Pendant deux jours, les 17 et 18 avril 2024, experts du Ministère de l’Environnement, universitaires et acteurs de la mer se sont réunis pour se concerter sur la Directive d’Aménagement du Littoral (DAL) de Nouakchott, sur la base d’une étude réalisée par WACA (programme de gestion du littoral ouest-africain) au profit du Ministère de l’Environnement. Objectif, diagnostiquer et co-construire une vision stratégique sur les futurs possibles de la capitale mauritanienne exposée à la remontée des eaux de l’Océan.
Restitution des travaux de groupes et proposition de plusieurs recommandations ont clos le 18 avril 2024 à l’hôtel Azalaï de Nouakchott, deux jours d’exposés et d’échanges entre acteurs de la mer, Ministères de l’Environnement, Equipement, Pêche, entre autres, Marine Nationale, universitaires et experts, sur les moyens de protéger Nouakchott avec comme projection l’année 2040.
L’étude menée par des consultants d’Artelia-Afrecom (consortium entre le géant français Artelia et son partenaire mauritanien Afrecom) a porté sur le littoral de Nouakchott, entre Terjit Vacances et le PK 22 au sud du Port de Nouakchott.
Il s’agissait pour les participants répartis en trois groupes d’élaborer des scénarios des plus catastrophiques aux plus optimistes sur la base de leur diagnostic de la situation présente.
Restitution des travaux de groupes et recommandations
Le groupe 1 qui a travaillé sur la zone Nord et Centre a prédit une situation future où l’emprise humaine va être forte, avec densification des habitats et des infrastructures avec des risques de pollution et de fortes érosions. Conséquences, la disparition complète du cordon dunaire par la naissance de nouvelles brèches dues à l’action de l’homme.
Pour atténuer cet effet, la commune de Tevragh-Zeina aurait prévu de mettre en place des obstacles pour empêcher la circulation des véhicules sur la plage et de renforcer la capacité de la police de l’environnement et son équipement. Le groupe propose parmi d’autres solutions, la restauration du milieu, la reconstitution du cordon dunaire et l’aménagement de promenades protégées. Seulement, l’inconscience demeure le pire ennemi, tel ce tournoi international de football-Beach au bord du littoral. Il est aussi prévisible que d’ici 2040, selon cette vision, l’affluence vers la mer sera encore plus importante qu’aujourd’hui. D’où des actions anthropiques encore plus dangereuses.
Pour le Groupe 2 qui a travaillé sur la MPN (marché aux poissons de Nouakchott) jusqu’à la limite du Port autonome, le constat c’est la densification de cette zone en termes d’industries, de sites touristiques, avec leurs dépôts d’ordures et la proximité de deux stations d’hydrocarbures, sans compter les usines de gaz (Somagaz et Rimgaz), les intenses activités de pêche, etc. Cette portion du littoral est parsemée de 21 brèches qui risquent de s’empirer avec le temps. L’impérieuse nécessité d’harmoniser les textes juridiques est jugée nécessaire pour une synergie des actions entre les multiples institutions de l’Etat qui interviennent sur le littoral.
Le premier scénario posé par le groupe est la préservation de l’existant qu’il faut améliorer avec une hauteur idéale du cordon dunaire à 4 mètres de hauteur pour assurer la protection de la ville.
Deuxième scénario, renforcer la surveillance en responsabilisant davantage la marine nationale et enfin, la nécessité de rendre l’accès de la plage libre pour la population.
Le groupe 3 qui a travaillé sur la zone située au Sud du Port jusqu’au PK 22 a également diagnostiqué la présence de plusieurs unités industrielles et une intense circulation de véhicules sur le littoral notamment en marée basse pour ceux qui cherchent des raccourcis vers NDiago. Ce groupe a aussi noté la présence d’une intense activité économique avec les éoliennes, la production artisanale, l’extraction de coquillages, etc. Il a aussi noté une forte érosion sur le Port autonome et sa possible extension.
Dans tous ses scénarios, deux risques majeurs ont été relevés sur le littoral, la submersion par les eaux de l’Océan et les dangers liés à la présence de nitrate, une substance chimique présente à l’état naturel partout dans l’environnement, se créant dans l’atmosphère lors de l’oxydation de l’azote par les microorganismes des plantes, du sol ou de l’eau. Il y a également la présence du gaz sur le littoral avec tous les enjeux environnementaux et socioéconomiques que cette présence peut poser et surtout le danger lié à sa nature explosive.
