Le rapport sur le climat et le développement des pays du G5 Sahel (CCDR), est l’un des premiers rapports sur le climat et le développement élaboré par la Banque mondiale, qui porte sur un groupe de pays. Il couvre le Burkina Faso, le Tchad, le Mali, la Mauritanie et le Niger. Chacun des pays du G5 a fait l’objet d’une analyse macroéconomique et d’une analyse de la pauvreté. Il s’agit à la fois d’un diagnostic (état des lieux) mais aussi d’une feuille de route à suivre pour éviter le pire.
Les cinq pays du G5, situés dans la région du Sahel en Afrique, comptent parmi les pays les moins développés du monde. La région est actuellement confrontée à de multiples crises et défis alors qu’elle poursuit son fragile redressement après les impacts économiques et sociaux de la pandémie de COVID-19. Le Rapport énumère quelques-uns des « maux » de la zone : « instabilité politique accrue, insécurité grandissante et insécurité alimentaire croissante aggravée par la hausse des prix mondiaux des carburants et des denrées alimentaires en raison de la guerre en Ukraine. Le nombre croissant de chocs climatiques à intervalles réguliers entraîne d’importantes pertes de production, entraîne une baisse de l’accumulation de capital et conduit à des points de basculement écologiques et économiques potentiellement dévastateurs dans la région. »
Le Rapport, publié le 19 septembre 2022 à New York, a examiné les principales actions et les changements de politiques nécessaires pour accélérer la reprise économique de la région, le développement durable et inclusif et l’adaptation aux impacts du changement climatique.
Ce rapport comporte trois messages principaux. Premièrement, les opportunités de développement résilient au changement climatique et plus sobre en carbone des pays du G5 sont importantes. Les pays du G5 peuvent diversifier leurs économies de manière plus résiliente et plus inclusive grâce à des investissements et des politiques judicieuses. Ils peuvent inverser la dégradation de l’environnement et optimiser les avantages de l’action climatique pour les populations les plus pauvres.
Deuxièmement, une croissance rapide, résiliente et inclusive est la meilleure forme d’adaptation au changement climatique, et la meilleure stratégie pour atteindre les objectifs de développement de manière efficace, durable et productive. Plus un pays et ses citoyens sont prospères, plus le gouvernement, les entreprises et les ménages disposent de ressources pour investir dans les technologies d’adaptation au changement climatique. Un pays qui rend son agriculture résiliente et diversifie son économie sera mieux préparé pour faire face aux chocs climatiques. Enfin, un système de protection sociale efficace et global est nécessaire au Sahel pour réduire les impacts négatifs beaucoup plus importants du changement climatique sur les populations les plus pauvres.
Troisièmement, les coûts de l’inaction sont bien plus élevés que ceux de l’action. Grâce à une action précoce et ciblée sur les politiques et programmes présentés dans ce rapport, « les pays du G5 Sahel peuvent évoluer vers un avenir plus vert, plus résilient, plus prospère et plus inclusif. »
Les défis à relever
Le Rapport sur le climat et le développement des pays du G5 Sahel note que ces Etats sont, « à l’exception de la Mauritanie, des pays à faible revenu, ayant un produit intérieur brut (PIB) moyen par habitant de 790 USD en 2021. »
Ainsi, 31% de la population vit en dessous du seuil de pauvreté international. « La diversification économique reste très limitée, l’agriculture contribuant à plus de la moitié des emplois, un secteur confronté aux multiples menaces du stress hydrique, de la dégradation de l’environnement et de la concurrence entre agriculteurs et éleveurs sur des ressources limitées. »
Chacun de ces pays se situe pratiquement au bas de l’Indice de développement humain et de l’Indice du capital humain, et par conséquent « les enfants nés aujourd’hui dans les pays du G5 Sahel ne seront que 30 à 38 % aussi productifs qu’ils ne l’auraient été s’ils avaient pu bénéficier d’une meilleure éducation et d’une meilleure santé.
La croissance annuelle du PIB réel dans la région est en moyenne de 5 % entre 2010 et 2019, contre une moyenne de 3,9 % en Afrique subsaharienne, de manière générale. Toutefois, la croissance annuelle moyenne du PIB réel par habitant dans la région n’a été que de 1,65 % au cours de cette période en raison des taux de croissance démographique très élevés. Cette forte croissance démographique, associée à la migration de la population des zones rurales vers les villes, a contribué à une urbanisation rapide et incontrôlée.
