Le Ministère des Affaires Sociales, de l’Enfance et de la Famille (MASEF), avec l’appui du Fonds des Nations Unies pour la Population (UNFPA), a organisé les 16 et 17 décembre 2021 à Nouakchott, un atelier de restitution du diagnostic et de validation des orientations de la nouvelle Stratégie nationale pour l’accélération de l’abandon des Mutilations Génitales Féminines (MGF) en Mauritanie.
Malgré des résultats très satisfaisant sur le recul des MGF, telles que révélés par les données préliminaires de l’Enquête Démographique et de Santé (EDS) 2020, les acteurs nationaux engagés dans la lutte contre ce fléau qui touche les filles, surtout les nouveau-nés, restent préoccupés par les taux encore élevés du phénomène. A ce titre, les chiffres du Guidimagha, qui sont passés d’une prévalence en MGF de 92% (MICS 2015) à 56% (EDS 2020) sont encourageants.
Baisse encourageante des MGF
Mme Khadijetou Lô, Chargée de programme Violences Basées sur le Genre (VBG) à l’UNFPA, se félicite ainsi de la baisse des MGF sur le plan national, de 66% (MICS 2015) à 63, 9 % (EDS 2020), notamment le recul enregistré au niveau des enfants de 0 à 4 ans, qui est passé de 53, 2% à 44,5%. « La tendance est vers la baisse, mais il y a encore du travail à faire, vu la persistance des poches de résistances » a-t-elle averti. Selon elle, les phénomènes liés à des facteurs de changements de comportements sont lents à se résorber. « C’est une lutte de longue haleine » affirme-t-elle. Elle a toutefois regretté la non-adoption de la loi sur les violences faites aux femmes et aux filles, validée en conseil des ministres, mais toujours bloquée par les poches de résistance au sein du parlement.
Ainsi, malgré les stratégies adoptées et les efforts consentis, les MGF résistent encore aux assauts des défenseurs des droits humains. Entre 2015 et 2019, la lutte contre les MGF a ainsi absorbé 667.000 dollars U.S par an, l’UNFPA disposant à ce titre, d’une enveloppe annuelle de 400.000 dollars U.S destinée aux MGF. Depuis 2015, les MGF sont introduits dans les curricula des écoles de santé, et la santé de la reproduction est dans les programmes scolaires au niveau du secondaire. Depuis 2018 également, le Comité national de suivi VBG/MGF se réunit régulièrement pour faire le point.
Pour Khatou, Coordinatrice de la Cellule Genre au MASEF, « chaque déclaration sur les MGF a été suivie de la mise en place d’un comité de veille post-déclaratif, mais c’est le suivi qui a manqué ». Elle a surtout déploré l’absence de coordination entre le MASEF et les acteurs de la société civile. « Les ONG ne présentent pas de rapport ou ne les partagent pas avec nous, d’ailleurs beaucoup mènent des activités de terrain sur les VBG et les MGF sans que nous soyons au courant » a-t-elle regretté. Elle a aussi noté la résurgence des pratiques MGF ces dernières années avec l’arrêt des campagnes de sensibilisation.
Le paradoxe demeure encore vivace, selon plusieurs experts, qui trouvent incompréhensibles que 75% des personnes interrogées jugent les MGF d’atteinte grave aux droits humains, alors que plus de 60 % continuent de les pratiquer.
Les contours de la nouvelle stratégie
C’est dans cette perspective que le MASEF et ses partenaires, notamment UNFPA et UNICEF, ont trouvé opportun d’élaborer une nouvelle stratégie d’accélération pour l’abandon des MGF.
Pendant deux jours, les 16 et 17 décembre 2021, le MASEF et ses partenaires techniques et financiers, en plus de représentants du Ministère de la Santé et du Ministère des Affaires Islamiques, ainsi que plusieurs organisations de la société actives dans la lutte contre les MGF, comme Medico Del Mundo, World Vision, et beaucoup d’autres venues des régions de l’intérieur du pays, se sont réunis à Nouakchott. Objectifs, écouter les diagnostics dressés par les consultants recrutés à cet effet, puis valider les orientations contenues dans la nouvelle stratégie nationale pour l’accélération de l’abandon des MGF.
