C’est à Sélibaby, capitale du Guidimagha, que l’Association Traversées Mauritanides a déposé ses valises pour sa 3ème édition de ses « Hivers Littéraires ». Ecrivains, journalistes, poètes et universitaires ont communié avec un public assoiffé de connaissances et des belles lettres. La Maison des Jeunes de Sélibaby a ainsi refusé du monde, ce vendredi 3 décembre 2021, à l’entame d’une série de conférences qui seront couronnées dimanche 5 décembre par un concours « Génies en Herbe » à l’intention des élèves.
« Crise de l’école, quelles pistes pour l’excellence ». Ce thème, d’actualité, a marqué la première rencontre entre le public de Sélibaby et les membres de l’association Traversées Mauritanides qui ont fait le déplacement depuis Nouakchott. Originaires de Sélibaby où ils ont fait leur parcours scolaire, Bios Diallo, écrivain journaliste, conseiller au Ministère de la Culture et président de « Traversées Mauritanides », Mamadou Kalidou Bâ, professeur de littérature à l’Université de Nouakchott, ou encore Cheikh Nouh, journaliste et poète, avec plus de sept ans de carrière d’enseignant dans la région, ont tenu à partager leurs expériences et dire aux élèves qui avaient rempli la salle de la Maison des Jeunes, qu’eux aussi, ils peuvent réussir dans leurs études.
Plusieurs enseignants, professeurs et gens de lettres du Guidimagha ont également assisté, ce vendredi 3 décembre 2021, au lancement des « Hivers Littéraires » de Traversées Mauritanides qui seront marqués par une série de conférences, de visites d’établissements scolaires, avec comme clou, le concours « Génies en Herbe » prévu dimanche 5 décembre, organisé par le Club Planète Jeunes de Tékane et son président Mamadou Tall.
« Crise de l’école, quelles pistes pour l’excellence »
Le premier thème abordé à l’entame des journées littéraires de Traversées Mauritanides au Guidimagha a porté sur l’éducation et la crise de l’école mauritanienne, objet de concertations régionales et nationales courant octobre et novembre 2021.
« L’école mauritanienne souffre d’une triple crise » a souligné le Pr. Mamadou Kalidou Bâ, lors de son intervention. Il y a d’abord, selon lui, la crise institutionnelle à tous les échelons, avec une injustice dans l’accès aux responsabilités, des nominations sur des critères complaisants et des parachutages népotistes, faisant ressortir à la base, une mauvaise gestion des ressources humaines au niveau central. Il a également évoqué l’absolu nécessité de séparer l’enseignement public de l’enseignement privé, ce dernier squattant le personnel enseignant dans le public, d’où des taux élevés d’absentéisme dans ce secteur. L’autre défi, selon Pr. Bâ, c’est la crise morale et déontologique. Il a évoqué l’enseignant d’hier, celui des années 60, 70 jusque dans les années 80, qui était imbu de ses valeurs et de son sacerdoce, et qui était presque l’idéal auquel se confondaient les élèves. Enfin, il a mis en exergue l’impérieuse nécessité aujourd’hui de redorer le blason de l’enseignant par la revalorisation de ses conditions matérielles et financières.
Pour sa part, Cheikh Nouh, voit dans la politisation du système éducatif, notamment à partir de la réforme de 1999 et la guerre des langues, l’une des causes de la crise actuelle de l’école mauritanienne. Selon lui, « le problème de l’école, ce n’est pas un problème d’identité culturelle à travers la guerre entre l’Arabe et le Français, mais un problème de contenu et de stratégie ». Il a mentionné au passage, le nombre pléthorique dans les classes et la situation matérielle financière des enseignants. Enfin, il s’est réjoui de la progression dans la scolarisation des filles, car selon lui, « les femmes représentent plus de la moitié de la société, les mettre à l’écart dans le combat pour les connaissances, c’est compromettre le développement du pays ».
Ousseynou Traoré, économiste et agent de développement, a évoqué l’absence de planification scolaire face à l’explosion démographique et l’urbanisation sauvage. Cela se manifeste selon lui, par un grand déficit en termes d’infrastructures scolaires. Il a aussi regretté le fait que le département de l’éducation ait raté la révolution numérique, dans le contenu de ses programmes. Il a enfin dénoncé la démarche nonchalante du législateur et son laxisme face aux nombreuses lois fruits de la crise actuelle, ainsi que l’ingérence du politique dans l’éducation. Il n’a pas épargné dans ses critiques, la démission des parents d’élèves face à leurs responsabilités éducatives en tant que compléments du système d’enseignement. Enfin, M. Traoré a rappelé le succès enregistré par l’expérience pilote de l’Institut des Langues Nationales qui avait démontré dans les années 70-80 que l’enfant qui apprend à lire, écrire et calculer dans sa langue maternelle a plus de chance de réussir, même en français et en arabe, qu’un enfant qui débute sa scolarité par des langues qui lui sont étrangères.
