A l’instar du reste du monde, les artistes mauritaniens ont célébré comme chaque année, la fête du 21 juin, fête de la musique. Au cœur de l’Ilot K à Nouakchott, plus précisément à « Sunu Keur » (El Vejr), le collectif d’artistes CODEX dirigé par Mister X alias Cheikh Diagne, rappeur, slameur et animateur musical, a organisé une journée de débats et d’échanges entre acteurs culturels.
A l’occasion de la fête de la musique, en cette journée du 21 juin 2023, le collectif des artistes unis dans l’art que représente CODEX a célébré sa 3ème édition de sa « Faite de la Muzik » en présence d’un parterre de noms connus dans le milieu culturel, certains depuis un quart de siècle ou plus, et d’autres, encore très jeunes et qui font leurs premiers pas dans le monde culturel et artistique mauritanien. Ils sont musiciens, slameurs, rappeurs, producteurs, réalisateurs, managers, techniciens de son ou d’image, infographes ou vidéocastes, s’ils ne sont dans les nouvelles technologies, comme la musique assistée par ordinateur (MAO), designer...
Les femmes et les métiers de l’art
Une journée où l’intellect a été plus sollicité que le sensoriel dans la mesure où elle a été bercée par une série de débats et d’échanges.
Le premier café-débat, animé par Malika Diagana, artiste-photographe mauritanienne qui dirige la maison D’Art, a porté sur le thème : « la musique est-elle un frein à la réussite sociale et matrimoniale des femmes artistes musiciennes en Mauritanie ? »
Un public entièrement féminin, avec quelques noms biens connus, l’artiste-chanteuse Dioba Guèye, la journaliste Awa Seydou, des artistes comme Fatimata Diakité, Colette, Ebène, Zeyna, Binta Mifa, Médina Ndiaye, Madame Camara, Djifa Touré, Thiolito, Sira Slameuse, Ema FG 92, Fama Mbaye, Nfertiti Diop, Coumba Saala, Oumy Sy la virtuose de la guitare et Hawa Ba.
Pendant près d’une heure, les dames et les demoiselles ont raconté des difficultés de parcours dus parfois à des parents réfractaires ou des maris conservateurs. S’il y a eu des résistantes, il y a eu aussi celles qui pour sauver leur foyer ont observé des pauses dans leur carrière. Mais la passion de la musique, de l’art et de la culture a souvent brisé des tabous, cassé des interdits et rompu des chaînes matrimoniales.
En coulisse, certaines artistes se sont confiées.
Dioba alias Marième Guèye, artiste-chanteuse, militante de la cause des enfants
« Je suis musicienne, guitariste, artiste-peintre, depuis ma tendre enfance. Je suis célibataire, divorcée, issue d’une famille de griots, bien que ma maman se soit opposée à mes débuts car elle ne voulait pas que je devienne musicienne. Personnellement, je n’ai jamais eu de contrainte dans ma carrière, mon ex-mari était artiste, donc il ne s’est jamais opposé à ce que j’exerce ma passion. Mais je pense que normalement, rien ne doit empêcher la femme musicienne de s’épanouir dans son métier. J’ai actuellement un petit groupe et je prépare un deuxième album. Mais souvent je fais appel à d’autres musiciens pour m’accompagner ».
Oumou Sarr Mifarasta, chanteuse reggae, choriste et chanteuse traditionnelle
« Je suis Oumou Sarr dit Mifarasta, femmes divorcée. Je fais du reggae et je fais de la musique depuis mon enfance. Dans ma famille, il y avait déjà des musiciens, dont mon oncle Feu Baby Sarr. Il y avait surtout mon grand frère et ma grand-sœur qui faisaient déjà du reggae. Mais le problème, c’est que les femmes qui font du reggae sont mal vues. Nous sommes négligées et marginalisées. Pendant mes neuf mois de mariage, mon mari ne m’avait pas autorisé à faire de la musique mais tolérait que je fasse du sport. J’avais donc observé une pause pendant ma vie matrimoniale pour respecter la volonté de mon mari. Pour dire que c’est vrai, le mariage peut constituer un frein à la carrière des femmes musiciennes surtout si leur partenaire s’y oppose. »
Le reste de la journée s’est poursuivie par d’autres débats, notamment celui ayant réuni les techniciens et techniciennes de spectacles, tous ces hommes et toutes ces femmes de l’ombre et tous ceux qui travaillent en coulisses autour de la musique.
