« Face à l’ampleur des violences faites aux femmes et aux filles à Zouerate, notamment les cas de viol, j’estime que la mise en place de la Plateforme multisectorielle pour combattre le phénomène est survenue avec trop de retard ». C’est en ces termes que la Directrice régionale à l’Action Sociale a accueilli avec plein d’espoir, jeudi 26 août 2021 à Zouerate, l’installation de la Plateforme multisectorielle de lutte contre les violences basées sur le genre.
Avec l’appui du Fonds des Nations Unies pour la Population (UNFPA), le Ministère des Affaires Sociales, de l’Enfance et de la Famille (MASEF), sous la supervision des autorités régionales, a installé jeudi 26 août 2021 dans la capitale du Tiris-Zemmour, la Plateforme multisectorielle de lutte contre les violences faites aux femmes et aux filles.
Un cadre de coordination venu à point nommé
Ouvrant les travaux de l’atelier de formation destiné aux 15 membres de la plateforme, le Directeur de cabinet du Wali, M. Mohamed Abdel Vetah Ould Ahmed, a rappelé certains principes de l’Islam qui bannissent l’injustice envers tout musulman, mettant en exergue les comportements étrangers à notre société qui menacent et mettent en péril la vie des femmes et des jeunes filles. Il a également souligné que ces changements sociaux, dus à la mondialisation, ont entraîné l’éclatement de la cellule familiale, avec comme conséquences, la délinquance juvénile et la surconsommation des substances psychotropes chez les jeunes et les adolescents. Tous ses éléments ont contribué, selon lui, à booster les crimes consécutifs à la recrudescence des violences, notamment celles faites aux femmes et aux filles.
« Pour toutes les raisons évoquées plus haut, nous mesurons à sa juste valeur la mise en place de la Plateforme multisectorielle de lutte contre les VBG, qui vient à point nommé, pour la ville de Zouerate. Nous sommes certains que ce cadre de coordination et de concertation entre tous les acteurs travaillant dans le domaine des droits de l’homme et de la protection sociale, notamment celle visant les femmes et les filles, va contribuer à faire baisser, sinon à éradiquer, les actes criminels qui portent préjudice à la paix civile et sociale » a déclaré le Directeur de cabinet du Wali avant d’annoncer solennellement la mise en place de la Plateforme multisectorielle de lutte contre les VBG de Zouerate.
A son tour, Mme Khadijetou Cheikh Lô, Chargée du Programme Genre à l’UNFPA, a exprimé tout le plaisir qu’elle ressent de participer à cette rencontre qui traduit l’intérêt que porte le gouvernement mauritanien à la préservation du droit des femmes, à travers la lutte contre les violences dont elles sont les principales victimes. « Je voudrais saluer, au nom du Représentant résident de l’UNFPA, M. Saidou Kaboré, l’excellente collaboration et de partenariat entre le gouvernement mauritanien et le Fonds des Nations pour la Population, à travers tous les programmes qui œuvrent à la préservation des droits des femmes et des filles en particulier » a-t-elle déclaré.
Elle a rappelé dans ce cadre l’intérêt qu’accorde le Chef de l’Etat, M. Mohamed Cheikh Ghazouani à la question de la protection des franges les plus fragiles, notamment les femmes et les jeunes filles.
Auparavant, le maire adjoint de Zouerate, M. Bowba Ould Abass, avait souhaité la bienvenue aux délégations du MASEF et de l’UNFPA, ainsi qu’aux autorités et aux participants. La cérémonie s’est déroulée en présence du Préfet de Zouerate, M. MKhaittrat Ould Hmeiti et de Mme Lebneikh Mint Soule, Directrice de la Promotion de la Famille, de la Femme et du Genre, accompagnée de deux experts de son département, ainsi que M. Bâ Mamadou, Chargé de Communication de l’UNFPA.
Quel rôle pour les membres de la plateforme
Au cours des deux jours de formation, les 26 et 27 août 2021, les membres de la plateforme issus des départements des Affaires Sociales, de l’Education, des Affaires Islamiques, de la Justice, du Ministère de l’Intérieur (Police) et du Ministère de la Défense (Gendarmerie), en plus des organisations de la société civile, ont suivi une formation complète sur les violences basées sur le genre, définitions et concepts, mais surtout sur le rôle qui leur est dorénavant dévolu au sein de la plateforme. « Vous êtes appelés à travailler au sein de cette cellule de coordination pour la prévention et la prise en charge des cas de violences basées sur le genre. La plateforme devient ainsi le point de convergence de toutes vos actions sous la supervision de la Directrice régionale à l’Action Sociale qui préside et coordonne les actions du cadre qui vient d’être installé » a insisté Mme Neya Mint Hally, experte chargée de la formation en VBG auprès du Ministère des Affaires sociales.
En plus des réunions mensuelles de courte durée où chacun des membres de la plateforme devra fournir un rapport, une réunion globale d’une journée est prévue tous les trois mois au cours de laquelle les échanges sur les cas recensés seront plus circonstanciées.
Le dernier jour a été marqué par les travaux de groupe et la présentation d’un canevas de plans d’actions sur lesquels devront être répertoriés l’ensemble des actions prévues au cours de l’année.
L’or et la recrudescence des violences
Si chaque Wilaya a sa particularité, la ville de Zouerate est connue pour son statut de cité minière, en tant que poumon vivant de la Société Industrielle et Minière (SNIM). Mais l’affluence de quelques 30.000 prospecteurs d’or, depuis deux ou trois ans, a fait exploser la démographie urbaine. Beaucoup de chercheurs ont envahi la cité, certains venant des coins les plus reculés de la Mauritanie, d’autres des plus lointaines contrées d’Afrique.
