Ces temps de psychose pandémique ont fait de moi un téléspectateur assidu de notre télévision nationale « AL MOURITANIA ». Mon constat, à son avantage, est qu’elle semble avoir gardé une certaine constance depuis toujours. Feu Habib Ould Mahfoudh, cet éternel incompris qui, avant tous et mieux que quiconque avait tout compris, l’avait qualifiée un jour de « Télé-vide, télé-rien ». À mon humble avis, elle paraît s’efforcer de remplacer le « vide » et le « rien » par « quelque chose » qui ne semble pas encore, en tout cas, devenir « vision ».
En effet, pour notre chaîne (très) nationale, le Monde a cessé d’exister depuis l’annonce par l’OMS que le CoronaVirus était devenu la COVID-19. Aucune mention de l’actualité des autres quartiers du village planétaire. Pour nous, Georges FLOYD n’a jamais existé. En Lybie et au Yémen, c’est la quiétude, la sérénité et les embrassades. En Palestine occupée, la solution des deux États est en ..bon état. Le Barrage de la renaissance et les tensions qu’occasionne son remplissage entre l’Éthiopie, le Soudan et l’Égypte ne sont que purs ragots. Aucune mention des événements du Mali (très) voisin qui, après avoir perdu le Nord au sens propre, est en train de le perdre au figuré. Etc, etc…J’allais oublier, même hors sujet, cette présentatrice de l’ennuyeux journal, tout sauf météorologique, qui me donne le tournis avec « son » Sélibaby vers Atar, « ses » deux Hodhs entre Akjoujt et Chami et « Son » Gorgol aux environs de Marrakech au Maroc.
Pourtant, notre chaîne (très) nationale devrait être suffisamment informée. Sur l’intérieur, d’abord, où elle déploie ce qu’elle appelle « notre réseau de correspondants et envoyés spéciaux dans les villes intérieures du Pays ». Sur l’extérieur, ensuite, parce que l’assertion précédente sous-entend que Nouakchott serait, elle, à l’extérieur dudit pays.
La couverture entreprenante et assez novatrice de « AL MOURITANIA » durant cette période dite « de confinement » a eu le mérite de mettre en évidence ce secret de Polichinelle qu’est la macrocéphalie que connaît le Pays, avec un développement disproportionné de la Capitale par rapport aux « villes de l’intérieur » du pays. Rien que de visu, l’écart est dichotomique entre cet « intérieur du pays » et Nouakchott, et les disparités sont criantes entre cet « extérieur » et l’autre Mauritanie.
S’il est indéniable que, selon les normes mondialement reconnues, Nouakchott ne peut pas encore être considérée comme une ville à part entière, ce que AL MOURITANIA nous montre « à l’intérieur du pays » est, de façon incontestable, entièrement à part suivant toute échelle selon laquelle pourraient être caractérisées des villes.
L’inimitable Habib, décrivait déjà Nouakchott en 1992 « … c’est un devoir national pour tous les Mauritaniens de venir y habiter. Aujourd’hui la capitale abrite un tiers de la population du pays. L’un des deux tiers restants est en route et l’autre attend une voiture qui le prendrait en stop ou de quoi payer le taxi-brousse…Son problème, à cette ville, c’est que ce n’est pas une ville unique, c’est une série de villages mis bout à bout, liés seulement par ce qui fait détester les villes : la pollution, le stress, le bruit, les odeurs. Nouakchott étant trop jeune pour avoir une âme, chacun y emmène la sienne, y reconduit les habitudes de son village ou de son campement, y reconstitue sa vie tribale ».
D’une pertinence incontestable et d’une véracité inégalée, cette description, à travers laquelle on peut comprendre que les déséquilibres entre notre (éternellement) jeune capitale et nos « villes de l’intérieur » sont subséquents aux seuls faits migratoires, recèle aussi, en filigrane, les causes liées aux dysfonctionnements de notre système national de planification.
En effet, les pays aux parcours de gouvernance et niveau d’évolution sociopolitique similaires aux nôtres ont subi les affres d’alternance d’états d’exception et de situations exceptionnelles qui ont marqué négativement et durablement les impacts des actions d’ajustements dits structurels qui, en réalité, avaient tout (ou presque) déstructuré. Une culture de l’exclusivement, voire férocement, macroéconomique a fait oublier les exigences de l’équité spatiale. À cela s’était ajoutée, souvent à dessein, une « culture de l’urgence » et de « réflexes d’humeurs, à l’improviste » qui excluait toute démarche anticipative ou approche prospective.
En guise d’illustration, on peut citer le récent grand raté pour Nouakchott qui, à la suite de l’opération de délocalisation de l’aéroport, aurait pu se doter, à sa place, d’un centre-ville convenable et, par la même opportunité, rapprocher les principales structures socio collectives des populations des neuf Moughatas. C’est la parfaite illustration du gâchis que peut connaître un pays où « les instructions -interjections », sont privilégiées aux « décisions » qui, quant à elles, se murissent, se construisent et, dans la plupart des cas, font consensus.
Pour revenir à l’approche urgentiste, il va sans dire qu’il est du devoir de l’État, non seulement de faire face aux situations d’urgence, mais plutôt d’anticiper pour les prévenir et, au besoin, y faire vigoureusement et résolument face, comme c’est le cas actuellement pour cette exécrable COVID-19. Mais l’État, par essence, étant, à la fois, intemporel et impersonnel, ne doit jamais se complaire dans une gestion à vue. J’ai failli dire une gestion de boutique de petit quartier. L’État est, plutôt, une vision et des stratégies à l’échelle de générations. Edgar MORIN dit que « à force de consacrer l’essentiel à l’urgence, on finit par sacrifier l’urgence de l’essentiel ».
J’avoue que pour chapeauter ce billet, j’étais tenté par le titre de Jean-François Gravier, jeune (33 ans alors) géographe français dont l’ouvrage « Paris et le désert français » inspira le Général de Gaulle à, la fin de seconde guerre mondiale et devint, à l’époque, « la Bible » de l’Aménagement du territoire et de la Décentralisation. Après réflexion, je me suis ravisé que « Nouakchott et le désert mauritanien » aurait constitué un pléonasme que bien des lecteurs me reprocheraient. Je promets, en consolation, de revenir à Jean-François Gravier, car l’évocation de son célèbre ouvrage est une excellente digression pour traiter des thématiques effleurées ici : aménagement du territoire- décentralisation – urbanisme. Dieu sait que nous avons besoin, non seulement d’en parler, mais d’agir rapidement, consensuellement et surement.
À suivre…
Deballahi ABDEL JELIL