Installé dans un immeuble rénové à l’Ilot K, au cœur de Nouakchott, le nouveau siège d’IRA a été le théâtre d’une inauguration haut en couleur, samedi 9 avril 2022, en présence des cadres et militants du mouvement, sous la houlette de l’emblématique député et président Birame Dah Abeid. L’occasion d’un déballage sur plus de 13 années de combat contre l’esclavage et de lutte politique pour l’accession au pouvoir, avec un focus sur les dessous de l’apaisement actuel avec le pouvoir du président Ould Ghazouani.
« Contrairement aux ragots, notre deal avec le pouvoir du président Mohamed Cheikh Ghazouani ne repose sur rien d’autre que sur l’apaisement populaire que nous avons su imposer au soir de la proclamation des résultats contestés et contestables de la présidentielle de 2019, et en retour, la paix pour la Mauritanie et une reconnaissance de notre mouvement IRA et du parti RAG » a déclaré Birame Dah Abeid, président de l’Initiative de Résurgence du mouvement Abolitionniste (IRA) et député à l’Assemblée Nationale. C’était lors de l’inauguration, samedi 9 avril 2022, du nouveau siège de son mouvement, sis à l’Ilot K de Nouakchott.
Avec Ghazouani, un deal sur la stabilité sociale et la reconnaissance de IRA
« Ould Ghazouani ne nous a donné ni ministère, ni direction, ni banque, ni argent, ni ballot de tissus » a précisé Birame Dah Abeid, soulignant que la contrepartie exigée par son mouvement contre la déstabilisation planifiée aux lendemains de l’élection présidentielle d’août 2019 par le prédécesseur de Ould Ghazouani, ne s’est pas mesurée en monnaies sonnantes et trébuchantes, mais en reconnaissance méritée d’un combat populaire dont la légitimité se mesure à l’aune des voix qui l’ont porté dans l’antichambre de la Présidence de la République.
Auparavant, le leader abolitionniste avait passé en revue les durs sacrifices consentis par les militantes et les militants du mouvement IRA ainsi que ses dirigeants, matés à coups de répression policière, de tortures, de procès inique et d’emprisonnements, tout au long des treize années passées à se battre contre les injustices et les exactions sociales commises à l’encontre des populations faibles et déshéritées, dont l’écrasante majorité des Harratines et des Négro-mauritaniens.
Une classe de pseudo intellectuels à l’époque de Aziz
« La diabolisation dont nous fûmes l’objet, adossée sur un statut d’éternel non-reconnu sur la scène sociale et politique, me pousse à douter de l’existence d’une classe intellectuelle en Mauritanie durant cette période » a asséné Birame Dah Abeid parlant de la décennie passée, rappelant au passage que l’étiquette intellectuelle avait été collée en 1905 à un groupe d’écrivains, de juristes, de journalistes et de penseurs français qui avaient pris fait et cause pour Alfred Dreyfus contre l’opinion française. Leur seul souci était de défendre la vérité et les opprimés, le capitaine Dreyfus étant accusé de haute trahison à la place d’un haut gradé de bonne famille, parce que juif, dans une société française où les juifs jouissaient à l’époque du même statut que celui des Harratines en Mauritanie aujourd’hui, a expliqué Birame en substance. Crier avec les loups et aboyer avec les loubars, toujours du côté des supposés plus forts, n’est pas le fait des intellectuels, mais c’est celui des opportunistes et des manants, a-t-il détaillé en substance.
Une relation de paix et de respect avec l’actuel pouvoir
Sur ces relations avec le président Ghazouani, Birame est revenu sur les « qu’en dira-t-on » à propos de ceux qui lui reprochent cette accointance jugée de compromettante, estimant que seuls les mal intentionnés peuvent nourrir de tels ressentiments. Il trouve pour sa part que le jeu avec le pouvoir actuel est très clair et qu’il est bâti sur un respect réciproque basé sur l’apaisement voulu par le nouveau locataire de la présidence, trouvant toutefois ce rapprochement d’inachevé tant que le parti RAG ne sera pas reconnu.
IRA-Sawab, une école en science politique
Par la suite, Birame a rendu un vibrant hommage au parti Sawab et à sa jeunesse qui avaient su, selon lui, briser le mur de l’intolérance, en s’alliant à Birame dans une aventure électorale inédite, qui constitue aujourd’hui une école de référence en matière politique. Il a également salué ses militants, déclarant qu’ils ont été formés et dopés aux idéaux du mouvement, ce qui fait de chacun d’entre eux, un leader potentiel capable de prendre sa relève.
