
Quand la Maison-Blanche choisit d'inviter cinq chefs d’État africains, ce n’est pas un geste anodin. C’est une décision stratégique, dans un continent devenu l’un des grands terrains de compétition des puissances mondiales. Les États-Unis ont compris qu’ils n’avaient plus le monopole du récit ni des alliances. Ils ont vu la Chine construire des routes et des ports, signer des contrats massifs, négocier des concessions. Ils ont observé la Russie proposer sa sécurité, ses formateurs et ses proxys militaires. Ils savent que le langage de l’aide humanitaire et des conférences sur la démocratie n’est plus suffisant. Alors ils reviennent, avec un ton plus direct : moins de discours, plus de deals.
Ce que cela nous dit sur le rapport de force mondial
Soyons honnêtes : ce sommet n’est pas un cadeau diplomatique. C’est un test. Il s'agit de voir qui, en Afrique, saura s’asseoir à la table non pas comme un invité reconnaissant, mais comme un partenaire qui sait ce qu’il veut. C’est une invitation à formuler un projet clair, à sortir des formules faciles et des réflexes défensifs. Pour nous, Mauritaniens, c’est aussi un moment pour nous regarder en face et interroger notre propre ambition. Nous ne sommes pas condamnés à rester au bord de la route, pendant que d’autres transforment leurs richesses en leviers de puissance.
Quand on regarde le Qatar, les Émirats ou même l’Inde, on voit des États qui ont choisi de transformer leurs ressources en véritables instruments de développement. Ce n’est pas un hasard ni un miracle. C’est le fruit d’une vision, de réformes assumées, d’investissements massifs dans les infrastructures, l’éducation et la santé.
Ce que la Mauritanie apporte à la table
Nous avons des arguments solides. Notre stabilité, bien que relative et parfois fragile, reste enviée dans un Sahel secoué par l’effondrement de certains États. Cette stabilité n’est pas tombée du ciel : elle est le résultat d’une diplomatie ouverte, d’une armée qui a appris à connaître son terrain, de compromis difficiles mais nécessaires.
Nous avons un littoral stratégique sur l’Atlantique qui attire les convoitises et les projets. Nous disposons de ressources réelles, pas seulement rêvées : gaz offshore, minerais, zones de pêche riches et disputées. Nous comptons une armée capable de comprendre la menace et de s’adapter, et une diplomatie qui a su parler à tous sans se lier à personne.
Ce sont là des atouts réels. Mais ils n’ont de valeur que si nous savons les convertir en véritables leviers de développement.
Ce que nous devons exiger et construire
Un sommet n’est pas un décor. C’est un espace où l’on négocie. Nous n’avons pas vocation à signer ce qu’on nous présente sans discuter, ni à louer notre littoral ou brader nos ressources en échange de promesses imprécises. Nous devons parler d’infrastructures réelles : des routes modernes, des ponts solides, des hôpitaux équipés, des écoles capables de préparer l’avenir.
Il faut exiger des contrats respectueux de notre économie : un contenu local réel, des formations ambitieuses, des emplois stables pour nos jeunes. Nous avons le droit et le devoir de poser des conditions claires pour la coopération sécuritaire : du matériel adapté, du renseignement partagé, mais sans jamais céder le contrôle de nos choix stratégiques.
Et surtout, nous devons préserver notre liberté de choix, refuser d’être réduits à un pion sur l’échiquier d’une rivalité entre grandes puissances qui n’est pas la nôtre.
Ce que cela attend de nous-mêmes
Mais il serait naïf de croire qu’il suffit seulement de demander. Nous devons être prêts à porter et réaliser cette ambition. Si nous voulons des routes comme celles du Rwanda, des ports modernes comme ceux du Golfe, des villes dynamiques et connectées comme en Inde, il faut l’assumer pleinement. Nous devons planifier sérieusement, réformer avec détermination, mobiliser nos compétences et nos énergies, libérer nos talents, être intraitables face à la corruption, à l’approximation, et à la paresse administrative.
Nos ressources naturelles ne sont pas une fin en soi : elles sont une promesse. C’est à nous de la tenir. Nous n’avons pas besoin d’imiter le Qatar pour ériger des tours flamboyantes ; nous pouvons être la Mauritanie qui construit ses propres routes, éclaire ses villages, soigne ses malades et offre des perspectives réelles à sa jeunesse.
Ce que nous devons rappeler à Washington et à nous-mêmes
Oui, allons à Washington. Mais allons-y sans complexe et sans arrogance. Pour dire : voici ce que nous avons, voici ce que nous voulons, et voici ce que nous sommes prêts à construire ensemble. Parce que la diplomatie ne se mesure pas aux invitations que l’on reçoit, mais aux engagements concrets qu’on en ramène. Au fond, la vraie fierté d’un pays ne réside pas seulement dans sa capacité à tenir debout quand d’autres vacillent, mais dans celle de transformer cette résilience en progrès partagé et durable. Nous ne cherchons pas la charité. Nous voulons des partenaires. Des partenaires pour construire un avenir où nos enfants n’auront plus à s’exiler pour rêver.
Mansour LY