En deux jours, les participants ont fait le tour des défis encore importants qui se dressent devant l’abandon des MGF, notamment les résistances d’ordre religieux, culturel et social, encore prégnantes dans toutes les communautés.
Si le rôle des Imams et des religieux a été mis en exergue, la formation du personnel administratif, judiciaire et celle des forces de sécurité (police, gendarmerie) sur les dangers liés aux MGF et l’existence de textes juridiques les réprimant sont jugés nécessaires.
Procédant à l’analyse causale des MGF, Pr. Sow Abdoulaye, professeur de sociologie à l’Université de Nouakchott et membre du pôle des consultants, a indiqué que « 75% des Mauritaniens interrogés trouvent que les MGF sont des violations des droits humains, mais 66,8% continuent de les pratiquer ». Selon lui, il faut dynamiter les résistances, introduire des modules d’enseignement sur le phénomène en milieu scolaire, susciter des débats publics sur la question, dénicher les poches de résistance et activer la pénalisation des MGF. Pour cela, trouve-t-il, « l’Etat doit affirmer sa volonté d’y mettre fin ».
Dr. Madani Saleck, l’autre consultant, a procédé pour sa part, à une analyse SWOT des MGF, en identifiant les forces et les faiblesses, les menaces et les opportunités pour mieux cerner ces pratiques et leur trouver des solutions.
Les acteurs de la société civile estiment qu’il faut impliquer d’autres départements clés dans la lutte contre les MGF, comme le ministère de la Santé, le Ministère de l’Education Nationale et le Ministère de la Justice.
Groupes de travail
Les participants se sont par la suite scindés en quatre groupe de travail. Après restitution des travaux de groupe, un débat ouvert a permis de revenir sur les nouveaux canaux de sensibilisation à explorer, mais aussi sur les contraintes liées aux survivantes que les parents hésitent à amener dans les structures de santé, en cas d’urgence, de peur des représailles judiciaires. Plusieurs fillettes meurent ainsi, selon quelques témoignages, suite à de fortes hémorragies dues aux conditions d’excision. D’où l’idée, selon certains intervenants, d’introduire une clause de clémence dans les textes réprimant les MGF, pour éviter les drames.
« Dans la 4ème phase du programme MGF qui se prépare, il est prévu la forte implication des jeunes » a souligné Mme Lô. Pour Hademine Ould Saleck, imam de la mosquée Ibn Abass, très actif au sein du réseau des religieux et imams engagés dans les questions de population, les MGF doivent être introduites dans les khotbas. Il a même émis une fatwa, condamnant à la peine de mort, toute personne ayant pris part à une excision suivie de décès, se référant à un précédent du même ordre du temps du khalife Oumar Ibn Khattab. « Le complice d’un meurtre est condamné à la même peine que l’exécutant » a-t-il justifié.
Créer des tribunaux spéciaux pour les MGF
D’autres participants proposent de multiplier les sketchs et pièces de théâtre dénonçant la pratique des MGF dans toutes les campagnes de sensibilisation, mais aussi susciter des débats intergénérationnels sur la question.
Enfin, mention a été faite sur l’existence de 6 centres de prise en charge des survivantes des VBG/MGF à Nouakchott et dans certaines régions, même s’il est constaté que les excisions de par leur caractère secrète et diffus dans les foyers sont rarement portées devant les structures de santé, sauf en de rares cas où la vie des victimes est menacée. D’où, selon plusieurs intervenants, l’idée de créer des tribunaux spéciaux pour les MGF, comme il en existe dans les cas de pratiques esclavagistes.
Un démenti formel a aussi été apporté aux rumeurs parlant de pratiques d’excision en milieu médical. Pour Aïchetou, sage-femme, « depuis 2007, les professionnels de santé ont émis une charte qui leur interdit toute pratique attentatoire aux droits humains, comme l’excision, dans les structures de santé ».
Quelques recommandations ont été émises à la fin des travaux. Il s’agit de renforcer l’engagement du gouvernement en impliquant les départements de la Santé, l’Education Nationale, la Justice, les Affaires Islamiques, le Commissariat aux Droits de l’Homme. Il s’agit également de renforcer la coordination entre le MASEF et les organisations de la société civile, impliquer plus spécifiquement le ministère de la Santé, et enfin, créer des tribunaux spéciaux pour les MGF.
Cheikh Aïdara