Organisés par Médias et Démocratie en marge du Prix Africain du Journalisme d’investigation (PAJI), deux ateliers sont au programme à la Chambre de Commerce de Nouakchott les 2 et 3 décembre 2024. Le lancement a été marqué par une rencontre autour du financement du journalisme d’investigation.
Quel financement pour le journalisme d’investigation ? Tel a été le thème abordé lors du premier atelier organisé lundi 2 décembre 2024 à la Chambre de Commerce de Nouakchott par Médias et Démocratie, en marge de la remise du Prix Africain du Journalisme d’Investigation (PAJI) prévu le 3 décembre.
Le panel modéré par Khalilou Diagana, rédacteur en chef du journal Horizon, périodique public édité par l’Agence mauritanienne d’information (AMI), était composé de la journaliste tunisienne, Hajer Tlili, le journaliste sénégalais, Amadou Tijane Sy, directeur de Ouestaf et de l’Ecole Supérieur de Journalisme des Métiers de l’Internet et de la Communication (EJICOM), Ibou Badian, journaliste rédacteur en chef de Tahalil-Hebdo et Raoul MBop, journaliste résident en France.
Parlant de la Tunisie, Hajer Tlilia a déclaré que le journalisme d’investigation a pris son envol réellement après la révolution, avec l’émergence de deux médias qui se sont lancés dans ce genre majeur, notamment Inkifada et Katiba. Selon elle, les financements viennent en général de bailleurs et d’ONGs internationaux. Certes, remarque-t-elle, ces financements ne sont pas très accessibles, ce qui pousse les journaux à changer de modèle économique, à travers la locution de leur studio ou des documentaires payants. Selon elle, l’avenir est encore plus sombre suite aux appréhension liées à la volonté du nouveau pouvoir tunisien de réduire les sources de financement extérieurs.
Pour Amadou Tijane Sy, il faut prendre en compte le contexte d’un 21ème siècle marqué par le tarissement des sources de financement de la presse en général et de la presse d’investigation en particulier. Selon lui, il y a un sérieux problème de financement qui se pose aux médias à travers le monde et que chacun cherche des alternatives à travers l’adoption de modèles économiques au gré des innovations.
Autre défi posé au journalisme d’investigation, selon Amadou Tijane Sy, la peur du retour du bâton, les bailleurs potentiels courant le risque d’être eux-mêmes les victimes de ces « fouineurs ».
Des pistes de financement pourraient ainsi être trouvées auprès de philanthropes, même si souvent les procédures peuvent être rebutantes. Il existe également des fonds appartenant à des fondations qui financent eux aussi les médias, selon Amadou Tijane Sy, soulignant que ces derniers encouragent souvent le regroupement des journalistes d’investigation.
D’autres financements existent selon lui, comme le financement participatif suivant le modèle de Médiapart qui consiste à solliciter les abonnés en rappelant que les médias fournissent un service d’ordre public. Mais cela passe évidemment, d’après lui par l’éducation et la sensibilisation des lecteurs sur le caractère utile du travail d’investigation pour la société et les difficultés d’un tel genre journalistique.
Il a évoqué aussi le modèle économique adopté par certains médias en Allemagne qui consiste à se financer à partir de la location d’immeuble, ou le développement d’activités rémunératrices connexes souvent sans lien avec le journalisme (élevage de chevaux, de poulets) etc.
Certains pourraient même transformer leurs enquêtes sous forme de films à diffuser ou de pièces de théâtre à jouer dans des salles fermées avec entrée payante.
Les autres intervenants ont presque souscrit au même constat du caractère rare et presque tari des sources de financement pour les médias.
Ibou Badiane a évoqué les problèmes rencontrés par la presse mauritanienne à se financer face au manque de recettes publicitaires et le risque d’aliénation de la liberté et de l’indépendance des médias face aux souscripteurs qui peuvent poser des conditions à même de toucher à la ligne éditoriale des médias qu’ils contrôlent.
Il a parlé de sa propre expérience à travers l’enquête sur les faux médicaments qu’il avait réalisée et les pressions qui s’en ont suivies.
Enfin, il a été constaté que le véritable journalisme d’investigation est celui mené par un journaliste passionné et engagé, prêt à puiser dans ses économies pour s’autofinancer.
D’autres ont trouvé qu’avant d’arriver au journalisme d’investigation, il faudrait d’abord passer par le journalisme citoyen.
Ont été évoqué les financements des journalistes free-lance, le journalisme collaboratif et surtout le fact-checking qui absorbe beaucoup de financements et qui est en train de dérouter le journalisme de sa vocation première, celle de vecteurs de l'information.
Avaient assisté à la rencontre des journalistes venus des Comores, du Sénégal, du Cameroun et d'autres pays, dont le directeur du Centre d'Etudes Supérieures des Sciences et Techniques de l'Information (CESTI) de Dakar, Mamadou NDiaye.
Cheikh Aïdara