Plus d’une centaine de jeunes, dont des filles, âgés entre 13 et 18 ans, incarcérés pour diverses infractions dans les « CARSEC » de Nouakchott et de Nouadhibou, probablement bientôt à Kiffa, sont minutieusement encadrés pour suivre une formation professionnelle qui les maintiendra hors du cercle vicieux de la récidive. Le Bureau Internationale du Travail (BIT) les accompagne pour se former et s’insérer dans la vie professionnelle via des entreprises prêtes à les accueillir.
Le 17 octobre 2022, les enfants détenus au CARSEC de Nouakchott avaient rendez-vous avec les divers métiers de la pêche. En août et septembre 2022, ils avaient déjà vécu des journées de découvertes où leur ont été présentées les opportunités dans les métiers de la menuiserie et du bâtiment. Deux autres journées seront consacrées à la mécanique et à la restauration.
La bâtisse est énorme. Couleur ocre, grand portail en fer gardé par de vieux agents de sécurité. Le Mot CARSEC inscrit en grosses lettres, face à une triste ruelle dans le quartier Netteg à Basra, quartier populeux et excentrique de Nouakchott.
Une vaste cour d’intérieur, des blocs de pavillons à l’architecture ronde. La même couleur ocre, rendue moins triste par des coupoles peintes en blanc. Une infirmerie, des bureaux administratifs, des salles de réunion, d’autres pavillons lointains. Sur place, un formateur de l’Ecole Navale Centre de Qualification et de Formation aux Métiers de la Pêche (CQFMP), Zeidane Ould El Arby et deux jeunes, Ramdhane Abdel Kader et Mohamed Maouloud. Ces derniers ont suivi une formation à l’Ecole Navale, promotion 2015. Si Ramdhane est aujourd’hui patron de pêche, capitaine de sa propre pirogue, faisant travailler 3 marins, Mohamed Maouloud travaille quant à lui depuis deux ans dans un bateau turc, avec une bonne situation. « Je subviens à mes besoins et ceux de mes parents » témoigne-t-il devant des gosses émerveillés.
Auparavant, Zeidane Ould El Arby a pris le temps d’exposer aux groupes successifs de jeunes les divers métiers de pêche qui les attendent, s’ils le souhaitent, à leur sortie du centre. Marin pêcheur, mécanicien hors-bord, charpentier, classificateur, transformateur…Ils n’ont que l’embarras du choix. Une formation théorique d’un mois et deux mois de pratique, après une formation militaire de base d’un mois. A la clé, un certificat qui pourra aboutir à un livret maritime. Un avenir assuré et de l’argent honnête à engranger. L’avis est de Ramdhane et de Mohamed Maouloud.
Seulement, l’âge minimum pour intégrer l’académie navale est de 17 ans. Beaucoup de jeunes ont exprimé leur enthousiasme de suivre la formation, après leur peine. Les filles se sont surtout senties attirées par la classification et la transformation.
CARSEC, c’est quoi ?
Selon Sidi Mohamed Beïdi, Directeur du CARSEC, « le centre reçoit les enfants de 13 à 18 ans ; il se charge de les accueillir, de les orienter, de les former et de faire tout pour assurer leur réinsertion professionnelle à leur sortie ». Le centre a été créé, dira-t-il, suite à une expérience menée par « Terre des Hommes » au Burkina Faso et qui a été dupliquée ici.
« Le centre a été créé en 2009 et « Terre des Hommes » a continué à le soutenir jusqu’en 2012, date de création du CARSEC. Il s’agit d’un établissement public à caractère administratif, une structure décentralisée de l’Etat qui est appelée à recevoir et à gérer tous les enfants en conflit avec la loi. »
Ces enfants sont orientés, selon lui, par le Procureur compétent. Il existe 3 CARSEC au niveau du pays, deux à Nouakchott, l’un fermé et l’autre semi-ouvert, plus le centre semi-ouvert de Nouadhibou.