Les millions de Bouamatou et la guerre contre les religieux
Sur le ton de l’ironie, Birame est revenu sans le nommer sur l’homme d’affaires Bouamatou et les 250 millions d’ouguiyas qu’il lui avait donnés en guise d’appui à sa campagne pour la présidentielle de 2019. Il estime que ce montant est assez dérisoire par rapport aux milliards qu’il a distribué aux autres candidats de l’opposition pour qu’on en fasse le buzz lorsque la contrepartie en termes de soumission à ses desiderata fut par lui repoussée. Il a aussi rappelé la campagne insidieuse menée contre lui et contre IRA à la suite de l’autodafé des livres à Riadh en 2012, et à la cabale qui s’en suivit, mais aussi ses sempiternelles guéguerres avec le pouvoir de Ould Abdel Aziz, ses juges, ses procureurs, sa police et sa gendarmerie, fustigeant l’entourage de l’actuel Chef de l’Etat, dont certains issus de l’ancien système cherchent toujours selon lui, à briser l’entente explicite qui les lie aujourd’hui.
13 années de combat passées au crible
Auparavant, plusieurs leaders du mouvement IRA et du parti RAG ont pris la parole à l’occasion de l’inauguration du nouveau siège pour apporter des témoignages ou fournir d’amples explications sur les enjeux politiques actuels.
C’est le cas du président du parti RAG, l’ancien ministre Oumar Ould Yali qui est revenu sur les blocages qui freinent toujours la reconnaissance officielle de son parti dont les dossiers dorment depuis quelques années dans les tiroirs du Ministère de l’Intérieur. Selon lui, le parti RAG est déjà officiel aux termes des dispositions de la loi sur les partis politiques en Mauritanie qui disposent que si dans un délai de 6 mois après le dépôt de reconnaissance d’un parti, aucune réponse n’est donnée par l’administration, le parti peut entamer ses activités.
Ont également pris la parole dans les langues nationales (hassaniya, wolof, soninké, pulaar) la militante d’IRA Ghamou Mint Achour qui est revenue sur les luttes passées d’IRA, puis Yali Ndiaye, vice-président du parti RAG, Bakary Diarra et Youssou Camara, du mouvement IRA, ainsi que Zeynabou Wade coordinatrice du mouvement IRA.
Youssou Camara a fait l’économie du combat de IRA au cours de la décennie, passant en revue la situation de la gouvernance dans ses aspects liés au mauvais fonctionnement de l’administration et ses aspects socioéconomiques marqués par la hausse des prix, fustigeant au passage l’agence Taazour, le Commissariat à la sécurité alimentaire, estimant que ces deux institutions symbolisent la collision d’intérêts maffieux entre une administration corrompue et une classe d’homme d’affaires véreux. Il s’est également attaqué à la justice qui serait selon lui sous la botte des esclavagistes et des puissants. Il a survolé enfin une unité nationale sapée par les nominations corporatistes à relent tribalo-affairiste et les concours taillés sur mesure au profit d’une seule communauté.
Une campagne électoraliste avant la lettre pour 2024
En définitive, et pour bon nombre d’observateurs, Birame a emporté une bataille, la reconnaissance du mouvement IRA. Selon eux, lui reconnaître un parti politique, face à la force populaire qu’il draine, fait encore peur aux faucons du système. Les élections de 2024 qui pointent à l’horizon, s’annoncent déjà très rudes.
Si du côté du pouvoir, on se prépare déjà à ces échéances au regard du nouveau gouvernement qui vient d’être nommé et que beaucoup considèrent comme un gouvernement de campagne, Birame aussi semble avoir décidé d’ouvrir les hostilités, en entamant dès le 11 avril prochain une tournée qui va le mener dans plusieurs Wilayas, notamment à Sélibaby, Kaédi et Aleg.
Entre les speechs, des entractes jouissifs marqués par le tama des wolofs et le tbal maure, mais aussi des rythmes dédiés aux jeunes, entre les solos langoureux de Cheikh Guèye et la voix suave du jeune rappeur Kader NDB.
Cheikh Aîdara