Réputé être l’un des pays aux côtes les plus poissonneuses au monde, la Mauritanie pourrait, également, devenir une destination touristique privilégiée, si – et seulement si – elle trouve la bonne formule pour tirer profit de son environnement marin et de son littoral négligé et sérieusement menacé par les constructions urbaines.
La ville de Nouakchott va vers le désert, au nord, comme à l’est, avec une tendance « mégalopolitaine » certaine, mais elle rampe, aussi, vers la mer, cette mère nourricière, dont elle mange l’espace vital, ce littoral négligé et sérieusement menacé par les constructions urbaines et la pollution.
Dans les nouvelles mesures prises en conseil des ministres, pour délimiter l’espace maritime, les autorités n’ont pas pris en compte tant de menaces venant de la Ville, en n’octroyant au ministère de la pêche et des infrastructures maritimes et portuaires que le « minimum vital » comprenant une bande de seulement 100 mètres du littoral !
Lire : https://ami.mr/fr/archives/260831
L’on ne comprend pas ainsi que le littoral peut être, avec une stratégie bien pensée, un cadre de vie bénéfique notamment pour le tourisme. La ville peut bien vivre, en bon voisinage, avec la mer, mais dans un respect mutuel de l’aménagement qui sied à chaque espace, sans faire le (mauvais) choix d’étouffer le littoral, avec d’importantes installations portuaires et industrielles composées de chantiers de traitement de poisson, à Nouakchott et à Nouadhibou, dont les effluents causent une certaine incommodité aux quartiers résidentiels qui jouxtent l’océan.
Mais c’est la privatisation du front de mer, dans le cadre des activités de la zone franche de Nouadhibou, par exemple, aux abords de la Baie de l’Etoile, qui provoque de sérieux risques en cas de surcote marine, de pollution et d’altération des zones humides.
A noter que la longue dépression sud-nord de l’Aftout essahili, parallèle au rivage et à faible distance de celui-ci, qui longe la côte mauritanienne depuis le delta du fleuve Sénégal jusqu’à Nouakchott, constitue une longue « gouttière » qui accroit considérablement les risques de submersion étendue en cas d’intrusion marine majeure.
La construction du Port de Nouakchott, avec une jetée perpendiculaire au flux de dérive littorale, a été responsable de graves problèmes d’érosion au sud du PANPA, heureusement traités par les autorités en y engageant des moyens conséquents.
Problématiques globales liées aux changements climatiques
Le changement climatique, la perte de biodiversité et la pollution ont été identifiés par le Programme des Nations Unies pour l’environnement (PNUE) comme la triple crise planétaire à laquelle l’humanité est confrontée. En Mauritanie, la question est : comment faire pour réduire notre empreinte environnementale en zone marine, côtière et littorale ?
Notre préoccupation, à l’échelle du pays, n’est pas encore focalisée par les émissions mondiales de gaz à effet de serre qui culmineront avant 2025, et qui font que 9 pays sur 10 concernés par ce phénomène se trouvent en Afrique, mais bien à celle de la façon de nous protéger contre leurs effets dont les derniers en date sont ces inondations qui ont touché plusieurs zones de la Vallée, et contre la pollution de nos côtes, en assurant une bonne gestion urbanistique du littoral.
Lire : https://kassataya.com/2024/10/19/crues-et-inondations-des-villes-mauritaniennes-menacees/
Selon la Banque mondiale, la pollution de l’air est le principal risque environnemental pour la santé. Il a coûté environ 8,1 milliard de dollars en 2019. La pollution aquatique est un problème important à l’échelle mondiale, principalement en raison du rejet de grandes quantités de polluants provenant des activités industrielles en mer (pêche, pétrole, transport maritime…) et à terre (industries minières, industries de la pêche…) et aux déversements des égouts municipaux comme à Nouakchott et à Nouadhibou.
Le changement climatique affecte de manière disproportionnée les Mauritaniens les plus pauvres, en particulier les femmes, les enfants et les personnes âgées, et exacerbe les effets des phénomènes météorologiques extrêmes tels que les sécheresses et les inondations.
Les enjeux environnementaux de l’exploitation du gaz et du pétrole
En Mauritanie et au Sénégal, d'importants projets de développement côtier ont été lancés, notamment des ports et l'exploitation d'un gisement de gaz commun. Cependant, le littoral de cette région est soumis à des risques d'érosion importants pour une biodiversité remarquable désignée comme Réserve de biosphère transfrontalière du delta du fleuve Sénégal (RBTDS) depuis 2005.
