Le discours de Ouadane du président de la République, Mohamed Cheikh Ghazouani, est emblématique. Il interpellera encore pendant longtemps les consciences, tout en continuant à jeter dans le pavé de l’histoire les souillures du passé. Ce discours fait infléchir déjà la courbe des certitudes historiques, politiques et sociales du pays.
Il était temps en effet que les tenants du « Désordre social », ceux qui ont toujours fondé leur suprématie sociale sur des considérations injustes et injustifiées de classe, soient remis à leur place et que les vraies échelles des valeurs soient rétablies.
Le discours du Chef de l’Etat, Mohamed Cheikh Ghazouani le 10 décembre 2021, à l’ouverture de la 10ème édition du Festival des Cités du Patrimoine, ex-Festival des Villes Anciennes, est d’abord un discours qui en dit long sur la personnalité de l’auteur, finesse, modestie et condescendance. Il parle de maux à demi-mots, en effleurant une problématique sans la nommer. En fait, le sens du discours, les analystes qui ont eu à l’aborder sont allés le chercher au fil des allusions.
Le Président de la République aborde un sujet d’actualité amère, ce qui a permis de remuer le cocotier et d’ébranler bien de convictions ancrées depuis des millénaires dans l’inconscient collectif. Il s’agit de la stratification de classe qui accorde des préjugés indus à des individus prétendument bien nés et qui rabaisse au bas de l’échelle d’autres individus considérés comme des manants, personnes serviles de naissance, créés pour servir les maîtres.
« Au fil des époques successives… ». C’est comme cela que le président Ghazouani entame la narration de l’histoire de la cité de Ouadane, passerelle entre l’Afrique du Nord et l’Afrique Subsaharienne, cité savante, riche des « capacités créatives exceptionnelles de ses enfants qui s’appuient sur divers services issus de l’artisanat traditionnel et du développement animal ou agricole, constructions et autres ». Des groupes qui, selon le président Ghazouani, ont « pu vaincre les dures conditions naturelles », martelant que « sans leurs efforts légendaires, la ville n’aurait pas été formée en premier lieu, et elle n’aurait pas pu survivre et résister face aux temps, pour l’élever aujourd’hui comme un héritage précieux ».
Tout le monde a compris par là son allusion aux forgerons, objets ces derniers temps d’attaques méprisables de la part de certains individus qui se prévalent d’une classe sociale meilleure. C’est ce qu’il a exprimé, lorsqu’il soutient « ce qui m’attriste, c’est que ces groupes de notre société ont historiquement été victimes d’injustice et de vision négative ». Mais selon le président Ghazouani « ils devraient être au sommet de la hiérarchie sociale ».
Le moment est venu, selon lui, de « purifier notre patrimoine culturel des vestiges de cette injustice odieuse et de se débarrasser de ces préjugés et stéréotypes qui contredisent la vérité, heurtent les règles de la Charia, et de la loi, affaiblissent la cohésion sociale et l’unité nationale, entravent le développement de mentalités conformes aux concepts d’Etat de droit et de citoyenneté ».
L’appel lancé par le président Ghazouani, suite au discours de Ouadane, a été amplement répercuté ces deniers jours dans les mosquées qui ont unifié les Khoutba autour de cette thématique de classe. Le président a en effet demandé à tous les citoyens de transcender les vestiges de cette injustice dans notre patrimoine culturel, à purifier les discours et les comportements de ce genre de préjugés et de stéréotypes. Il a aussi demandé à chaque citoyen de se dresser face à l’émergence du soi tribal. Cela, devant l’ampleur de plus en plus grande du fait tribal qui est en train de dominer toutes les activités des plus officieuses aux plus officielles.
Le fait tribal contredit, selon le président Ghazouani, la logique de l’Etat moderne, menace l’unité nationale et les intérêts individuels. L’Etat doit rester d’après lui le protecteur de l’unité nationale, de la dignité, de la liberté et de l’égalité de tous les citoyens et qu’il n’établira pas un droit ou devoir en se fondant sur l’affiliation autre que l’affiliation nationale.
En s’attaquant à ces deux grandes citadelles du « Désordre social », le privilège de classe et le fait tribal, le président Mohamed Cheikh Ghazouani lance les jalons d’une République qui ne reconnait que des citoyens égaux en droits.
Abdallahi Sarr