Femmes mauritaniennes : Acquis, symboles et préjugés

lun, 09/03/2020 - 00:03

La femme mauritanienne. S’il s’agissait simplement de refaire le parcours de  l’indépendance à nos jours, on aura la latitude de parler, à profusion, des acquis, symboles et préjugés qui entourent la vie de nos « moitiés », celles qui ont pris conscience, comme partout dans le monde, de la nécessité de se prendre en charge et de participer de manière active au développement du pays.

 

 

La participation de la femme, dans le contexte d’une Modernité en continuelle renouvellement, dépasse le simple cadre de cette affirmation d’un principe d’émancipation (le 08 mars de chaque année), ou même de parité, pour atteindre celui de la plénitude, de l’accomplissement à travers la participation à la prise de décision politique, économique et sociale.

Aujourd’hui, on  n’évoque plus, sous le ton de l’anecdote, ces symboles de la « première femme à aller à l’école », de la « première bachelière » du pays ou de la « première femme » à occuper le poste de ministre, mais on s’amuse à « compter », en termes de pourcentage, les femmes députés, les femmes membres du gouvernement  ou encore, avec un brin d’anxiété quant au rapport de forces à venir, le taux d’accès des filles à l’université !

En Mauritanie, l’état des lieux des « conquêtes » féminines, dans tous les domaines (politique, social, économique) est généralement établi à l’occasion de manifestations (le 08 mars, par exemple) ou de déclarations faites dans les médias. On tente, vaille que vaille, à donner de la visibilité au « parcours des combattantes », en comparant ce qui était à ce qui est, mais aussi en se projetant dans l’avenir pour tendre vers l’Idéal : plus de postes, plus de libertés, plus d’éducation pour les filles, plus de santé pour les mères et leurs enfants…

Les efforts fournis par l’Etat qui a célébré cette année  le 08 mars sous le thème « la décennie de la femme mauritanienne », se veulent constamment comme une reconnaissance par les femmes du chemin appréciable qu’elles ont parcouru de l’indépendance à nos jours. La représentativité politique n’est plus le principal critère d’appréciation de cette participation à la construction nationale mais bien la « conquête » d’activités jusque-là réservées aux hommes.

Il faut reconnaître d’abord que, s’il faut parler du « politiquement correct », les femmes mauritaniennes ont gagné des batailles sur plusieurs fronts. Des acquis sur lesquels il faut construire et consolider, pensent la plupart d’entre elles.

Ainsi, dans la formation de chaque gouvernement, la première chose que l’on regarde est celle de la parité. Combien de femmes ?

Aux premières années de l’indépendance, il n’y en avait pas plus d’une, puis on est passé à deux ou trois, confinées dans les portefeuilles à caractère social (Condition féminine, Santé). C’est véritablement après le changement d’août 2005 que les femmes ont « forcé » les portes de la politique, non seulement en tant qu’objet (quand elles prennent l’initiative dans l’organisation des meetings), mais comme sujet (en parvenant à s’investir dans les formations politiques et à occuper des postes d’importance, au gouvernement et à la tête d’administrations et de sociétés d’Etat).

La forte implication du « sexe faible » qui prend de plus en plus conscience de sa force cachée, a fini par porter ses fruits, quand les décideurs politiques ont accepté, d’ouvrir encore plus les portes du gouvernement à leurs consœurs. Ainsi, pour la première fois, en 2009, les femmes occupent cinq portefeuilles dont un de souveraineté (Affaires étrangères). En son temps, la nomination de Madame Naha Mint Hamdi Ould Mouknass à la tête de la diplomatie mauritanienne avait assuré à la femme mauritanienne une place de choix dans ce qui se dit (ou s’écrit) sur la femme arabe et africaine. La palme de « première femme arabe ministre des Affaires étrangères » nous est ainsi revenue. L’histoire le retiendra, pour toujours.

Dans le gouvernement actuel, elles sont cinq (5) siégeant dans un Conseil des ministres où l’une d’elle, Coumba Bâ, de par son statut de ministre conseillère, occupe le troisième poste protocolaire, après le Premier ministre et le ministre secrétaire général de la Présidence. En termes de pourcentages (17,25%), c’est beaucoup, par rapport aux premiers gouvernements entre 1960 et 2005, mais évidement encore bien trop peu pour nombre d’élues et de femmes engagées dans les partis politiques et la société civile.

Ces braves Dames commandent (à l’égal des hommes dans d’autres départements) le Ministère de l’habitat, de l’urbanisme et de l’aménagement du territoire, le ministère de l’Hydraulique et de l’Assainissement, le ministère des Affaires sociales, de l’enfance et de la famille et le ministère de l’environnement et du développement durable.

La Ville de Nouakchott est aussi sous « domination » féminine depuis quelques années, avec Mme Maty Mint Hamadi, quand elle avait le statut de Communauté urbaine, et actuellement, avec Mme Fatimetou Mint Abdel Maleck, comme Conseil régional.

Si l’on se réfère aux données livrées par le FNUAP en Mauritanie, notre pays fait mieux, en matière de participation politique des femmes, que la moyenne mondiale passée de 02%, en 2005, à 18% cette année. Au niveau de l’Assemblée nationale, par exemple, le rapport hommes/femmes est de 128, pour les premiers, contre 29 pour les secondes, soit 18,47%.