Cette zone frontalière correspond aux secteurs côtiers MR4-c, MR4-d (Mauritanie) et SN1-a, SN1-b (Sénégal) tels que définis dans le Schéma Directeur du Littoral Ouest Africain - SDLAO (UEMOA and MOLOA, 2016).
Certains secteurs ont un littoral très étroit bordé en retrait par des zones inondables, ce qui les rend très instables. La priorité d’action dans ces zones s’est accrue au fil des ans en raison de l’évolution des enjeux tels que l’extraction de sable, l’exploration pétrolière et gazière et la construction du port de N’Diago. Par conséquent, une surveillance et une observation intensives et régulières sont essentielles pour faire face aux risques de pollution et d’érosion côtière dans ce secteur.
Pour relever ces défis et atténuer les impacts potentiels des activités et des investissements sur le développement et l'intégrité du littoral, la Mauritanie et le Sénégal ont décidé de mettre en place un comité mixte par le biais d'un protocole dans le cadre du projet WACA ResIP. Ce comité coordonnera les efforts entre les deux pays, y compris la réalisation d’études sur le littoral pour lutter contre l’érosion côtière dans la zone frontalière sénégalo-mauritanienne.
Une action à l’échelle régionale
Pour les solutions à long termes, il est indéniable que les Etats ouest-africains doivent s’en remettre aux propositions du projet régional WACA qui reconnaît la nécessité de traiter l’érosion et la pollution côtière à l’échelle régionale en raison de la nature étendue de ces questions qui transcendent les frontières nationales. Le projet encourage la prise en compte des préoccupations transfrontalières, car les activités et les investissements côtiers dans un pays peuvent affecter les pays voisins…en provoquant de l’érosion. Il souligne l’importance de développer des mécanismes de collaboration entre les Etats par la mutualisation des ressources financières qui se font de plus en plus rares.
Dans ce cadre, il faut souligner l’importance de l’étude menée par l’UGP Projet WACA Mauritanie « Elaboration d’un état des lieux/Diagnostic des dynamiques et évolutions du littoral mauritanien », dont le rapport final provisoire est sorti le 02 août 2024.
L’on doit à des chercheurs mauritaniens dans le domaine, tel Dr Mahfoud Taleb Ould Sidi, Directeur ISSM/ACNAV Nouadhibou, récompensé le 28 novembre de la Médaille de Chevalier de l’Ordre du Mérite National, pour ses précieuses recherches, le développement de solutions innovantes, basées sur la nature, et constituant une première étape vers l’indépendance financière des communautés de base à travers, par exemple, le marché du carbone.
Ould Taleb Sidi pense, qu’une « réduction soutenue des émissions dans l’atmosphère du CO2 et de sa séquestration nécessite de multiples approches, y compris celles qui impliquent l’usage des plantes halophiles. Dans la zone littorale mauritanienne, une grande partie des terres sont inutilisées du fait qu’elles sont improductives, voire stériles, en raison de l’aridité extrême et de l’accumulation de sel à la surface du sol. Seules les plantes halophiles peuvent y vivre. De larges portions du littoral sont constituées de sol nu. La végétation qui y pousse doit être hautement spécialisée dans ses caractères végétatifs afin de résister aux inondations occasionnelles, à l’eau de mer et à la sécheresse. »
Cet effort de reboisement important est très réaliste du fait que la récupération d’une si grande quantité de terres actuellement non utilisées à d’autres fins ne pose pas de problème particulier. Ce qui va améliorer sensiblement la biodiversité avicole, benthique et floristiques tout en protégeant la zone couverte de l’érosion côtière et de l’intrusion marine. La situation économique des acteurs locaux sera grandement améliorée de façon directe (contribution à la protection de la ville de Nouakchott, emploi vert et indirecte.
Ayant consacré un ouvrage au littoral mauritanien et à la gestion idoine pour le préserver, Aboubakry Thiam livre ce qu’il considère une raison suffisante pour le préserver contre les risques que nous avons évoqués comme hautement potentiels : « Pour la Mauritanie, le littoral est essentiel en matière écologique, économique, sociale et paysagère. Rechercher son équilibre, sa préservation et sa restauration est une des clés d’avenir » du pays.