Enfin, le professeur Yacoub Fofana, Directeur du Lycée de Sélibaby, qui a eu à enseigner le Pr. Mamadou Kalidou Bâ et Bios Diallo, a brièvement restitué sa participation aux journées de concertation sur la réforme du système éducatif, aussi bien les journées de concertation régionales au niveau du Guidimagha que les concertations qui ont eu lieu au niveau national à Nouakchott, au cours des mois d’octobre et novembre 2021.
L’une des causes de la crise de l’école mauritanienne serait, selon lui, le nombre élevé de réformes, soulignant qu’entre 1959 et 1999, la Mauritanie a connu 5 réformes du système éducatif, là où la France par exemple, n’a connu entre 1945 à nos jours que 3 réformes. Il a mis le doigt sur l’instabilité du cadre institutionnel et l’implication de la politique dans les stratégies éducatives, mais aussi l’absence de formation continue des enseignants et la mauvaise conception de la carte scolaire. De 70 villages dans les années 70-80, le nombre de villages au Guidimagha est passé, selon lui, à 500 localités, chaque regroupement de deux ou trois familles, voulant avoir sa propre école et ses enseignants, ce qu’elles obtiennent souvent selon lui, par le truchement du clientélisme politique.
Résultat d’une telle démarche, souligne-t-il en substance, une pléthore d’écoles et peu d’enseignants de qualité. Il a déclaré que toutes les réformes passées du système éducatif ont été conçues entre quatre murs, et que c’est la première fois que des consultations ont été organisées pour prendre en compte l’avis de tous les acteurs. Il a enfin évoqué la situation précaire de l’enseignant, l’absence de vocation, mais aussi l’expérience de l’Institut des langues nationales, qu’il faut selon lui, reprendre et mettre à l’échelle.
Visites dans les écoles
Vendredi matin, les membres de Traversées Mauritanides ont visité des établissements scolaires, une école privée et les collèges 1 et 2 de Sélibaby. Visite de classes, rencontre publique sur la cour de récréation, ont permis des échanges entre les membres de la délégation, le personnel enseignant et les élèves.
Partout, le message fut le même. « Des enfants de Sélibaby qui ont réussi leur cursus scolaire sur les mêmes bancs que vous, qui ont accédé à l’enseignement supérieur et qui ont accompli leur potentiel, viennent vous dire que vous aussi vous pouvez réaliser vos ambitions, en vous armant du savoir et de l’abnégation. L’école est le meilleur tremplin pour ça, alors on vous exhorte à étudier et à vous y cramponner ». Bios Diallo et Mamadou Kalidou Bâ, qui ont usé leur culotte sur les bancs de l’école primaire de Sélibaby, sur les bancs de son collège et de son lycée, sont venus ainsi transmettre ces messages d’encouragement à des centaines de jeunes, garçons et filles, qui buvaient littéralement chacun de leur parole. Enfin, ils ont invité leurs jeunes publics à venir suivre l’après-midi la conférence sur la crise de l’école et à se préparer pour le concours de culture générale le dimanche 5 décembre 2021.
Cheikh Nouh, qui a enseigné pendant sept ans au Guidimagha, est intervenu en Arabe, pour parler de son expérience et apporter une diversité linguistique dans le contenu des messages transmis par ses collègues.
Un lancement au Musée National à Nouakchott
Il faut rappeler que les « Hivers Littéraires de Traversées Mauritanides » ont été officiellement lancés le 1er décembre 2021 au Musée National de Nouakchott sous le thème « la diaspora : une réussite à construire ». Cette table-ronde a été animée par l’écrivain camerounais, Paul Dakayeko, le pneumologue Dr. Boubou Camara, le journaliste Hacen Lebatt et Moussa Tall de l’Organisation Internationale de la Migration (OIM).
Chacun des intervenants a évoqué son expérience à l’étranger et expliquer pourquoi, il a décidé à un moment de sa carrière de revenir chez lui, pour participer à l’effort de développement. Tous ont cependant déploré l’absence de structure d’accueil et d’accompagnement des Mauritaniens de retour dans leur terroir, que ce soit des cadres souhaitant revenir et s’investir ou, des Mauritaniens souhaitant investir dans leur pays.
Pour le moment, seul l’OIM développe une politique de retour des migrants, notamment des retours temporaires, comme Dr. Boubou Camara, qui exerce en France, mais qui a décidé de venir soutenir les équipes de santé en Mauritanie pour faire face à la pandémie Covid-19.
Il faut noter que ces dernières années, l’état mauritanien a pris conscience de l’importance de sa diaspora, d’où la révision en cours de la Stratégie nationale de la migration avec la collaboration de l’OIM et du Ministère de l’Intérieur pour prendre en compte cette dimension, mais surtout la mobilisation stratégique de la diaspora que les experts du Ministère des affaires étrangères et ceux de l’OIM sont en train de peaufiner, en plus des orientations nouvelles de l’Agence pour la promotion de l’investissement pour encourager les Mauritaniens de l’étranger à investir dans leur pays.
Cheikh Aïdara