Développement : l’argent de la diaspora

mar, 10/09/2019 - 11:02

 

La mobilité n’a pas que des défauts. Comme par exemple ces histoires de naufrages de clandestins devenus quasi quotidiens. Un rapport publié le 02 juillet 20019 sur « Blog de données » de la Banque mondiale souligne que les envois de fonds des travailleurs migrants sont devenus, pour la première fois, la principale source de financement extérieur des pays à revenu faible et intermédiaire (excepté en Chine) devançant ainsi les IDE (investissements directs étrangers) et l’APD (aide publique au développement).

 

La nouvelle devrait apporter du baume au cœur et inciter les pays « fermés » à accepter que la mobilité est un élément essentiel pour le développement des économies mondiales mais aussi un bon signe d’une humanité mise à mal par les rigidités aux frontières.

 Les fonds que les travailleurs envoient à leur famille depuis l’étranger sont devenus une pierre angulaire de nombreuses économies dans le monde. Ils devraient aider au développement local, s’ils ne sont pas vus plutôt comme une incitation au départ par des millions de jeunes africains qui pourraient voir en eux un appel au départ. Certes, le succès appelle le succès mais ça pourrait n’être aussi que de dangereuses aventures quand la mobilité n’est pas réglementée et que ces jeunes sont obligés de suivre les voies contournées de l’immigration.

D’après les données les plus récentes, les transferts de la diaspora sont voués à augmenter. Ils ont atteint le chiffre record de 529 milliards de dollars (ce qui correspond aux montants déclarés uniquement) en 2018, et devraient encore progresser jusqu’à 550 milliards de dollars en 2019.

Les flux de ces transferts sont peu ou prou équivalents aux montants de l’investissement direct étranger (IDE). Abstraction faite de la Chine, ils constituent la principale source de recettes en devises dans les pays à revenu faible et intermédiaire, d’après la dernière note d’information sur les migrations et le développement publiée par le Groupe de la Banque mondiale et le KNOMAD (Global Knowledge Partnership on Migration and Development). En d’autres termes, si on exclut la Chine de l’analyse, les envois de fonds des migrants dépassent l’IDE comme principale source de financement extérieur.

Le rapport souligne qu’au Tonga, au Kirghizistan, au Tadjikistan, à Haïti et au Népal, « ces transferts d’argent représentent, voire dépassent actuellement 25 % du PIB. »

Comme le souligne Dilip Ratha, économiste principal au pôle Macroéconomie et gestion des finances publiques de la Banque mondiale, « les envois de fonds des migrants sont en passe de devenir incontournables en matière de financement du développement ».

D’après la note, ces flux sont aujourd’hui au moins trois fois plus importants que l’aide publique au développement (APD), alors que l’IDE connaît une tendance à la baisse ces dernières années. « Dans cinq ans, les transferts d’argent dépasseront les montants réunis de l’ADP et l’IDE », prévoit le responsable du KNOMAD. « Les facteurs sous-jacents qui stimulent ces envois de fonds continueront de peser toujours plus. Nous pourrions atteindre le millier de milliards de dollars dans un avenir proche. »

 

Les facteurs qui favorisent les envois de fonds

 

Les facteurs qui sous-tendent la migration de travailleurs et, par conséquent, leurs transferts d’argent s’inscrivent dans de grandes tendances mondiales déjà manifestes. Les experts en recensent quatre :

-              Les écarts de revenu : le revenu moyen par habitant dans un pays à revenu élevé est de 43 000 dollars, contre 795 dollars dans un pays à faible revenu, soit un ratio de 54 pour 1.

-              Les déséquilibres démographiques : entre 2018 et 2030, 552 millions de personnes seront en âge de travailler dans les pays à revenu faible et intermédiaire ; dans les pays à revenu élevé, cette catégorie diminuera de 40 millions de personnes.

-              Le changement climatique : on estime que 143 millions d’habitants ont déjà été déplacés dans leur propre pays en raison des dérèglements du climat.

-              La fragilité, les conflits et les violences : un nombre record de 70,8 millions d’habitants ont été contraints de fuir leur foyer en 2018 (dont 25,9 millions de personnes réfugiées dans d’autres pays).

Cependant, si les envois de fonds sont une planche de salut pour les pays, les tarifs sont trop chers. le coût généralement élevé des opérations s’élève en moyenne à 7 % pour un transfert de 200 dollars. Les circuits bancaires s’avèrent les plus onéreux (10,9 %). En Afrique subsaharienne, le tarif moyen est de 9,3 %, mais il atteint 18,7 % sur les cinq couloirs de transfert les plus coûteux, soit un montant trois fois plus élevé que la moyenne mondiale et six fois plus élevé que la cible des ODD.

Cette « contrainte » compte cependant pour peu dans leur apport dans la réduction de la pauvreté : parce qu’ils vont directement aux familles, il y a peu de gaspillage, explique Dilip Ratha. L’Organisation des Nations Unies a reconnu l’importance des envois de fonds pour le développement et la réalisation des Objectifs de développement durable (ODD).

Les ODD ambitionnent de réduire le coût des envois de fonds à 3 % de la valeur d'un transfert. Les défenseurs des monnaies électroniques ou virtuelles avancent qu’elles pourraient élargir l’accès au crédit et éviter de nombreux frais. Selon de nouvelles études, les transferts de fonds numériques internationaux dépasseront 300 milliards de dollars dans le monde à l’horizon 2021, soit environ 44 % du total des envois d’argent déclarés.

Pour maximiser l’impact des envois de fonds, on peut également encourager les travailleurs migrants à investir dans leur pays d’origine de manière plus formelle, par le biais d’emprunts obligataires dédiés. Selon Dilip Rata, les « obligations-diaspora » sont un instrument qui peut accroître l’efficacité des envois de fonds et une solution « idéale pour financer le développement ».

« Outre les envois de fonds, le montant cumulé de l’épargne des travailleurs migrants s’élève environ à 500 milliards de dollars par an. Si un dixième de leurs économies pouvait être mobilisé, cela pourrait accroître les financements pour le développement de 50 milliards de dollars supplémentaires », ajoute-t-il.

Dilip Ratha prépare actuellement l’émission d’une obligation-diaspora dans l’État indien du Kerala, dans le cadre d’un projet du Groupe de la Banque mondiale. Si cette opération s’avère concluante, elle pourrait alors être élargie à tous les pays dont les diasporas constituent une « force » économique non négligeable.

 

Sneiba Mohamed