame et continuer sa vie comme il l’entend, voyant dépérir cette femme qui ne mange plus, ne dort plus, ne réfléchit plus, ne prend plus soin d’elle-même et regarde ses enfants prendre la mauvaise pente.
En Mauritanie, les études sur les violences faites aux femmes ne considèrent généralement pas la polygamie comme un « cas » flagrant de l’hégémonie des hommes, bien que le phénomène soit de plus en plus répandu, toutes communautés confondues.
Il y a déjà deux décennies, une étude financée par la Banque mondiale montrait que 17,8% des femmes mauritaniennes sont des divorcées (étude sur le divorce en Mauritanie, Projet IDF-27298, Banque Mondiale, 2002). Et quand on parle de divorce, on pense directement à la raison principale qui est le refus de la polygamie.
Ce refus peut se transformer en traumatisme. Halima disait souvent à son homme que son refus de la polygamie est celui de le « partager » avec une autre femme. La nuit où il n’est pas avec à la maison, elle ne dort pas et, il est vrai, qu’à chaque fois qu’il rentrait à 7 heures du matin, il la trouvait assise, chapelet à la main. Le regard qu’elle lui jetait disait tout sur son malheur, le Mal qui la rongeait de l’intérieur et qui apparaissait, à l’extérieur, dans cette perte de poids que lui-même remarquait quand il partageait des moments d’intimité.
Elle a tout essayé pour le garder pour elle seule. La pression de la famille d’abord. L’ami vivant à l’étranger qui appelle pour un retour à « l’ordre », vantant les vertus du couple soudé, travaillant pour le bonheur des enfants. Puis, ultime recours, une réunion de famille, avec les enfants, à qui la mère, perdant tout contrôle d’elle-même, les somme de choisir entre elle et leur père qui a fait « ce que vous savez », dit-elle. Un point de non retour, une souffrance de plus pour cette mère courage qui refuse d’abdiquer mais qui sait, à l’intérieur d’elle-même, que la bataille est perdue d’avance.
Sneiba Mohamed