En marge du Colloque international « Afrique-Europe Spécial Sahel » organisé à Nouakchott du 27 au 28 juin 2022 autour des thèmes relatifs au développement, à la gouvernance et aux droits humains pour la sécurité des populations, Mme Emmanuela Del Re, Représentante Spéciale de l’Union Européenne pour le Sahel nous a accordé l’entretien qui suit avec d’autres confrères.
Question : sur la crise alimentaire mondiale et celle de l’énergie, qui touchent toutes les des deux profondément le Sahel, que peut faire l’Union européenne pour atténuer leurs impacts sur les populations ?
Réponse : La crise alimentaire va avoir un impact énorme sur la population en général et l’Union européenne en est consciente, mais nous avons tout fait pour atténuer ses effets dus à la guerre et au blocage des ports ukrainiens par la Russie
Sur la question énergétique, nous avons toujours pensé que le monde pourrait être stable et que rien n’allait changer, notamment en Europe où on pensait que les ressources énergétiques de la Russie étaient disponibles pour l’ensemble des pays de l’union. Maintenant, nous devons trouver des alternatives et au Sahel il y a déjà de grands problèmes énergétiques. Ce que l’on doit faire c’est de trouver des solutions immédiates et être conscient que l’on fait face à la crise née de la guerre. Mais nous allons continuer à investir dans l’énergie vert et les énergies renouvelables tout en continuant à voir si au Sahel il est possible d’apporter des solutions créatives, par exemple toutes ces questions liées à l’énergie solaire et éolienne parce qu’on doit trouver des solutions durables pour faire face à la crise. J’ai parlé hier avec le Ministre mauritanien de l’économie pour voir dans quelle mesure on peut impliquer le secteur privé, parallèlement à notre investissement. C’est une question sur laquelle le gouvernement mauritanien se penche beaucoup. Je pense que dans ce sens, la Mauritanie comme le reste de la région avait développé des stratégies dans le domaine de l’énergie. C’est le moment d’approfondir cette approche, ce qui devra définir notre futur.
La Mauritanie est un pays solide et un partenaire très important pour l’Union européenne, un partenaire que nous considérons comme un point de référence pour toute la région, surtout dans cette dynamique que l’on connait, notamment dans le domaine de la sécurité, de l’économie, du développement et de l’aide humanitaire. Toutes ces questions font partie de la stratégie intégrée de l’Union européenne au Sahel. Pour nous, c’est fondamental pour développer aussi notre partenariat en général et avec la région du Sahel en particulier.
La raison pour laquelle j’ai décidé d’organiser cette rencontre à Nouakchott, c’est parce que la Mauritanie peut jouer un rôle encore plus important dans les thèmes que nous allons aborder au cours de cette conférence, la gouvernance, la sécurité si nous savons que la Mauritanie a développé un modèle de sécurité très intéressant et très efficace, le développement en général, les droits humains. Je dois dire sur ce point, que l’audience avec le président Ghazouani m’a permis de constater que c’est un facteur qu’il considère comme essentiel dans les questions de développement.
Quand la député du Parlement européen Maria Arena, présidente de la Commission des droits de l’Homme de l’Union européenne m’a demandé qu’est-ce qu’on peut faire ensemble en Afrique, je lui ai répondu qu’on peut organiser une conférence et quand elle m’a demandé où, j’ai répondu à Nouakchott.
Question : dix ans d’aide intensive pour le Sahel, près d’1 milliard d’euros dépensés au Sahel et la situation n’a pas beaucoup changé, est-ce à dire que l’Europe n’a pas fait ce qu’il fallait ?
Réponse : 1 milliard ? C’est beaucoup plus. Le volume de notre intervention s’explique par le fait que nous avons une vision intégrée de la situation au Sahel. C’est pourquoi nous intervenons sur le plan humanitaire mais aussi dans le développement et la sécurité. Nous sommes partout pour répondre à toutes les nécessités de la région. Nous sommes un partenaire solide et très fiable. Souvent je dis à mes amis du Sahel, nous sommes le partenaire naturel de la région et nous sommes conscients que l’importance du Sahel va s’agrandir à l’avenir parce que nous sommes conscients, comme je le dis toujours, que le Sahel est cette grande frontière méridionale de l’Union européenne. Il n’y a jamais eu une attention si profonde que celle qu’accorde aujourd’hui l’Union européenne au Sahel. Nous sommes concentrés sur le Sahel et c’est un signe important parce qu’on est conscient que toutes les dynamiques qui se jouent dans cette région, politique, sécuritaire, social et économique, sont de notre intérêt aussi. Nous sommes interconnectés et interdépendants.
