Le député et président du mouvement IRA, Birame Dah Abeid, a animé lundi 9 mai 2022 à Nouakchott, une conférence de presse hautement politique, devant un parterre de journalistes et de partisans.
Il a fustigé un système politique qui, depuis 1978, s’est maintenu d’après lui, par des révolutions de palais qui perdurent depuis plus de quarante ans. Un système bâti, dira-t-il en substance, sur un mécanisme de dévolution du pouvoir basé sur une oligarchie militaire soutenue par une féodalité politico-administrative, et épaulée par une chefferie tribale et spirituelle.
Un cloisonnement pour empêcher l’alternance politique
Birame Dah Abeid a déclaré que le système en place est réfractaire à tout changement et se bat pour son maintien, se nourrissant des pouvoirs de l’Etat et de ses moyens, ainsi que de la puissance des forces traditionnelles. Un système nuisible à la pérennité des institutions publiques et contre lequel le premier président de la République, Feu Mokhtar Ould Daddah s’est battu selon lui, en menant une lutte sans merci contre l’emprise de ces groupes et contre cette citoyenneté à double vitesse qu’ils voulaient instaurer.
Ainsi, selon Birame, ces groupes véhiculent l’idée selon laquelle « nul ne peut se battre contre l’Etat » et que l’alternance politique et économique était ainsi verrouillée. C’est dans cet esprit grégaire, soutient-il en substance, que s’est greffée la démocratie mauritanienne, limitant l’exercice du pouvoir aux seuls militaires qui ont bâti leur pérennité aux affaires en faisant nourrir l’ogre du système inégalitaire et l’emprise d’une seule communauté sur toutes les commandes du pays, notamment l’exercice du pouvoir et la force du capital, avec des banques, des licences de pêche et d’exploitation minière, la création d’une oligarchie financière et d’hommes d’affaires issus de la même communauté.
Les autres classes marginalisées, telles que les harratines et les négro-mauritaniens non issus de la féodalité noire, n’ont pu accéder à la classe nobiliaire, selon Birame, qu’en jouant des rôles de lèche-bottes de la classe dominante pour espérer recueillir quelques nominations ou quelques autres petits privilèges, qui les font habiter « au-delà du carrefour Madrid », dans les zones huppées de Tevragh-Zeina, Ksar Nord ou Soukouk.
C’est pour empêcher toute alternance politique au pouvoir, dira Birame, que le parti Action pour le Changement (AC) de Messaoud Ould Boulkheir et de ses camarades, a été dissous en 2002, les obligeant à rechercher un parti-refuge comme l’APP et participer ainsi à la dislocation du groupe.
Pour Birame, l’entourage du président de la République doit être conscient de la nécessité d’une alternance pacifique au pouvoir, pour empêcher qu’il ne subisse le même sort que ses prédécesseurs, l’exil, l’emprisonnement ou la mort.
La particularité du parti RAG
La particularité du parti Radical pour une Alternance Globale (RAG), selon Birame, « c’est qu’il est constitué de gens rompus aux combats militants, des gens qui ont enduré la férocité des répressions, la rude épreuve des procès, des tortures et des emprisonnements ».
Aujourd’hui, dira-t-il en substance, ils nourrissent des ambitions politiques et prônent une alternance pacifique au pouvoir, par la légalité des urnes. C’est pour toutes ces raisons et d’autres, ajoute-t-il, que le parti RAG est encore maintenu dans les tiroirs de la non-reconnaissance à cause de sa force populaire et de la charge alternative qu’il porte. Et Birame d’ajouter que la Mauritanie n’a connu qu’une seule parenthèse d’alternance, entre 2006 et 2007, sous le regretté Sidi Cheikh Abdallahi. Toutes les autres alternances, selon lui, c’était des alternances tribales des uniformes, un président militaire en chassant un autre, en se maintenant sur le corps gangréné du système. Il en va de même pour Mohamed Cheikh Ghazouani dira-t-il, « arrivé au pouvoir sous une simple révolution de palais ».
Contrairement aux autres partis politiques, précise Birame, le parti RAG n’aspire pas à des prébendes politiques et ne poursuit pas des intérêts individuels ou collectifs, mais vise directement l’accès à la magistrature suprême. Ce qui en fait un sérieux concurrent aux yeux de la classe au pouvoir. C’est pourquoi, dira Birame Dah Abeid, « la Primature s’est fortement opposée à la résolution de certaines injustices dont j’étais porteur, certaines ont été réglées mais depuis lors, les autres ont été bloquées car cela me donnerait des avancées électives par rapport au président Ghazouani ». Et Birame de dire, « c’est cela qu’ils ont fait comprendre au président de la République ».
Sur ce fait, il a annoncé publiquement lors de la conférence de presse, qu’il n’était plus porteur des injustices que de nombreux citoyens de toutes les communautés lui soumettaient chaque jour. « Dorénavant, il faut vous adresser aux administrations concernées, occuper la rue, vous adresser à la justice ou tendre les mains vers Allah » a-t-il suggéré.
