L’Initiative du mouvement Abolitionniste (IRA) a célébré le 10 décembre 2023, la 75ème Journée internationale des droits de l’homme, journée née en 1948 à Paris et qui est à l’origine de la Déclaration Universelle des droits de l’homme (DUDH) dont s’inspire la plus grande partie des constitutions du monde. L’occasion pour les intervenants de revenir sur le thème retenu : « Mauritanie, gouvernance de l’impunité des crimes contre l’humanité ».
La salle de conférence de l’hôtel Azalaï de Nouakchott a refusé du monde, cet après-midi du 10 décembre 2023, journée internationale des droits de l’homme, célébrée avec emphase par le mouvement abolitionniste IRA Mauritanie, en présence de plusieurs leaders politiques et membres de la société civile, notamment Samba Thiam, président des Forces Progressistes pour le Changement (FPC) et Cheikh Haidara, représentant de la Coalition du Vivre Ensemble (CVE).
Cette journée a été marquée par le mot de bienvenue prononcé par la vice-présidente de IRA, Kadiata Bâ, en l’absence du leader du mouvement Birame Dah Abeid en tournée en Europe. Elle a constaté dans son intervention l’inexistence totale des droits humains en Mauritanie.
Pour sa part, Abdallahi Abou Diop, président de la section des droits de l’homme au sein du mouvement IRA, a fait le parallèle entre l’article 1 de la DUDH « tous les hommes naissent libres et égaux en droits et en dignité » et la réalité de cet article en pratique en Mauritanie. Selon lui, bien que cet article figure dans le préambule de la Constitution, il n’en est rien dans la pratique.
Il en va de même selon lui pour le reste des articles de la DUDH, notamment l’article 2 « chacun peut se prévaloir de tous les droits et de toutes les libertés sans distinction aucune », l’article 3 « tout individu a droit à la vie, à la liberté et à la sûreté de sa personne » et l’article 4 « nul ne sera tenu en esclavage ni en servitude ».
Samba Thiam a lui aussi fait une déclaration dans laquelle il a salué la présence massive des femmes de toutes les communautés, soulignant que « cette présence augure d’un avenir prometteur pour la lutte contre la violation des droits de l’homme en Mauritanie ». Le président des FPC a regretté également l’absence de la Commission nationale des droits de l’homme et du Bureau des Nations Unies pour les droits de l’homme à cette rencontre. Selon lui, « cette absence questionne sur la crédibilité et la neutralité de ces deux institutions ».
Les participants ont suivi par la suite un communiqué de presse du mouvement IRA à l’occasion de la journée, suivi d’un panel sur les droits humains en Mauritanie.
Cheikh Aïdara
Communiniqué
Mauritanie 2023 : Les 10 plaies du 10 décembre
A l’instar des multitudes éprises de liberté, l’Ira célèbre, ce 10 décembre 2023, la journée mondiale des droits de l’homme. L’occasion de partager, avec l’opinion, le passif mauritanien en la matière, justifie une commémoration à la hauteur du défi. La lourdeur et l’ancienneté du contentieux requièrent un constat dénué de complaisance. Si l’on doit se réjouir de l’arsenal juridique et des tribunaux mis en place aux fins de pénaliser les crimes d’esclavage, l’on constate, cependant, qu’aucun criminel n’a été emprisonné ; le blanchiment d’infractions aussi graves et anachroniques reste l’unique option des autorités. D’ailleurs, les commanditaires et auteurs de tueries, de déportations à visée ethnique continuent à jouir de l’immunité, tandis que le nombre des préposées à la torture ne cesse de croître, d’une année à la suivante.
- Pour ne citer que les exemples récents, l’on se souviendra de Souvi Jibril Soumaré, dit Ould Cheïne, assassiné le 09 février 2023 au commissariat de police de Dar Naim (Nouakchott sud). Les tortionnaires ont d’abord essayé de s’exonérer du forfait létal, avant de se rétracter sous la pression de la rue. L’officier de police judiciaire et les exécutants sous son commandement furent arrêtés et soumis à une instruction de justice ; néanmoins, les résultats tardent. Quelques mois après, survint, le 29 mai 2023, à Sebkha (Nouakchott ouest), à l’intérieur d’un bâtiment de la police et dans des circonstances de facture identique, le décès de Oumar Diop, natif de MBagne (sud). Devant la flagrance de l’abus, la colère s’est emparée d’une partie de la jeunesse urbaine, fragilisant davantage la cohésion de la société. Des centaines d’adolescents, d’ascendance subsaharienne, seront traqués et suppliciés, parfois à domicile, puis détenus durant 72 heures. Là aussi, la version officielle concluait à une mort, par arrêt cardiaque, à l’Hôpital national. Or, le personnel médical certifie avoir accueilli, aux urgences, un corps sans vie. Une sombre autopsie, effectuée au Maroc, viendra corroborer le récit tronqué. D’ailleurs et jusqu’à ce jour, le site Facebook de la direction de la sûreté continue d’afficher la thèse de deux accidents, alors même que le Parquet reconnaissait le caractère violent du premier homicide et ordonnait la mise à l’écrou des persécuteurs. A cause du poids de l’impunité et des réflexes grégaires de la médiocratie, la communication des organes en charge du maintien de la paix suit un cours spécifique, que caractérise l’autonomie envers les autres segments de l’Etat. A l’Etat de droit qui s’affiche, s’oppose l’Etat d’exception qui prévaut ; sous la façade des slogans et du zèle factice à signer et ratifier les conventions internationales, veille et se reproduit le monstre familier de la fraude, du double langage et des faux semblants. Le vernis est si mince. Si Janus devait se choisir un passeport, il s’enrôlerait en Mauritanie.
