Malgré les efforts déployés ces dernières années pour améliorer son système de santé, la Mauritanie affiche l’un des taux de mortalité maternelle et infantile les plus élevés en Afrique de l’Ouest et du Centre. C’est ce que les chiffres avancés par deux experts nationaux ont révélé au cours du webinaire sous-régional organisé le 2 août 2022 par la section mauritanienne du Réseau des Médias Africains pour la Promotion de la Santé et de l’Environnement (REMAPSEN).
Plusieurs questions lancinantes ont préoccupé les journalistes membres du REMAPSEN après avoir écouté deux experts nationaux, Dr. Mohamed Mahmoud Ely Mahmoud, Directeur Générale de la Santé Publique en Mauritanie et Dr. Boutou El Kory, Chargé de Programme Santé de la Reproduction au bureau Mauritanie du Fonds des Nations Unies pour la Population (UNFPA). C’était au cours d’un webinaire sous-régional qui a réuni le 2 août 2022 des journalistes d’Afrique de l’Ouest et du Centre.
Ces questions sont : pourquoi ces taux encore si élevés de mortalité maternelle et infantile, respectivement 424 pour 100 mille naissances vivantes (MNV) et 22 pour mille ? Et pourquoi le recul de certains indicateurs de santé, comme la prévalence contraceptive, la stagnation d’autres, comme les besoins en Soins obstétricaux néonataux d’urgence (SONU B), l’augmentation d’indicateurs, comme les besoins non satisfaits en produits contraceptifs, et pourquoi un si faible budget alloué à la santé, 7%, sur le total du budget de l’Etat ?
Les chiffres alarmants de la santé reproductive
Dans leur exposé, le Directeur de la Santé Publique et le Chargé SR de l’UNFPA ont aligné les chiffres suivants, avec comme source, l’EDS 2019-2020.
- Taux de mortalité maternelle : 424 pour 100 MNV
- Mortalité néonatale et infantile : 22 pour 1000
- Taux d’accouchement assisté par un personnel médical : 65%
- Césarienne : 5,4%
- Consultation Prénatale : 85%
- 4ème consultations (les femmes qui ont passé leurs quatre visites) : 39%
- Consultations Postnatales : 43%
La plus grande surprise révélée par l’EDS 2019-2020 et qui continue de susciter les débats au niveau des experts, c’est le recul de la prévalence contraceptive moderne qui est passée de 17% (Enquête Mics 2015) à 14%. Des efforts sont nécessaires pour arriver à l’ODD fixé en 2030 à 25%. Le Burkina Faso, avec une prévalence de 32% a déjà dépassé l’objectif mondial et le Sénégal avec 25% a atteint l’objectif avant terme.
Autre contreperformance, l’augmentation du taux des besoins non satisfaits en planification familiale qui est passée de 32% (Mics 2015) à 33% (EDS 2019-2020), tout comme l’indice de fécondité qui n’a pas beaucoup évolué, passant de 5,3 enfants en 2015 par femme contre 5,2 (actuel).
Au niveau des besoins en SONU B, la Mauritanie n’en compte que 3 pour un objectif de 25 SONU B à l’horizon 2030, avec une répartition du corps soignant (infirmier et sage-femme) des plus inégalitaires, avec 0,92 agents de santé pour 1000 habitants pour un objectif à l’horizon 2030 de 2,3 pour 1.000 habitants.
Quelles solutions pour quelles priorités
Le Directeur de la Santé Publique, Ould Ely Mahmoud, a avancé l’exception mauritanienne qui explique les difficultés rencontrées par le système sanitaire, dont la principale, est la faible densité de la population, environ 1 habitant au kilomètre carré pour 9.000 localités, la majorité comptant moins de 100 habitants. Il a aussi avancé la mauvaise gestion des ressources humaines, avec la quasi majorité des sages-femmes concentrées dans les grandes villes, dont Nouakchott, au détriment de l’arrière-pays. S’ajoutent à cela, des mentalités culturelles qui font que la plupart des femmes, notamment en milieu rural, accouchent à domicile, entre les mains de matrones non formées en général.
Il parlera ainsi des trois retards fatidiques, retard dans la décision de se rendre à une structure de santé, puis deuxième retard, le retard dans le référencement, entre la structure de santé et une structure supérieure (poste de santé vers centre de santé, ou centre de santé vers un hôpital), et enfin, de l’hôpital régional vers un centre spécialisé à Nouakchott.
Il y a enfin parfois, la non disponibilité d’un des médicaments qui sauvent les femmes, souvent victimes d’hémorragie et d’éclampsie, les deux principales causes de la mortalité maternelle en Mauritanie.
Parmi les recommandations avancées par les experts, le relèvement du budget alloué à la santé jugée faible (7%), loin des objectifs internationaux fixés à 15%, la réduction des besoins non satisfaits, une meilleure répartition de la ressource humaine, l’augmentation des SONU B, l’implication des populations dans les politiques de santé, l’autonomisation du pays en matière d’achat de produits contraceptifs et la lutte contre les violences basées sur le genre.
Il faut rappeler que le webinaire a eu lieu dans les locaux de la Haute Autorité de la Presse et de l’Audiovisuelle (HAPA). L’ouverture de la rencontre officielle a été ainsi marquée par le mot prononcé à l’occasion par son président, Houcein Ould Meddou, entouré de ses collaborateurs. Il a mis en exergue le rôle central des médias et des journalistes dans la sensibilisation et l’information des populations, notamment des femmes, par rapport à l’impérieuse nécessité d’accoucher dans une structure de santé et l’importances des quatre visites médicales pour le suivi de la grossesse, ainsi que celle de la contraception post-partum.
Il faut également souligner que le webinaire a été suivi par des journalistes issus de quinze pays d’Afrique de l’Ouest et du Centre, plus Madagascar, sous la modération du président du REMAPSEN, Bamba Youssouf.
Cheikh Aïdara