La population des pays du G5 Sahel devrait doubler au cours des 20 prochaines années pour atteindre 160 millions d’habitants. La capacité des pays à renforcer leur capital humain, par l’amélioration de l’apprentissage, la formation professionnelle et la productivité, et par l’accélération de la transition démographique dépend de leur capacité à mieux tirer profit du potentiel des jeunes, notamment les plus vulnérables. Actuellement, « plus de 14 millions d’adolescentes (80 % de l’ensemble des filles âgées de 10 à 19 ans) sont exposées au risque de mariage d’enfants, de grossesse précoce et d’abandon scolaire précoce dans les 10 pays du Sahel. La forte fécondité des adolescentes au Sahel s’accompagne d’un taux élevé de mortalité maternelle et de malnutrition, de faibles niveaux d’éducation et de productivité, et d’une utilisation limitée des méthodes modernes de contraception. »
Il est donc essentiel pour les pays du G5 d’investir dans le capital humain des enfants, en particulier des filles, pour réduire les taux de fécondité et parvenir à une croissance durable. En outre, pour le capital humain, une trajectoire de croissance résiliente nécessitera des établissements scolaires et hospitaliers résilients, leur préparation aux chocs climatiques et la mise en place de systèmes d’alerte précoce.
La pandémie de COVID-19 a stoppé la dynamique de croissance. La croissance du PIB dans la région est devenue presque négligeable (0,2 % en moyenne) en 2020 et a fait basculer 2,7 millions de personnes supplémentaires dans l’extrême pauvreté. Les règles budgétaires ont été assouplies dans de nombreux pays, entraînant une augmentation rapide de l’encours de la dette.
Le changement climatique accentue les tensions dans les pays du Sahel. La région est l’une des plus vulnérables au monde aux sécheresses extrêmes, aux inondations, vagues de chaleur et autres impacts liés au changement climatique. Trois des pays du G5, le Tchad, le Niger et le Mali, figurent parmi les sept pays les plus vulnérables du monde au changement climatique. Non seulement la région du Sahel devrait connaître une augmentation des températures 1,5 fois supérieure à la moyenne mondiale, mais elle est aussi particulièrement sensible à la dégradation des sols et à la désertification. En effet, la région a été identifiée comme l’un des points de basculement de la planète si la température moyenne à la surface du globe augmente de 3ºC par rapport aux niveaux préindustriels. Selon le GIEC, la plupart des scénarios climatiques montrent que les températures au Sahel augmenteront d’au moins 2º C à court terme (2021-2040).
Les communautés de la région sont déjà menacées par des sécheresses et des inondations fréquentes et souvent plus graves. Depuis l’an 2000, en moyenne 248 000 personnes par an ont été touchées par des inondations qui ont endommagé des maisons, des routes et d’autres infrastructures et biens, et perturbé les services. Par ailleurs, plus de 20 millions de personnes ont été affectées par les sécheresses entre 2016 et 2020 en raison de l’insécurité alimentaire ou de difficultés économiques.
D’ici 2050, le PIB annuel devrait accuser une baisse de 2,2 % (Niger) à 6,4 % (Mali) dans le scénario d’un niveau élevé de précipitation et scénarios optimistes et une baisse de 6,8 % (Burkina Faso) à 11,9 % (Niger) dans les scénarios de faible niveau de précipitation et scénarios pessimistes. Les impacts négatifs sont suffisamment importants pour supprimer une grande partie ou la totalité de la croissance annuelle du PIB réel et du PIB par habitant. Ces estimations sont susceptibles de sous-estimer l’impact du changement climatique sur le PIB parce que « tous les canaux d’impact ne sont pas inclus, et parce qu’elles ne tiennent pas compte des effets amplificateurs de l’augmentation des conflits, des modifications des écosystèmes et des migrations induits par le changement climatique. À titre de comparaison, une étude de la Banque mondiale de 2016 a estimé que le PIB des pays du Sahel pourrait enregistrer une baisse allant jusqu’à 11,7 % d’ici 2050 rien qu’en raison d’une pénurie d’eau liée au changement climatique.
