Nouadhibou ferme, ce 31 août 2021, le long processus d’installation de plateformes multisectorielles de lutte contre les violences basées sur le genre, que le Ministère des Affaires Sociales, de l’Enfance et de la Famille (MASEF), avec l’appui du Fonds des Nations Unies pour la Population (UNFPA), a entamé depuis le 8 août 2021 dans les 15 capitales régionales du pays.
« Rien qu’au cours de ce mois, nous avons recensé près de 80 cas de viol à Nouadhibou » affirme Hawa Bâ, Sage-femme, Point Focal Santé de la Reproduction à la Direction régionale de la Santé à Nouadhibou et membre de la plateforme multisectorielle de lutte contre les Violences Basées sur le Genre (VBG) qui vient d’être installée. Parmi les victimes, des jeunes filles et des garçons, selon elle.
Ce témoignage a été recueilli en marge de la cérémonie d’installation de la Plateforme multisectorielle de lutte contre les violences basées sur le genre dans la Capitale économique, le 30 août 2021. Il s’agit de la 15ème et dernière plateforme dans une longue liste qui a englobé depuis le 8 août 2021, toutes les Wilayas du pays.
La chute des valeurs et l’éclatement des liens sociaux comme facteurs de violences
Annonçant l’installation officielle de la plateforme, le Wali Mouçaid Chargé des Affaires Politiques et Sociales de la Wilaya de Dakhlet-Nouadhibou, M. Moustapha Ould Mohamed El Mokhtar, a affirmé que le respect des droits humains est l’un des piliers essentiels de la religion musulmane qui honore l’Homme sur terre et sur mer. « En tant que musulman, il nous est recommandé de nous entraider. La religion nous interdit le bien, le sang et l’honneur du musulman, notre frère » a-t-il cité, puisant ses sources du Coran et de la Sunna. Il a cependant relevé l’apparition de formes de violences étrangères à nos valeurs et dont les principales victimes sont les femmes et les jeunes filles. Ces violences seraient dues selon lui, à l’éclatement des liens sociaux et des cellules familiales, le relâchement du rôle des parents dans l’éducation des enfants. « Tous ces éléments réunis parmi d’autres, sont à la source des formes de déviance observées chez les jeunes, notamment la délinquance juvénile, la création de bandes criminelles organisées, le tout boosté par l’utilisation de plus en plus répandue des substances psychotropes » a-t-il cité.
Le Wali a aussi mis en exergue comme facteurs multiplicateurs des violences, la mondialisation, la situation économique difficile et la chute des pouvoirs d’achat, dont les effets se traduisent aujourd’hui par la fragilité sociale et la chute des valeurs de la société mauritanienne qui donnait une place de choix à la femme. Selon lui, sans l’union des forces, toute lutte est vouée à l’échec. « Nous saluons l’initiative prise par le MASEF de créer un cadre de concertation et de coordination réunissant les départements de l’Etat et la société civile, avec la femme comme cible de protection » a-t-il mentionné. Et de poursuivre, « c’est dans ce cadre qu’intervient l’organisation de cet atelier d’installation de la Plateforme multisectorielle de lutte contre les VBG à Nouadhibou et dont j’ai l’honneur d’annoncer officiellement la mise en place ». Ce cadre regroupe les acteurs clés intervenants dans ce domaine, la Direction régionale à l’Action Sociale qui assure la présidence, les départements de l’Education, la Santé, la Justice, les Affaires Islamiques, la Police, la Gendarmerie et la société civile.
Pendant deux jours, les 30 et 31 août 2021, les 15 membres de la plateforme ont suivi une formation complète sur les VBG, mais surtout, sur le rôle et le fonctionnement de ce cadre de coordination. Cette formation a été dispensée par Mme Neya Mint Hally, Experte auprès du MASEF.
Les violences sur le genre, entre silence, stigmatisation et honte
M. Seynath Aidara, Représentant adjoint de l’UNFPA Mauritanie, a pour sa part indiqué que « la violence à l’égard des femmes et des filles constitue l’une des violences des droits humains les plus répandues, les plus persistantes et les plus dévastatrices dans le monde ». Ces violences demeurent également, selon lui, l’une des moins signalées à cause du silence, de la stigmatisation et du sentiment de honte qui l’entourent.
« Les chiffres sont alarmants, plus de 750 millions de femmes et de filles dans le monde ont été mariées avant leur 18ème anniversaire, plus de 200 millions de filles ont subi une mutilation génitale féminine, 71% des victimes de la traite humaine dans le monde, sont des femmes et des filles » a-t-il illustré.