 

Droits acquis et préjugés

 

En politique, si les femmes ne font pas encore jeu égal avec les hommes, dans la parité tant recherchée sous d’autres cieux au niveau du gouvernement (en France, par exemple, où les femmes occupent 50% des 21 postes de ministres et 13 secrétaires d’Etat), ou encore à l’assemblée (61% des députés sont femmes au Rwanda), elles vivent aujourd’hui leur « âge d’or » avec l’intérêt croissant que leur accorde l’actuel pouvoir. Lentement mais sûrement, elles assument et s’assument. On dit même, en période électorale, que les campagnes sont une affaire de femmes. L’animation qui fait l’essentiel de l’action politique, déterminante en termes d’audience populaire, est laissée entre les mains de la gent féminine qui, selon les dernières statistiques disponibles (Projection démographique Mauritanie, Mai 2016, ONS) représentent 50,66% de la population du pays !

 

Si en France, on planche sur une loi contre la discrimination au niveau des salaires (à compétences égales, les hommes gagnent 9% de plus que les femmes), en Mauritanie, on n’a jamais entendu parler de « ce délit de faciès ». Hommes et femmes changent de rôles au niveau des secrétariats généraux de ministères, des directions et autres projets de développement. Elles sont désormais présentes dans le corps des magistrats. Elles sont nommées walis ou hakem (préfet) et sont présentes dans tous les corps militaires ou paramilitaires. Elles viennent, pour la première fois, de faire leur entrée au Conseil constitutionnel. Certaines ont même défié par le passé « l’hégémonie » des hommes en se lançant dans la course à la magistrature suprême ! Elles président aux destinées de partis politiques, dirigent des entreprises, des ONGs, voyagent aux quatre coins du monde, étant présentes, de façon significative, dans le secteur économique depuis le début des années 1980. 

 

Elles demandent encore plus

 

Mais la représentativité féminine au sein du gouvernement (5/28), quoique proche du quota de 20% prévu par un décret présidentiel, pour les mandats éligibles, la recherche de plus de représentativité féminine n’est réellement suivie qu’au niveau de l’Assemblée nationale où elles représentent environ 20% (29 députées sur un total de 157). Dans le sénat dissout en 2017, elles étaient seulement 8 sur 56 (14,28%) ! On se rappelle qu’elles avaient vivement protesté quand elles ont été exclues, par manque de galanterie, du bureau de la chambre haute formé de 8 sénateurs ! Un passé révolu qui ne devrait pas rappeler de bons souvenirs  à nos femmes politiques.

Selon des analystes, les femmes mauritaniennes s’affirment comme un maillon incontestable dans la vie politique nationale, ce qui leur donne un statut beaucoup plus valorisé. En effet, affirment-ils, elles ne sont plus seulement considérées comme de simples pourvoyeuses de voix pendant les élections. Ce qu’il faut maintenant pour elles, c’est de mener un combat pour la parité au niveau de l’administration et des bureaux exécutifs des partis politiques. Car, là encore, l’hégémonie de l’homme est encore totale. Seules quelques femmes « commandent » des partis politiques. C’est encore Mme Naha Mint Mouknass, actuelle ministre de l’Hydraulique et de l’Assainissement, et Présidente de l’Union pour la Démocratie et le Progrès (UDP), qui joue le rôle de pionnière puisqu’elle est à la tête d’une des plus importantes formations de la majorité présidentielle depuis deux décennies !

Présentes également au sein des forces armées et de tous les corps militaires ou paramilitaires (gendarmerie, garde, police, douane, sapeurs-pompiers), les femmes mauritaniennes ne se fixent apparemment plus de limites. L’objectif recherché est d’arriver à jouir pleinement de leurs droits de citoyennes dans un pays où les pesanteurs sociales constituent, quand même, quelque part, une barrière infranchissable.

 

La parité, un mythe ?

 

Malgré les efforts fournis, ici ou ailleurs, par les pouvoirs publics, la parité tant recherché relève de la gageure. Elle serait même une hérésie puisqu’elle joue contre les lois de la nature. Le sens même (étymologie : du bas latin paritas, parité, égalité, venant du latin classique par, égal à, pareil, apparié, semblable, de même force, de même talent) le laisse penser : « La parité est l’égalité ou la similitude entre des objets de même qualité, de même nature. » Intrinsèquement lié à la « nature » de l’être (ou de la chose), la parité peut se traduire en « égalité », « équilibre », « similitude », « concordance ». Ce serait alors plus proche du sens en économie, « la parité étant l’égalité de la valeur d’échange de la monnaie de deux pays » que de ce que recherchent les femmes dans le monde.

Il faut alors comprendre que la recherche de la parité entre hommes et femmes a pour seul objectif de lutter contre les inégalités engendrées par des déséquilibres constatés entre les deux sexes. Le principe de parité peut être mis en œuvre par des lois qui tentent de remédier à des disparités perçues comme des injustices : au niveau des salaires (à emploi et grade équivalent), de la représentativité politique (droit de vote, droit d'éligibilité, composition d’une assemblée élue ou d’un gouvernement, etc.), de la représentativité à la tête des entreprises ou des institutions (postes de direction, conseil d'administration, etc.), de l’emploi (accessibilité à une profession, égalité des chances en matière de recrutement) et de l’éducation (alphabétisation, niveau d’étude...). Toutes choses qui, en Mauritanie, « interpelle tout le monde, car l’homme et la femme sont indissociables, de par les lois de la nature », rappelle Awa Saidou, journaliste et bloggeuse, très impliquée dans les questions du genre.

 

Sneiba Mohamed