Selon Mme Vatimetou Mint Mohamed Elemine, Directrice régionale à l’Action Sociale du Tiris-Zemmour, l’arrivée de ces masses d’aventuriers a des répercussions certaines sur la criminalité d’une manière générale et sur les violences faites aux femmes et aux filles notamment. Cela se traduit en particulier par le nombre important d’épouses abandonnées. « Certaines viennent nous voir et quand on leur demande des informations sur le conjoint disparu, la plupart ne connaissent que vaguement son prénom, sans plus, même pas une pièce d’identité en leur possession » affirme-t-elle. Ce genre de violences conjugales aux répercussions psychologiques, surtout chez les jeunes filles, est d’après la Directrice régionale, une pratique courante dans la région.
Les cas de viol sont aussi nombreux à Zouerate, selon elle. Ce serait même la forme de violence la plus répandue, notamment chez les jeunes filles, parfois en milieu scolaire. « En 2020, nous avons recensé quelques 30 cas de violences, plus qu’en 2019, où 20 cas ont été répertoriés » a-t-elle ajouté. Même ampleur pour la violence faites aux enfants, en l’absence d’une Table régionale de protection de l’enfance au Tiris-Zemmour. « Depuis l’arrivée en mars 2021, d’un chargé de la protection de l’enfance, il a compilé déjà 10 cas de violences sur les enfants » a-t-elle complété.
Les enfants de Zouerate, une frange exposée
« Les problèmes de l’enfance à Zouerate sont pléthoriques, et se manifestent sous diverses formes, en particulier l’absence d’actes d’état-civil, provoquant la déscolarisation dès la fin du cycle primaire, le vagabondage et la délinquance. Ils sont souvent victimes de violences sexuelles, les garçons comme les filles mineurs » a déclaré M. Moussa Ould Ahmed, chargé de la Protection de l’Enfance au niveau de la Wilaya du Tiris-Zemmour. « Depuis mon arrivée, en mars 2021, j’ai déjà recensé 10 cas de violences visant les enfants » a-t-il complété.
Impunité sous l’auspice des chefs de tribus
« Ce que nous déplorons en matière de VGB, nous représentant la société civile active dans le domaine, c’est l’intervention des chefs de tribus, des hauts cadres et élus, dans les affaires de viol pour assurer l’impunité aux auteurs » a réagi Mme Idoumha Mint Abass, représentante de l’Association Mauritanienne pour la Santé de la Mère et de l’Enfant (AMSME) au niveau du Tiris-Zemmour et membre de la Plateforme multisectorielle de lutte contre les VBG à Zouerate. Elle a cité le cas d’une fillette de 12 ans, victime d’un viol de la part d’un quadragénaire et qui a défrayé la chronique au niveau de Zouerate. « Le chef de la tribu à laquelle appartient l’auteur du viol, a fait le déplacement à Zouerate, accueilli par des « Enhayer » (immolation d’une dizaine de chameaux) en son honneur. Il a été accueilli dans le domicile d’un des élus de la ville au milieu d’une effervescence tribale sans précédent » a-t-elle raconté. En écho, la société civile avait organisé, selon elle, des sit-in non-stop devant la Wilaya et le Palais de justice, épaulée par la majeure partie de la population, écœurée par la nature du drame. « Ce qui n’a pas empêché selon elle, l’auteur d’être condamné à 2 ans de prison et une amende de 750.000 MRO » a-t-elle ajouté.
52 cas de viol en 2019-2020
Dans son rapport annuel, 2019-2020, la cellule de l’Association des Femmes Chefs de Famille (AFCF) au Tiris-Zemmour, mentionne être intervenue dans 52 cas de viol au niveau de la Wilaya. Ces cas ont été recensés à Touajil (1), F’Dérick (7), Bir Moghreïn (5) et le reste, soit 39 cas, à Zouerate.
Dans le domaine des violences conjugales, 25 cas ont été répertoriés dont 4 cas d’agressions physiques, un mari qui a battu sa femme enceinte, un autre qui a battu son épouse devant ses enfants, les autres cas, ce sont des injures et des paroles blessantes.
Dans le cadre des mariages des enfants, la Coordinatrice de l’AFCF au niveau du Tiris-Zemmour, Mme Salka Mint Teghra dit Mama, affirme que son association a empêché 4 cas de mariage d’enfants.
Selon elle, « la Wilaya du Tiris-Zemmour est victime de sa position géographique, en ce qu’elle partage des frontières avec le Mali, l’Algérie, le Maroc et le Polisario. Elle est donc un carrefour où transitent des populations venant d’horizons divers, avec leurs cultures, leurs modes de vie et leurs propres valeurs ». D’après Salka Mint Teghra, cela aurait beaucoup influé sur la vie des autochtones et leurs mœurs, expliquant quelque part la recrudescence des violences, ajouté à la mondialisation, à la transformation brusque de la configuration démographique et culturelle de la société locale. « Des phénomènes jusque-là inconnus prennent de l’ampleur, comme les enfants vagabonds, les viols, les mariages sans état-civil, la consommation de la drogue, la délinquance juvénile, etc. » précise-t-elle.
Pour contenir cette violence en expansion, il faut l’application stricte des lois et la condamnation sévère des auteurs, pour dissuader d’éventuels autres candidats, a-t-elle plaidé. « C’est dans ce cadre que se situe l’importance de la plateforme multisectorielle de lutte contre les violences faites aux femmes et aux filles qui vient d’être installée à Zouerate et dont je suis membre active » a-t-elle conclu.
Cheikh Aïdara