Sneiba Mohamed
Caractéristiques scientifiques du littoral mauritanien
Le littoral mauritanien est situé dans la bordure ouest du bassin côtier sédimentaire sénégalo-mauritanien (Vernet et Tous, 2004). L’histoire géologique de ce grand bassin sédimentaire et de la Mauritanie atlantique entre Nouakchott et Nouadhibou est marquée par une succession de transgressions et de régressions marines. Les changements océaniques, tectoniques, climatiques et biologiques ont laissé des témoins géologiques particulièrement intéressants pour reconstituer l'histoire du Quaternaire littoral (Hébrard, 1978), démontrant ainsi la formation du littoral mauritanien actuel au fil des ères géologiques.
Le rebord du plateau continental mauritanien, qui couvre une superficie de 39 000 km2, n'est pas clairement défini (BP, 2019). Le plateau continental nord (au nord du cap Timiris), est large de 60 à 90 km et incisé de nombreux canyons, où les profondeurs peuvent atteindre 300 à 400 m (BP, 2019). Les profondeurs varient considérablement le long du plateau continental nord. En effet, alors que le chenal de la Baie de Lévrier, près de Nouadhibou, présente des profondeurs pouvant atteindre 20 m, des profondeurs nettement plus faibles, de 4 m en moyenne, sont mesurées au niveau du Banc d'Arguin. Ce banc occupe une grande surface dans la baie et limite les échanges d'eau entre le littoral et la haute mer. Par conséquent, les conditions environnementales dans cette région présentent une variabilité considérable en ce qui concerne la température et la salinité. Au large de la côte sud de la Mauritanie, les canyons sont beaucoup moins fréquents qu'au nord du Cap Timiris et la largeur du plateau continental est beaucoup plus étroite, variant de 15 km en face du cap à environ 50 km plus au sud (BP, 2019).
Du point de vue géomorphologique, la façade atlantique de Mauritanie est généralement basse, rectiligne et composés de formations sableuses soumises à l’action directe du courant de dérive littorale, adossées à un système de dunes bordières actives plus ou moins stabilisé par la végétation, le long de ses 720 kilomètres. À proximité immédiate et en arrière du cordon s’étendent de vastes dépressions salées (« sebkha » ou « chott »), localement situées en dessous du niveau de la mer.
Les paysages géographiques du littoral mauritanien actuel peuvent être divisés en deux unités distinctes (Figure 2 1), i.e. la Région Naturelle du Nord (Unité 1 sur Figure 2 1) et les Régions Naturelles du Centre et Sud (Unité 2 sur Figure 2 1), caractérisées par (Fadel, 2024) de la sorte :
• une côte au tracé sinueux située sur la Région Naturelle du Nord, comprise entre le Cap Blanc (à Nouadhibou) et le Cap Timiris (à Nouamghar), formée essentiellement de falaises rocheuses, plateau rocheux (grès) à stratifications entrecroisées, de hauts fonds, d’îles et d’îlots ; cette partie nord du littoral est relativement protégée de la houle grâce à une avant-côte rocheuse assez élevée (Nord du Cap Blanc) d’une part, et à un banc peu profond (Banc d’Arguin) d’autre part.
• une côte sableuse et rectiligne dans les Régions Naturelles du Centre et du Sud jusqu’à l’embouchure du fleuve Sénégal, très exposée à l'action de la houle ; cette partie centre et sud est formée presque exclusivement de plages sableuses derrières lesquelles sont situés des chotts et des sebkhas ; une exception est la côte entre Blawakh et Tanit qui comprend plusieurs caps et baies (dont les plus importantes sont la baie d’Achéma et la baie de Tanit) délimitées par des pointements rocheux s’appuyant sur des affleurements rocheux.
Source : « Elaboration d’un état des lieux/Diagnostic des dynamiques et évolutions du littoral mauritanien », UGP Projet WACA Mauritanie, Rapport final provisoire, août 2024.
NOTES BIBLIOGRAPHIQUES :
- WACA Mauritanie, recherches pleines d’espoir pour le littoral mauritanien, février 2024.
- Atlas maritime des zones vulnérables en Mauritanie, SCRIBD, Sandra Kloff, 25 Oct. 2021
- Projet Grand Tortue-Ahmeyim, changement climatique et impacts sur le littoral mauritanien, Afirca 21, 2019.
- Garder un œil sur le littoral de Nouakchott, Baba Kane, Cridem, 19/02/2011.
- Littoral mauritanien, vers une gestion intégrée ? Aboubacry Thiam, l’Harmattan, 2019.
- APPD UE-Mauritanie : les scientifiques soulignent les problèmes de durabilité, mais évitent d’aborder la protection des récifs coralliens, CHEZVLANE, novembre 2023.