Pour M. Seynath Aidara, la promesse des Objectifs de Développement Durable (ODD), « Ne laissez personne de côté » ne peut être remplie sans mettre fin aux violences à l’égard des femmes et des filles. Selon lui, pour que les ODD auxquels les Nations du monde ont adhéré soient atteints et aient des résultats significatifs, des mesures doivent être prises pour briser le cycle de la violence qui prive des millions de femmes et de filles de leurs droits fondamentaux et de leurs capacités à contribuer au progrès économique et social de leur nation.
Il a saisi l’occasion pour saluer les efforts fournis par le gouvernement mauritanien dans la lutte contre les violences faites aux femmes et aux filles. « La mise en place des 15 plateformes multisectorielles de lutte contre les violences basées sur le genre dans le pays en est une parfait illustration » a-t-il souligné. Il a appelé les participants à conjuguer leurs efforts pour sensibiliser l’opinion nationale sur les dangers liés aux violences sexistes et sexuelles, le mariage des enfants, les mutilations génitales féminines, la traite et le travail des jeunes filles, les violences domestiques et physiques, pour ne citer que celles-là.
Il a réitéré la disponibilité de son institution, l’UNFPA, à apporter son soutien nécessaire en matière de prévention et de prise en charge des violences basées sur le genre afin que les femmes et les enfants, notamment les filles, soient en mesure de revendiquer leurs droits et soient protégées de la violence.
Auparavant, la Directrice de la Promotion de la Famille, de la Femme et du Genre auprès du MASEF, Mme Lebneik Mint Soule et la Directrice régionale à l’Action Sociale de Dakhlet-Nouadhibou, Mme Vowghoum Mint Ahmed Salem, s’étaient exprimé pour expliquer l’importance de la plateforme dans la lutte contre les violences faites aux femmes et aux filles au niveau du pays et à Nouadhibou, en particulier. La rencontre s’est déroulée en présence du Directeur de cabinet du Wali de Dakhlet-Nouadhibou, assurant l’intérim du Préfet de Nouadhibou, M. Cheikh Ould Mohamed Hassen, Mme Khadijetou Cheikh Lô, Chargée de Programme Genre et M. Bâ Mamadou Chargé de Communication à l’UNFPA.
Au cours des débats, certains intervenants ont mis en exergue le caractère particulier de Nouadhibou, ville économique, avec ses industries minières, ses ports et ses usines de pêche. Mais aussi, ville cosmopolite, avec des flux de migrations forts, certains venant des villes de l’intérieur du pays, avec également des centaines de migrants africain, asiatiques et d’autres nationalités. Ce qui fait de Nouadhibou, la deuxième ville la plus exposée aux violences et au banditisme après Nouakchott, la Capitale.
Cheikh Aïdara
Témoignages
Mme Lebneik Mint Soule, Directrice de la Promotion de la Famille, de la Femme et du Genre auprès du MASEF
« La mise en place des plateformes multisectorielles de lutte contre les violences faites aux femmes et aux filles par le MASEF est une réponse face à l’ampleur de plus en plus grande des violences qui constituent un phénomène étranger à notre société qui vouait un respect particulier aux femmes et aux filles. La nature quotidienne de ces violences a poussé le ministère des Affaires Sociales à réfléchir à une solution pérenne pour y mettre fin, et c’est justement l’objet de ces plateformes qui constituent un cadre multisectoriel englobant l’ensemble des acteurs qui interviennent dans le domaine. Après cette première étape qui a ciblé les 15 capitales régionales, les étapes suivantes vont concerner les Moughataas, puis les communes, pour rapprocher ces cadres des populations et des cibles ».
Mme Hawa Bâ, Sage-femme, Point Focal SR à la Direction régionale de la Santé à Nouadhibou, membre de la plateforme
« Je remercie le MASEF et l’UNFPA pour avoir mis en place cette plateforme et cette formation qui nous a permis d’accumuler de nouvelles connaissances et pratiques dans la prise en charge des survivants(es). Lorsque je travaillais à la PMI (service Protection Maternelle et Infantile : ndlr), une survivante qui se présentait avec une réquisition, le document transitait par le médecin avant qu’on ne passe à l’interrogatoire et à la consultation et on renvoyait le tout de nouveau chez le médecin. Même si j’ai quitté la PMI, j’ai appris qu’il y a eu des changements. Maintenant, les survivantes doivent voir un gynécologue pour la signature et la confirmation. La plateforme va changer la donne, car maintenant, les cas de VBG sont automatiquement transférés vers les membres de la plateforme et ces cas sont discutés en coordination avec les autres membres pour sa prise en charge. Il faut dire qu’il y a toutes les formes de violences à Nouadhibou, notamment les viols des petites filles et des garçons. Près de 80 cas ont été recensés rien qu’au cours du présent mois d’août et les victimes appartiennent à toutes les classes sociales, en particulier les populations vivant dans la périphérie ».