Question : vous estimez que cela a fonctionné ?
Réponse : je pense qu’il y a des problèmes et des changements très forts, des coups d’état et autres choses, mais je dois dire que ça marche. Comme vous le voyez ici en Mauritanie, notre partenariat est vraiment productif parce que nous avons obtenu la possibilité d’investir dans tous les domaines, mais d’avoir surtout une interlocution très positive sur le plan politique, les échanges et les concertations, une vision commune avec les autorités. Certainement, ce n’est pas suffisant, et nous devons faire encore plus, nous engager davantage surtout comme je dis toujours, impliquer encore plus les pays africains, surtout ceux du Sahel dans nos processus décisionnels. Nous devons nous asseoir ensemble et prendre des décisions communes.
Question : lorsque vous prenez la décision d’organiser un tel colloque en Afrique, ici à Nouakchott, est-ce que vous ne pointez pas d’une manière implicite la faiblesse des gouvernements africains à prendre les choses en main dans la crise actuelle ?
Réponse : il y a des faiblesses mais je dois dire qu’on doit aussi être réaliste. Il y a la volonté de changement, c’est pourquoi moi en tant que représentante spéciale pour le Sahel, nous avons la volonté d’avoir un dialogue étroit, discuter tous les détails, trouver des solutions efficaces. Il y a eu deux coups d’Etat dans la région, ce qui veut dire que le système n’est pas parfait justement, qu’il y a des faiblesses très évidentes. Mais nous travaillons chaque jour pour trouver des solutions durables et qui sont susceptibles de répondre à notre demande aussi parce que nous avons besoin d’avoir des interlocuteurs qui respectent leur ordre constitutionnel et qui disposent d’un système démocratique qui marche. Ce sont des choses très lourds mais vous pouvez être sûrs que nous travaillons chaque jour sur ça.
Question : qu’est-ce qu’on peut attendre concrètement de ce colloque ?
Réponse : la chose que je voulais souligner c’est que ce n’est pas seulement la représentante spéciale de l’Union européenne pour le Sahel qui est ici et son équipe, mais c’est aussi le Parlement européen et la diplomatie parlementaire. C’est quelque chose de vraiment important. J’ai réalisé par exemple qu’il y a 120 femmes parlementaires au Sahel. C’est une source énorme et nous devons travailler sur ça. C’est la vraie racine pour le futur et qui va renforcer encore davantage le partenariat. C’est pourquoi j’attends de ce colloque que l’on va continuer sur cette voie, parce qu’il n’y a pas beaucoup de solutions et nous en avons davantage besoin. Nous devons par exemple impliquer le parlement de chaque Etat de l’Union européenne mais aussi du parlement européen. Pour moi c’est la clé pour entrer dans une dynamique originale.
Question : la stratégie de financement de l’UE et ses mécanismes, comme l’aide au développement reviennent très souvent dans les débats car beaucoup d’observateurs les remettent en question car au finish il n’y a pas d’impact sur les populations, envisagez-vous sérieusement de revoir tout ce processus ?
Réponse : je suis optimiste par nature. Je dois dire que nous avons les instruments et beaucoup d’argent pour le développement du Sahel. Nous avons aussi les ressources humaines parce qu’il y a des milliers de personnes qui travaillent dans le domaine du développement. Ce qui manque à mon avis, c’est surtout la coordination, la possibilité de nous réunir et de tisser ensemble toutes ces choses. Je dois dire que si les institutions au niveau de l’Union européenne qui sont disposés pour financer les projets se déclarent capables, alors nous devons insister encore plus, certainement les questions de sécurité sont énormes et c’est le défi réel que nous devons prendre en considération, mais je pense que nous continuons vraiment à avancer. Il y a des signes positifs certainement, et peut-être ça ne suffit pas, tout n’est pas parfait, mais nous devons être honnêtes ; la situation est certainement grave dans toutes les régions, mais ensemble nous pouvons faire beaucoup de choses.
Propos recueillis par
Cheikh Aïdara et confrères