La Mauritanie a été plébiscitée par les ONG fondatrices du Réseau G 5 Sahel contre l’esclavage, à l’entame du forum régional qui s’est ouvert au Palais des Congrès de Nouakchott, le mercredi 16 mars 2022. Hier épinglée comme le pays le plus esclavagiste en Afrique de l’Ouest, la Mauritanie devient un modèle de référence en matière de lutte contre l’esclavage. Un témoignage largement partagé par les abolitionnistes venus du Mali, du Niger, du Tchad, du Burkina Faso, de la Guinée Conakry, du Sénégal et du Ghana, mais aussi d’Europe et des Etats-Unis.
« Qui eut cru que la Mauritanie allait abriter un jour un forum régional sur l’esclavage ? » s’exclame non sans joie, M. Bakary Tandia, co-fondateur de « The Abolition Institute », ONG de défense des droits de l’homme basée aux Etats-Unis et qui fut directeur de campagne de Birame Dah Abeid, lors de la présidentielle de 2019.
« La Mauritanie qui avait fermé hier ses frontières aux défenseurs des droits de l’homme, leur ouvre aujourd’hui ses portes, inaugurant une nouvelle page de collaboration entre les autorités et la société civile active dans les droits humains » a souligné le président de l’Initiative de Résurgence du mouvement Abolitionniste (IRA), le député Birame Dah Abeid lors de son discours.
INSAV, le plan d’action pour éradiquer les injustices sociales
Il faut souligner que le colloque sous-régional de Nouakchott sur l’esclavage, placé sous le Haut patronage du Président de la République, SEM. Mohamed Cheikh Ghazouani, a été ouvert mercredi 16 mars 2022 par le Commissaire aux Droits de l’Homme, à l’Action Humanitaire et aux Relations avec la Société Civile, M. Cheikh Ahmedou Ould Ahmed Salem Ould Sidi, entouré du staff de son département.
« L’organisation de ce forum en Mauritanie constitue une preuve éclatante de la volonté politique sincère des hautes autorités du pays et leur détermination à privilégier la concertation, le dialogue et le refus de toute exclusion » a-t-il déclaré.
Selon lui, « la lutte contre l’esclavage et ses séquelles constitue une priorité constante et irréversible dans le programme du gouvernement, notamment celui du président de la République, SEM. Mohamed Cheikh Ghazouani qui l’a inscrit en tête de ses préoccupations, mettant en avant les valeurs de citoyenneté, de concertation et de l’attachement au vivre ensemble entre les diverses composantes nationales ».
Le Commissaire aux droits de l’homme a cité l’arsenal juridique et institutionnel mis en place par le pays depuis 2007 pour criminaliser les pratiques esclavagistes, renforcé en 2015 par une loi plus répressive contre l’esclavage et sa condamnation dans la Constitution en tant que crime contre l’Humanité, la création de cours spéciales chargées de juger des affaires d’esclavage, l’adoption en 2020 d’une loi contre la traite des personnes.
Le Commissaire aux droits de l’homme a rappelé que son département a mené 19 campagnes de sensibilisation sur ces différents textes de loi au profit des autorités administratives, judiciaires, sécuritaires et au niveau des ONG travaillant dans ces domaines. Selon lui, un plan d’action élaboré récemment permettra d’éliminer dans le plus bref délai, les séquelles de l’esclavage sous toutes ses formes, soulignant que ce plan, INSAV (Equité et cohésion sociale), traduit les orientations contenues dans le discours inédit et historique du Chef de l’Etat à Ouadane.
Des avancées certes, mais le chemin est encore long
Auparavant, Birame Dah Abeid avait rendu hommage aux martys du 16 mars 1981, parmi lesquels le père du Commissaire aux droits de l’homme, le défunt lieutenant-colonel Ahmed Salem Ould Sidi, à côté des défunts, le lieutenant-colonel Abdel Kader Ould Bah, les lieutenants Niang Moustapha et Doudou Seck. Il a aussi rendu un vibrant hommage aux membres du barreau mauritanien qui ont toujours, selon lui, soutenu les dirigeants et les militants de IRA en défendant solidement leurs causes devant les tribunaux, sans aucune contrepartie, parcourant parfois à leurs frais de longues distances. Il a surtout salué le courage, l’abnégation et l’endurance des militants d’IRA qui ont supporté plus d’une dizaine d’années de brimades, de privations, d’emprisonnements et de tortures.
Dans un long speech, Birame Dah Abeid a survolé l’histoire de l’esclavage en Afrique de l’Ouest, l’une des rares institutions médiévales qui selon lui était restée en marge de l’évolution et des révolutions d’obédience marxiste-léniniste ou maoîste portées par la nouvelle élite africaine qui avait accédé au pouvoir après les indépendances.