« Aidez-moi à accéder au pouvoir et toutes vos injustices seront réglées »
« Plutôt que de me considérer comme un simple intermédiaire entre vous et l’actuel président de la République pour régler vos problèmes, aidez-moi à accéder au pouvoir et toutes les injustices qui vous frappent seront réglées » a déclaré Birame Dah Abeid. Selon lui, le programme du parti RAG, qui compte envahir le Parlement et les conseils municipaux ainsi que les conseils régionaux lors des prochaines élections, est le seul capable d’assurer une réelle alternance politique en Mauritanie. Ce parti regroupe selon lui toutes les composantes du pays et il est porteur d’une vision nationale apte à impulser le développement économique et social auquel aspirent les Mauritaniens, toute communauté confondue.
Ce changement envisagé, d’après Birame, tous les Mauritaniens en rêvent, même les nantis et leurs familles, car ils perçoivent les dangers qui couvent sous ces avalanches d’injustices qui s’accumulent et qui peuvent exploser à tout moment. Or, l’idéal recherché par les populations mauritaniennes, est un pays stable, égalitaire, bâti sur la justice et le mérite, loin des privilèges de classe et de naissance, a-t-il fait comprendre.
Continuer à voir une hiérarchie administrative et militaire toute blanche et en bas, une classe servile toute noire, n’est pas un bon signe pour la stabilité d’un pays multiculturel comme la Mauritanie, a fait observer Birame Dah Abeid.
Par ailleurs, le président du mouvement IRA a déclaré vouloir briser un faux mythe qui soutient que « seuls l’administration, l’Etat et les forces traditionnelles peuvent faire gagner un président de la République ». Faux, a-t-il dit. Pour lui, des citoyens conscients et avertis peuvent faire basculer les élections en utilisant leur carte d’électeur et en veillant à la régularité des votes, soulignant que les caisses des chefs traditionnels et des chefs religieux sont soumises au bourrage, sans contrôle ni supervision. Pire, dira-t-il en substance, ce sont eux-mêmes qui choisissent les membres de la Commission nationale électorale indépendante (CENI) de leur choix et qui empêchent les représentants des partis de l’opposition d’accéder à leurs bureaux de vote.
Ce qu’il est attendu du dialogue politique en cours
Pour Birame Dah Abeid, le dialogue politique en cours entre les différents acteurs, majorité, opposition et personnalités indépendantes, doit régler en priorité le problème des libertés publiques, (liberté d’expression, liberté de pensée et surtout, liberté d’association).
Selon lui, le processus électoral doit être revu et toiletté, notamment la refonte de la CENI, la mise à jour du fichier électoral, le fonctionnement normal de la Cour Constitutionnelle, le problème de l’état-civil qui empêche des milliers de mauritaniens, notamment les harratines et les négro-mauritaniens, de se faire enrôler. Il faudrait aussi revoir, selon lui, les bureaux de vote dans les localités contrôlées par les chefferies traditionnelles qui, l’espace d’un vote, se transforment en lieux de non droits.
Birame est revenu sur la visite en cours du Rapporteur Spécial des Nations Unies sur les formes contemporaines de l’esclavage. Il trouve bizarre que les autorités mauritaniennes puissent accueillir une telle personnalité en étalant au grand jour une affaire d’esclavage aussi emblématique que celle de la citoyenne malienne Maïmouna Cissoko, menacée d’expulsion du village de Diaguily pour avoir dénoncé l’esclavage dans son pays d’origine. Sa maison a été incendiée et les autorités l’ont arrêtée pendant plus d’un mois à Sélibaby tout en laissant tranquille ses agresseurs, raconte Birame.
« Par cet acte, dira Birame, la féodalité soninké au Guidimagha (Diaguily, Dafor, Coumba Ndao, etc.) montre qu’elle est attachée aux pires formes d’esclavage par ascendance, que l’Etat la protège et qu’elle jouit d’une totale impunité, au nez et à la barbe du Rapporteur des Nations Unies ».
Enfin Birame a exhorté les participants au dialogue politique à boucler le dossier du passif humanitaire par un dialogue direct entre les victimes et l’Etat, à insister sur l’application des lois réprimant la corruption au sein de l’administration ainsi que les détournements de fonds publics, et cesser de tenir un double langage sur les rapports entre l’administration et les citoyens. Selon Birame, le discours de Ouadane sur la cohésion sociale et la lutte contre les privilèges de classe, le dernier discours sur le rapprochement de l’administration des citoyens, sont restés des discours creux.
Birame raconte enfin avoir soumis dans ses discussions avec le Rapporteur, 38 cas d’esclavage avérés reconnus par les tribunaux et dont les auteurs sont restés jusque-là impunis.
Cheikh Aïdara