La très grande variabilité climatique annuelle sur les rendements des cultures pluviales et du bétail constitue un défi supplémentaire pour le secteur agricole, ayant des conséquences sur la sécurité alimentaire. Même si, sur une période donnée, l’impact net est faible, les chocs climatiques annuels ont des conséquences non négligeables ; la volatilité climatique pose des défis aux ménages dans les zones rurales (généralement plus pauvres) ainsi qu’à l’économie au sens large, et contribue aux graves crises d’insécurité alimentaire dans le Sahel.
Les pertes annuelles estimées de PIB sont plus importantes dans le scénario de faible croissance par rapport aux scénarios de croissance moyenne et élevée pour le Tchad, le Mali et le Niger, étant donné que dans ce scénario, « il n’y a peu ou pas de transformation structurelle, et l’économie reste dominée par le secteur agricole traditionnel qui est exposé à des chocs négatifs plus importants. »
Il est important de noter que la modélisation ne rend pas pleinement compte de l’effet positif du développement inclusif sur la réduction de la vulnérabilité, étant donné qu’elle ne tient pas compte de la manière dont une hausse des revenus et un meilleur accès aux infrastructures et un appui financier permettront aux ménages et aux entreprises de s’adapter au changement climatique.
Même en l’absence des impacts du changement climatique, il sera difficile de réduire la pauvreté de manière significative dans le Sahel si le taux de croissance reste modéré alors que le taux de croissance démographique continue de croître rapidement.
Engagements et capacités en matière de climat
Bien que les pays du G5 Sahel contribuent à moins de 1 % des émissions mondiales de GES, les cinq pays ont fixé des objectifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre dans leurs contributions déterminées au niveau national (CDN) dans le cadre de l’Accord de Paris, actualisées lors de la réunion de la COP26 à Glasgow en 2021, et se sont engagés à atteindre des émissions nettes nulles d’ici 2050.
Tous les pays disposent de plans d’adaptation nationaux de lutte contre le changement climatique, couvrant l’agriculture et l’élevage, la conservation des écosystèmes, la biodiversité et les forêts, l’eau et l’assainissement, l’énergie et les infrastructures, l’égalité des genres et la protection sociale, l’aménagement du territoire, la santé, l’éducation, la pêche et l’aquaculture. Les CDN et les calculs supplémentaires développés dans le cadre de ce rapport montrent que des milliards de dollars sont nécessaires dans les pays du G5 Sahel pour l’action climatique. Les besoins en investissement pour l’adaptation au changement climatique jusqu’en 2030, calculés par les pays dans leurs CDN les plus récents, s’élèvent à 33 milliards de dollars pour les cinq pays. Le chiffre équivalent pour l’action d’atténuation des effets du changement climatique est proche de 50 milliards de dollars US. Les besoins annuels moyens de financement des CDN représentent entre 2,2 % et 54,2 % du PIB de 2021 et 31,6 % à 704 % des dépenses d’investissement de 2021.
Les avantages de l’adaptation l’emportent sur les coûts
Les investissements climatiques prioritaires devraient être ceux qui génèrent le plus d’avantages en termes de dommages économiques évités à moindre coût. L’analyse des possibles mesuresd’adaptation pour trois des canaux d’impact, à savoir l’expansion de l’irrigation aux cultures pluviales, l’amélioration des pratiques d’alimentation du bétail et les investissements dans des routes et des ponts résistants au changement climatique, montre que les dommages causés par le changement climatique peuvent être considérablement réduits. En outre, l’analyse montre également comment certaines mesures d’adaptation au changement climatique peuvent générer des avantages supérieurs aux pertes évitées. Par exemple, les résultats de l’expansion de l’irrigation montrent une amélioration par rapport à la production économique du scénario de référence, comblant les importants écarts de productivité dans l’agriculture et les déficits d’infrastructures dans les pays du Sahel.
Comme toutes les recommandations formulées dans ce rapport, ces mesures devront être fondées sur le climat, compte tenu des changements des conditions climatiques, et devront être conformes aux normes environnementales, sociales et de gouvernance (ESG) pour éviter des problèmes de surexploitation ou d’autres mesures d’adaptation potentiellement nuisible. Pour les mesures d’adaptation sélectionnées qui ont été analysées, les avantages l’emportent généralement sur les coûts. On constate une certaine variation des ratios coûts-avantages de ces investissements (qui ont été normalisés aux fins de la modélisation) d’un pays à l’autre, soulignant la nécessité de mettre en place des mesures d’adaptation en fonction des contextes de chaque pays.
Sneiba Mohamed