Après la restitution des groupes, plusieurs recommandations ont été formulées. Ajoutée aux débats suscités par les présentations faites par les experts du consortium Artelia et Afrecom, ces deux journées ont été riches pour permettre l’élaboration de la DAL de Nouakchott, selon le consortium.
Etat des lieux
A l’entame de l’atelier sur l’élaboration de la DAL de Nouakchott, le 17 avril 2024, Aurélie Ledissez, Mathieu Ducrocq et Ghizlane Hafdi, les trois experts de Artelia et leur partenaire mauritanien, Afrecom représenté par Mohamed Lemine Yahya, avaient présenté l’étude commanditée par WACA au profit du Ministère de l’Environnement sur les dangers qui menacent le littoral de Nouakchott d’ici 2040.
L’étude basée sur une modélisation, et qui a porté sur 60 kilomètres entre Terjit Vacances au Nord jusqu’au PK 22 au Sud, s’inscrit dans le cadre de la Gestion intégrée des zones côtières (GIZC). Elle a permis, grâce à la topographie terrestre et aérienne réalisée, de relever les zones fragiles et les zones les moins détériorées de la côte. L’absence de données depuis 2016 a rendu l’étude plus difficile selon les experts, en plus de la délimitation de la zone de la DAL qui ferait polémique.
La vulnérabilité du cordon dunaire de Nouakchott a été mise en exergue, d’où les trois scénarios envisagés, un niveau statique, un niveau dynamique et un niveau submersion. Dans les exercices d’évaluation, les auteurs de l’étude disent avoir constaté des insuffisances en données topographiques et ont dû travailler sur des tendances à long terme basées sur un modèle numérique de terrain fondé sur des données anciennes.
Parmi les menaces recensées sur le littoral, l’érosion saisonnière qui s’accompagne d’une adaptation du cordon dunaire, l’érosion due aux changements climatiques et la nappe phréatique qui exerce un réel impact sur la DAL. D’où l’impératif d’un système d’évacuation de cette nappe engendrée, entre autres, par les rejets des ménages, la submersion marine, les activités économiques et les conduites d’eau de la SNDE.
Certains ont préconisé de laisser au cordon dunaire sa capacité à s’adapter, à avancer et à reculer, au lieu de la bloquer du fait de sa propre résilience face aux aléas.
Le choix reste difficile selon les experts, entre laisser la dune « tranquille », la protéger par des actions mécaniques, la recharger ou exercer une surveillance passive ou bien encore, passer au bypass qui est une opération de transfert artificiel pour combler le déficit du cordon dunaire.
Il a été cependant constaté que toutes ces solutions ont montré leur faille et leur inefficacité à empêcher l’érosion côtière. La participation de l’ensemble du corps social, experts, acteurs et communautés vivant sur les côtes doivent être au cœur de toute décision concernant le milieu marin, selon tous les observateurs pour prévenir à temps les risques de submersion et éviter d’avoir le dos au mur. La prudence indiquerait, selon cette vision, de prendre le temps de la concertation et de la riposte en impliquant l’ensemble des acteurs pour ne pas avoir de rejet de la part de la société.
Même le scénario au fil de l’eau et le scénario de la rupture ainsi que le scénario vertueux seraient envisageables, si la multiplicité des acteurs impliqués dans la gestion du littoral n’étaient pas aussi nombreux avec chacun sa portion de pouvoir à préserver. Aussi, est-il question de la révision de l’ordonnance de 2006 sur le littoral qui ne clarifie pas le rôle des acteurs institutionnels qui interviennent sur le domaine maritime, en l’occurrence sur le littoral.
Aujourd’hui, la Société d’Aménagement du littoral de Nouakchott (SARLN) créée en 2023 entre l’Etat mauritanien et le fonds The Urban Resilience Fund géré par Meridiam en partenariat avec la fondation Rockefeller et le Fonds d’équipement des Nations Unies (UNCDF) se donne comme objectif un programme d’aménagements et d’infrastructures qui permettront de protéger Nouakchott contre les risques de submersion et d’érosion.
A rappeler que l’ouverture officielle de cet atelier a été présidée par le représentant du ministre de l’Environnement, en présence du Coordinateur national du projet WACA en Mauritanie et le coordinateur régional, des représentants de la Banque Mondiale, des experts de l’IMROP, des géographes, des océanographes, des universitaires, des étudiants, des architectes-urbanistes, des officiers supérieurs de la marine nationale et de la protection civile, des acteurs de la société civile et des journalistes.
Cheikh Aïdara