« Au niveau du centre semi-ouvert de Nouakchott, nous disposons de trois pavillons, deux pour les garçons et un pour les filles. Ces enfants sont formés dans divers métiers disponibles au niveau du centre, la menuiserie bois, aluminium et métallique, la mécanique, la broderie et la couture, l’informatique, avec des ateliers équipés des matériels nécessaires pour chaque métier et des formateurs » a-t-il précisé
Au niveau du centre fermé géré par le CARSEC, la sécurité est assurée par la Garde Nationale. « Les enfants qui s’y trouvent disposent d’un seul atelier de formation professionnelle, la menuiserie métallique, aluminium et bois. Mais tous les enfants reçoivent une éducation en instructions morales et religieuses, l’apprentissage du Coran, l’Arabe et le Français, etc. » a-t-il ajouté
Le projet mené par le BIT au CARSEC, est un projet conjoint avec l’Office des Nations Unies contre la Drogue et le Crime (ONUDC) axé en grande partie sur la formation professionnelle, a précisé le Directeur. Selon lui, une étude très avancée est en cours. Elle a été commanditée auprès de l’Institut National de Promotion de la Formation Technique et Professionnelle (INAP-FTP) et permettra de déterminer les besoins du CARSEC en matière de formation professionnelle, que cela soit au niveau des programmes, des formateurs, de la certification, entre autres. Les premières conclusions de cette étude ont été présentées selon lui, la semaine passée.
« Il est envisagé le recrutement de deux conseillers à la réinsertion professionnelle à Nouakchott et à Nouadhibou qui seront chargés de prendre contact avec les enfants pour recueillir leurs besoins en matière de formation professionnelle et leurs attentes » a-t-il souligné.
Toujours selon ses dires, le BIT et l’ONUDC ont également identifié un réseau d’entreprises qui seraient prêtes à accueillir des enfants issus des centres. Ils ont aussi lancé auprès des enfants des journées de présentation de divers métiers en amenant des formateurs, mais aussi d’anciens enfants qui ont séjourné au CARSEC et qui ont réussi dans leur vie professionnelle. Une mission s’est rendue aussi à Kiffa pour voir comment ouvrir un CARSEC au niveau de cette région.
A ce jour, selon Sidi Mohamed Beïdi, le centre fermé de Nouakchott compte 105 enfants et le centre semi-ouvert 48 enfant, dont 8 filles, sans compter les 18 enfants de Nouadhibou.
« Le centre fermé de Nouakchott, sous la surveillance de la Garde Nationale, reçoit des enfants qui ont commis de graves infractions, âgés entre 16 et 18 ans. Pour les infractions moins graves et les moins de 16 ans, ils sont envoyés dans les centres semi-ouverts » a expliqué le directeur.
La journée dans les centres semi-ouverts se déroulent entre ateliers, cours pédagogiques et sport. Au niveau du centre fermé, l’aspect sécurité et les effectifs limités de la Garde Nationale, obligent les enfants à suivre des cours par groupe restreint. Enfin, au niveau des centres semi-ouverts, les enfants en fonction de leurs comportements, peuvent bénéficier d’un week-end auprès de leurs parents.
Pourquoi des journées ouvertes de promotion des métiers
Les journées de promotion des métiers sont organisées à l’intention des enfants en conflit avec la loi pour leur donner des informations sur les formations disponibles et les aider à comprendre les opportunités qui s’offrent à eux pour faciliter leur intégration dans la vie active. Au total, 20 journées sont prévues durant la vie du projet qui prend fin en avril 2023. Il s’agit du projet « Prévention de l’extrémisme violent à travers l’autonomisation des jeunes en conflit avec la loi et le renforcement de l’accès aux droits et à la justice » financé par le Fonds des Nations Unies pour la Consolidation de la Paix (PBF).
Le responsable de projet du BIT, Henri Ebelin, souligne que ces activités sont organisées par le BIT en collaboration avec la Fondation Noura chaque mois depuis août 2022.
« Nous invitons à ces occasions des professionnels, des formateurs et des anciens apprentis dans des secteurs porteurs d’emploi à venir partager leur parcours de vie, discuter de leur profession avec les jeunes, ainsi que les initier à certains outils et procédés utilisés dans leur quotidien via des exercices pratiques » a-t-il précisé. Ces rencontres, selon lui, vont permettre aux enfants de rencontrer des professionnels des métiers et de mieux appréhender la culture de travail et sa fonction d’insertion sociale
La réinsertion en entreprise
Selon Henri Ebelin, le Patronat mauritanien a été impliqué dans le processus de formulation du projet et il a recommandé au BIT de démarcher les organisations socioprofessionnelles du secteur informel pour identifier des opportunités d’apprentissage au profit des jeunes.
« À travers le recrutement de conseillers en insertion au CARSEC qui animent le volet « information – orientation – suivi » du projet et la mise en place de partenariats dynamiques avec plusieurs associations de la société civile, un réseau d’entreprises d’accueil pour les jeunes en voie de réinsertion a été constitué à Nouakchott, Nouadhibou et Kiffa et continue de se développer » a-t-il précisé.
