Ces deux figures du monde mauritanien des affaires, actionnaires de l'opérateur Mattel, se livrent un combat acharné. Ce qui inquiète leur partenaire Tunisie Telecom, et même le Palais.
Il y a quelques mois encore, la scène aurait paru surréaliste à Nouakchott. D'abord, parce que les puissants préfèrent régler discrètement leurs comptes, mais aussi parce que Mohamed Ould Bouamatou (MOB) et Béchir El Hassen sont intimement liés. Et ce, de longue date.
Le 1er mars, c'est pourtant devant les journalistes que le premier a demandé à ses avocats d'exposer publiquement les griefs qu'il nourrit à l'égard du second. D'après ses conseils, trois sociétés contrôlées par Béchir El Hassen et sa famille auraient fait défaut sur des remboursements dus à la Générale de banque de Mauritanie (GBM, propriété de Bouamatou), pour un montant total de 200 millions d'ouguiyas (5,5 millions de dollars). Une dette que les mis en cause contestent.
En octobre 2022, le patron de Bouamatou SA (BSA) avait déjà déposé plainte contre Béchir El Hassen pour des opérations financières liées à Mattel, dont ils sont actionnaires à hauteur de 24,5 % chacun. Surtout, il avait obtenu que son partenaire soit arrêté, le 13 octobre, alors qu'aucune enquête n'avait été encore menée. Après avoir passé près de vingt-quatre heures dans les locaux de la Sûreté nationale, El Hassen avait recouvré la liberté, lui aussi grâce à ses relations. Issu d'une grande famille impliquée en politique de longue date, Béchir El Hassen est une figure du monde des affaires. Actif dans les secteurs de l'assurance, de la pêche, des télécoms, du BTP, il représente aussi des marques internationales.
Derrière ce conflit certains devinent les ambitions du patron de BSA, qui, après avoir souhaité sortir du capital de l'opérateur Mattel, veut maintenant en racheter la majorité des parts. Mise en vente depuis plus de dix-huit mois, la société, dont Tunisie Telecom détient 51 % du capital, est également convoitée par Sonatel, la filiale sénégalaise d'Orange. En difficulté pendant plusieurs années, Mattel a retrouvé une bonne santé financière. En 2021, sa valeur a été estimée à 100 millions de dollars. Bouamatou y voit l'occasion de regagner une partie du pouvoir économique et de l'influence qu'il avait perdus au cours de ses dix années d'exil, lorsque ses relations avec Mohamed Ould Abdelaziz, alors chef de l'État, s'étaient dégradées.
Réfugié en 2010 à Marrakech, celui que l'on présente à l'époque comme l'homme le plus riche de Mauritanie finit par partir pour Bruxelles à la demande du Maroc. Durant cette période, il vend certains de ses intérêts en Mauritanie, notamment dans le secteur du ciment, tout en dénonçant l'acharnement du pouvoir contre lui. En représailles, il consacre une partie de sa fortune à alimenter une guérilla médiatique contre Mohamed Ould Abdelaziz.
À cette époque, ses liens avec Béchir El Hassen (dont le frère était marié à sa fille aînée) sont déjà distendus. Véritable chef de clan, Bouamatou n'aurait pas digéré que son partenaire chez Mattel soit parvenu à rester à Nouakchott et à échapper à la colère du président. Tunisie Telecom, l'actionnaire majoritaire de l'opérateur, se félicite, lui, d'avoir conservé un canal de discussion avec le pouvoir. Quand, en 2015, l'État réclame 60 millions de dollars pour renouveler la licence 2G, El Hassen obtient que la facture soit divisée par quatre et évite ainsi une cessation d'activité.
Si lui et Bouamatou sont aujourd'hui coactionnaires de cet opérateur, ils le doivent au père de Béchir El Hassen, Moulaye, qui a été l'un des principaux mentors de MOB dans le monde des affaires. Dans les années 1990, il l'a fait entre autres entrer au conseil d'administration de la Banque mauritanienne pour le commerce international (BMCI).
Profitant du lobbying du chef de l'État sénégalais Macky Sall en faveur de Moustapha Ould Limam Chafi, opposant mauritanien, ex-éminence grise du Burkinabè Blaise Compaoré et actuel conseiller du Nigérien Mohamed Bazoum, Bouamatou finit par rentrer à Nouakchott en 2020 avec l'accord du président Ghazouani. En contrepartie, le Palais attend de lui un minimum de discrétion. Mais MOB n'entend pas jouer les seconds rôles. Il réclame que les comptes des entreprises publiques soient de nouveau domiciliés au sein de sa banque, et demande une compensation financière pour son exil orcé. En 2021, il tente aussi de faire élire sa fille à la tête de la Fédération des institutions financières.
Le Palais s'est gardé jusque-là de toute intervention, mais l'affrontement des actionnaires de Mattel ne le laisse pas indifférent au moment où le pays veut s'ouvrir à de nouveaux investisseurs. À Tunisie Telecom aussi, la situation provoque un certain embarras, les deux parties n'hésitant pas à faire pression pour imposer chacune leur solution.
Bouamatou milite pour racheter les parts de Tunisie Telecom ; Béchir El Hassen, lui, exige de pouvoir sortir du capital et promet qu'il sollicitera un arbitrage s'il n'est pas entendu.
L'hypothèse d'une issue négociée reste incertaine. Au-delà de la plainte qu'il a déposée contre El Hassen, Bouamatou a remis en cause la répartition de leurs avantages respectifs. Ainsi, la GBM accueillait les comptes de l'opérateur, et une autre entreprise de MOB assurait ses personnels, pendant que Béchir El Hassen couvrait les risques liés aux équipements. Ce n'est plus le cas depuis la fin de 2022. Avec l'accord de Tunisie Telecom, les sociétés de Bouamatou ont en effet récupéré l'ensemble des contrats d'assurance, mettant un peu plus El Hassen sur la touche.
Julien Clemençot
Jeune Afrique