Il a survolé les exactions subies par les militants d’IRA sous la décennie passée, se félicitant des progrès significatifs enregistrés dans le domaine des droits de l’homme en Mauritanie depuis l’accession au pouvoir du président Mohamed Cheikh Ghazouani. Aujourd’hui, les interdits, les exactions et les emprisonnements qui frappaient les militants d’IRA sont désormais révolus, dira-t-il en substance. Il a toutefois déploré le retard de l’institution judiciaire par rapport à ces avancées, soulignant que tous les dossiers d’esclavage ont été sérieusement traités par les parquets, mais que les juges sont restés réfractaires au vent de changement dans le traitement convenable des cas d’esclavage. Il a aussi regretté le sort réservé à la loi contre les violences faites aux femmes et aux filles, trois fois proposée par le gouvernement et rejetée par les députés, aussi bien les députés du pouvoir que ceux de l’opposition.
Birame Dah Abeid a aussi appelé l’Etat mauritanien à trouver une solution définitive au passif humanitaire, en discutant directement avec les victimes, notamment les veuves et les orphelins, en écartant les politiques de la résolution de cet épineux problème, vieux de plus de 32 ans.
Visite imminente du Rapporteur des Nations Unies sur l’esclavage
Le Représentant du Bureau du Haut-commissariat des Nations Unies pour les droits de l’homme en Mauritanie, M. Laurent Meilan a félicité le gouvernement et IRA pour l’organisation du forum sur l’esclavage en Mauritanie, ce qui constitue selon lui un tournant inédit dans l’histoire des droits de l’homme en général et de la lutte contre l’esclavage en particulier.
« La plateforme régionale de lutte contre l’esclavage crééé par les ONG constitutives du Réseau du G5 Sahel favorise le partage d’expérience et elle est porteuse d’un réel progrès face aux défis qui se dressent devant la recherche de solution pour mettre un terme aux pratiques esclavagistes » a-t-il déclaré.
M. Laurent Meilan a mis en exergue le travail que son institution et le Bureau International du Travail (BIT) mènent depuis des années en Mauritanie pour accompagner les autorités, notamment la Commission nationale des droits de l’homme (CNDH), sur les questions des droits de l’homme.
Il a évoqué la publication imminente d’un rapport ficelé par son institution et le BIT sur la mise en œuvre de la loi 031-2015 criminalisant l’esclavage, progrès réalisés et défis, avec des recommandations à la clé. Il a annoncé l’arrivée prévue en mai 2022 du Rapporteur Spécial des Nations Unies sur les formes contemporaines de l’esclavage, sur invitation du gouvernement mauritanien.
Consolider le partenariat gouvernement-société civile
Le Secrétaire Exécutif du Réseau G5 Sahel de lutte contre l’esclavage, M. Ali Bouzou a de son côté salué l’engagement du gouvernement mauritanien dans la lutte contre l’esclavage, ce qui s’est traduit selon lui par l’onction donnée à l’organisation d’un forum sur l’esclavage, un sujet tabou il y a quelques années et qui plus est, avec une ONG qui était interdite et soumise à moult tracas.
« L’espace Sahel est devenu depuis plus d’une décennie le théâtre privilégié des terroristes, dont les causes ne sont pas dues seulement à la pauvreté, l’ignorance ou au banditisme, mais aussi aux inégalités sociales, dont celles relevant de l’esclavage » a-t-il averti.
Trois tables-rondes
La première journée du colloque sous-régional de Nouakchott sur l’esclavage a été marquée dans l’après-midi par trois panels qui ont porté sur l’expérience de la société civile dans la lutte contre l’esclavage, les aspects psychosociaux de l’esclavage et ses ramifications, et enfin, les causes et les conséquences de l’esclavage.
Demain, jeudi 17 mars 2022, dernière journée du colloque, les participants suvront le quatrième panel qui portera sur les défis et perspectives de la lutte contre l’esclavage au Sahel. Des travaux de groupe sont prévus en fin d’heure avec la validation attendue du Manuel de lutte contre l’esclavage au Sahel.
Deux interventions par visioconférence sont au programme. Une intervention du Fonds de contributions volontaires des Nations Unies pour la lutte contre les formes contemporaines d’esclavage, relevant du Haut-commissariat des Nations Unies pour les droits de l’homme, depuis Genève.
Une deuxième intervention depuis Genève également de Jean-Marie Kagabo du BIT, sur les principes et les droits fondamentaux du Travail.
Cheikh Aïdara