A la suite de la révolte devant la récurrence et la banalisation des brutalités racistes, le gouvernement, pris de court, s’empressa de suspendre, pendant quelques jours, l’accès à l’internet. Il s’agit, ici, d’un manquement délibéré à l’intégrité élémentaire de la personne, derrière lequel se profile, toujours, la volonté de réprimer en silence, loin des regards. Pire, lors des protestations à Boghé (sud), Mohamed Lemine Alioune N’Daiye, né en 1996, a été abattu, d’un tir ciblé. Suivant une jurisprudence bien établie en République islamique de Mauritanie, le tireur et le donneur d’ordre demeurent à l’abri de la moindre sanction. Leur identité relève du secret.
- Quasiment l’ensemble des démonstrations non-violentes de l’Ira suscitent, de la part des unités anti-émeute, un déchainement de coups et blessures, d’une intensité disproportionnée. Beaucoup de nos militants gardent les stigmates et les séquelles de la maltraitance ; ils en témoignent sans répit ni exagération, photos et vidéo à l’appui.
- Les atteintes à la dignité de l’individu et à la jouissance de ses droits civiques, n’ont épargné les députés, tel l’honorable Biram Dah Abeid, plusieurs fois séquestré, maintenu en détention préventive ou condamné des peines relevant du délit d’opinion.
- La promulgation des normes sur la cybercriminalité ou des restrictions relatives à la préservation des « symboles » rétrécit l’espace, fort exigu des libertés d’expression et d’association. Aussi l’on retiendra, à titre d’illustration, l’extradition – de Dakar - et l’emprisonnement de Youba Siby, un sympathisant de l’Ira, pourtant de nationalité sénégalaise. Jugé en comparution expresse, il écopera de 4 années de réclusion. Le tribunal expéditif lui reprochait des propos de réprobation du racisme et des inégalités de naissance. L’audience se déroulait, en catimini, sans avocat même commis d’office, ni présence de la famille. La pseudo- commission nationale des droits de l’Homme (Cndh), tenta de faire avaliser la régularité de la procédure, par le représentant accrédité à Nouakchott du Haut-commissariat des nations-unies.
- En cette fin d’année 2023, les partis les plus représentatifs des peuples autochtones de Mauritanie réclament la participation à la démocratie dont le statu quo les prive. Il convient de souligner, en particulier, le cas des partis Radical pour une action globale (Rag) et Forces progressistes du changement (Fpc).
- Les populations dominées et discriminées aux motifs inavoués de la couleur, de la langue, de la culture et de la généalogie, ne parviennent à obtenir les pièces d’état-civil biométrique, point d’accès à l’exercice du vote.
- Les rescapés et les héritiers des milliers de concitoyens déportés ou exécutés, de 1986 à 1991, ne peuvent plus dénoncer, en réunion publique, la loi d’amnistie qui absout les responsables de telles cruautés. Une multitude d’entre eux, réfugiée aux Sénégal et Mali voisins, continue à survivre dans la précarité et la morsure de l’exil. Les ministères en charge du litige et de son règlement leur refusent le rapatriement organisé. Apatrides, de parents en progéniture, ils écument des contrées hostiles, en quête de gîte et de couvert. Quiconque s’insurge ou proclame sa solidarité avec eux se retrouve suspecté de racisme. En Mauritanie, le raciste n’est jamais le tueur.
- Malgré la disponibilité rhétorique du pouvoir à protéger, les femmes et les filles, contre les excès séculaires du patriarcat, l’habitude de la duplicité face aux partenaires extérieurs, rappelle cette manie de la dictature des militaires, qui consiste à servir un discours et son contraire, selon la capacité financière de l’interlocuteur. Mieux encore, le projet de texte, passé sous la censure du Haut-conseil de la fatwa et des recours gracieux, s’est perdu dans les méandres de la bureaucratie. La fameuse instance de contrôle de conformité religieuse se place au-dessus du Conseil constitutionnel et des titulaires de la souveraineté populaire. Ironie du sort, ses membres ne sont pas élus. Enfin, depuis des semaines, le Parlement, quoique sous influence des cercles obscurantistes, attend la première lecture du document.
- Comble de l’horreur, l’article 306 du code pénal, dans sa mouture de 2018, étend la liquidation physique à des infractions morales, comme le refus de prier, le blasphème, et
Comble de l’horreur, l’article 306 du code pénal, dans sa mouture de 2018, étend la liquidation physique à des infractions morales, comme le refus de prier, le blasphème, et l’apostasie. Quand il supprime la faculté du repentir, il fait, de la Mauritanie, le seul pays d’Afrique dont le dispositif légal consacre l’imitation de Daesh ; bien plus que l’Arabie saoudite, l’Afghanistan, l’Iran, Brunei et les Maldives, réunis, nous nous sommes piégés, en toute préméditation. Certes, l’Etat n’applique les prescriptions ainsi revendiquées mais, en les maintenant dans le corpus des lois, il accorde, aux apprentis illuminés de demain, un formidable outil de sauvagerie et de sexisme. « Gouverner, c’est prévoir et ne rien prévoir c’est courir à sa perte », avertissait, dès 1852, le journaliste français Emile Girardin….
Nouakchott, le 10 décembre 2023