Beaucoup voulaient voir Ousmane Sonko accéder à la présidence au Sénégal. C’est finalement Bassirou Diomaye Faye « le remplaçant » de dernière minute qui sera plébiscité, le 24 mars 2024, par des électeurs sénégalais qui avaient opté pour le changement.
Ce scénario auquel personne n’avait pensé, avant l’accélération des évènements au Sénégal avec, comme point d’orgue, l’amnistie présidentielle qui a permis aux deux leaders du Pastef de sortir de prison et d’envisager la présidentielle avec des fortunes diverses. Sonko, disqualifié par le conseil constitutionnel, s’est rangé derrière son champion, Diomaye Faye, qui, avant l’accomplissement de son destin présidentiel, avait tous les attributs de l’antihéros.
Un personnage certes au centre d’une action antisystémique enclenchée depuis 2008 mais qui ne présente pas certaines des caractéristiques du héros conventionnel, voire dans certains cas aucune. Secrétaire général du Pastef au moment où le président de ce parti antisystème avait décidé de faire de lui un remplaçant de luxe dans une compétition présidentielle jugée très ouverte par les observateurs politiques, Diomaye Faye suscitait certes une sympathie et/ou une admiration non négligeable mais il n’avait pas le feeling et l’aura populaire de son mentor.
Pourtant, le slogan de campagne « Diomaye mooy Sonko » niait tout antagoniste entre deux hommes qui voulaient, contrairement au méchant discours de leurs adversaires politiques, gagner ou échouer ensemble. Si, le plus souvent, le personnage principal d’une histoire est un héros se prévalant de bonnes qualités, comme la poursuite d’un but noble, le combat contre le mal, la générosité dans l’engagement, l’idéalisme, le courage, l’attirance et intelligence, un antihéros peut être plus réaliste qu’un héros parce qu’il résonne avec ses défauts humains !
L’investiture puis l’adresse à la Nation en moins de vingt-quatre heures ont sans doute fini par camper la personnalité du jeune président de 44 ans. Elles ont révélé la face cachée d’un homme qui est loin d’être un novice en politique mais dont le « défaut » est cette humilité l’empêchant de faire d’une victoire collective un mérite personnel.
Contrairement aux craintes et supputations de certains, le président Diomaye Faye semble en phase avec Sonko quant à la détermination du vrai porteur du projet qui a permis au Pastef de détrôner Benno Bokk Yaakaar sans avoir pourtant, au départ, le choix des armes. Mais cela ne l’empêche nullement, dès l’investiture, de s’affirmer – et d’affirmer – la part de responsabilité qui lui revient, en tant que président de la République bien élu avec près de 55%, dans la mise en œuvre du programme multi-dimensions dont les grands axes ont été déclinés dans le discours à la Nation.
La présence d’Ousmane Sonko aux côtés de son ami président, en tant que Premier ministre, renforce l’idée qu’il y aura bien une sorte de « division du travail » dont le seul objectif est de ne pas décevoir les attentes des Sénégalais. En attendant de poser les actes, dès la formation du gouvernement Sonko, Diomaye Faye a déjà une idée précise des chantiers de la nouvelle émergence : éradiquer la corruption, réduire le coût de la vie, renforcer la démocratie et réformer la justice.
La lutte contre la vie chère est un chantier qui ne peut attendre estime le nouveau président conscient que si les Sénégalais ont opté pour le changement c’est, justement, parce qu’ils veulent une réponse rapide à ce mal qui a toujours été source de tensions et de violences sociales. Elle doit se mesurer à l’aune de l’engagement du gouvernement contre le libéralisme sauvage qui a fait son lit, depuis 2012, mais aussi au retour, dans certains de ses aspects sociaux, de l’Etat-providence.
Elle sera également cette capacité pour Diomaye Faye et Ousmane Sonko de passer du concept de changement véhiculé comme projet de société, à travers le Pastef, à la mise en œuvre de programmes qui ont séduit les Sénégalais à tel point qu’ils n’ont pas hésité à confier leur sort à un homme réputé sans expérience mais auréolé de son statut d’opposant endurci sorti de prison, comme Mandela en 1990, pour toucher au Graal.
Editorial de Sneiba Mohamed dans AFRIMAG