Dans le cadre du placement d’un jeune, explique-t-il, des objectifs de formation sont fixés pour une période de 6 à 9 mois entre l’entreprise, l’apprenti et son conseiller, qui se charge du suivi de l’apprentissage avec le tuteur.
Selon Henri Ebelin, les entreprises informelles adhèrent à ce processus car elles ont l’expérience de former des jeunes dans le cadre de l’apprentissage traditionnel et elles comprennent naturellement l’enjeu social de donner sa chance à la jeunesse. En témoigne la participation active des professionnels aux journées thématiques organisées au CARSEC.
L’apport du Ministère de l’Emploi
Membre du Comité de pilotage du projet, le Ministère de l’Emploi, à travers le Guichet TECHGHIL et ses conseillers emploi, qui sont en binôme avec les conseillers réinsertion du BIT, intervient dans le coaching, le développement personnel et l’orientation des jeunes en conflit avec la loi afin de faciliter le suivi de leur dossier et les aider à s’inscrire sur la plateforme DELLIL. A 18 ans, cela leur permettra de bénéficier des services publics de l’emploi.
Ainsi, selon Henri Ebellin, « des conventions sont en train d’être mises en place entre les Écoles d’Enseignement Technique et de Formation Professionnelle (EETFP) sous tutelle du ministère et les centres du CARSEC. Entre autres, ces conventions pourraient permettre d’assurer la continuité des journées de promotion des métiers et des opportunités d’emploi au-delà du projet ».
L’avis d’une conseillère à la réinsertion
Oumy Watt est une jeune conseillère à la réinsertion recrutée par le BIT dans le cadre du projet destiné aux jeunes en conflit avec la loi. Géographe de formation et titulaire d’un Master en Migration et Territoire, son travail consiste à faire des diagnostics socioprofessionnels auprès des jeunes du CARSEC, au niveau du centre fermé et du centre semi-ouvert. Elle prend les informations complètes de chaque enfant, noms prénoms, lieux de résidence, nombre des membres de la famille, motif d’incarcération, s’il est condamné ou en préventive, s’il dispose d’un avocat ou non, s’il fait l’objet d’un suivi médical ou non, niveau d’études, s’il a déjà travaillé, si oui dans quel domaine, combien il gagnait, s’il a des projets en cours ou des idées de projet, qu’est-ce qu’il envisage de faire à sa sortie du centre comme formation, est-ce qu’il veut être salarié ou indépendant, etc.
Ensuite, elle accompagne les enfants en coaching et leur accorde des séances de formation en estime et confiance en soi, de développement personnel. A leur libération, elle part à la rencontre de leur famille pour leur expliquer le programme qui est mis en place pour leur réinsertion. La conseillère les aide aussi dans la recherche d’apprentissage auprès des entreprises, et si les enfants commencent à travailler, elle les suit, sur leur lieu d’apprentissage une fois par semaine. Elle dresse des fiches professionnelles.
« Certains jeunes sont très réceptifs, avec le suivi, ils pourront s’en sortir et il y a d’autres qui ne savent pas encore réellement ce qu’ils veulent faire » témoigne Oumy. Elle ajoute que « la plupart des enfants sont prêts à apprendre un métier, d’autres sont plus pressés et veulent gagner de l’argent rapidement, eu égard à leur extrême vulnérabilité ».
Fondation Noura, une habituée du milieu carcéral
Implantée en Mauritanie depuis 1997, la Fondation Noura est une ONG dont la mission est de valoriser les personnes défavorisées, notamment en milieu carcéral, et de contribuer à leur épanouissement.
Willy Edimo, Chargé du suivi et de la réinsertion sociale au sein de la fondation, vient en appui au BIT dans le cadre du projet CARSEC. Il intervient en matière d’identification, orientation et placement dans les ateliers professionnels. Selon lui, la Fondation Noura estime que « ces personnes défavorisées possèdent des compétences et des capacités qui doivent être encouragées et développées ». L’objectif selon lui, est d’œuvrer à la rupture des cycles de rechute en faisant de la période d’incarcération, un temps de réhabilitation et de préparation de réinsertion dans la société.
Willy précise que « le temps d’incarcération devient un temps d’apprentissage profitable. Le but de ses projets est de se concentrer sur les domaines de la formation et de la réhabilitation sociale et économique. »
Cheikh Aidara