L’irrésistible besoin en formation
Rencontre d’échanges entre les anciens techniciens, à l’image de Baba Djiré, nostalgiques d’un passé où ils se sont forgés dans un milieu rudimentaire et presque manuel, contrairement à cette jeune génération et les facilités offertes par les nouvelles technologiques de l’information et de la communication, dans un monde où les connaissances universelles sont à la portée d’un clic.
Mais reste le problème de la relève face à des jeunes qui, selon certains intervenants, préfèrent la facilité au dur apprentissage de métiers qu’ils s’entêtent à exercer sans en chercher l’expertise et la maitrise, pourtant à portée de leur smartphone. L’exemple des managers, souvent choisis parmi l’entourage des artistes, sans compétence et sans talent, a été cité.
Il fut aussi question de l’importance du réseautage dans un contexte où les spécialisations se sont fragmentées. Beaucoup ont regretté la multiplicité des festivals, la poussée inquiétante des egos et la recherche effrénée du gain, compromettant ainsi tout esprit d’union, de regroupement et de capitalisation des ressources et des compétences.
La capitalisation plutôt que le réseautage
C’est l’idée lancée par l’artiste Mamadou Aly Diallo, qui souligne que le réseautage c’est important, mais que la capitalisation c’est encore mieux. Pour lui, la demande est encore très forte en matière de production artistique et musicale, rappelant que 88% de la population mauritanienne est jeune, et que cette jeunesse est hyper consommatrice de cette production. La musique est, selon lui, vecteur de cohésion et d’unité. La musique rassemble. Le hic, dira-t-il en substance, c’est que la plupart des artistes culturels manquent de formation et n’acceptent pas de reconnaître leur ignorance ni leurs insuffisances pour accepter d’être formés.
Mister X devait observer que la tente sous laquelle se sont déroulés tous ces débats d’échanges était la tente de la résidence et de la résistance, celle de la lutte pour la reconnaissance des droits culturels et des droits visuels.
Qui ne réclame rien, n’a rien
Pour Malika Diagana, ce genre de rencontres est le lieu de débats et d’évaluation des ressources, mais aussi le lieu d’apprentissage et de formation. Elle déclare qu’un projet est en cours sur le plan national pour la restructuration du secteur culturel et artistique.
Une discussion s’est alors engagée sur la nécessité pour les artistes de réclamer leurs droits, dont l’adoption d’une loi garantissant leur statut d’artiste, non sans évoquer leur mise à l’écart par rapport au fonds du Covid-19 où ils ont été complètement exclus. « Les artistes sont ceux qui ont le plus souffert de la crise sanitaire de 2020-2022 » clama l’assistance.
Ils apprendront cependant que faute d’accès à l’information, et face à leur inertie, ils n’ont bénéficié d’aucune compensation de la part de l’Etat, au moment où l’association des griots par exemple a reçu 60 millions d’ouguiyas anciennes parce qu’ils ont multiplié les protestations.
La Mauritanie ne veut pas d’artistes
Les artistes ont regretté le peu d’intérêt que les gouvernements successifs en Mauritanie ont toujours accordé aux artistes, exprimant leurs regrets de voir des centaines de jeunes talents laissés pour compte, poussant beaucoup d’entre eux à l’exil ou à des conversions douloureuses.
« Les plus grandes victimes du mépris d’Etat parmi les artistes, ce sont les rappeurs et le monde du Hip-Hop qui occupent pourtant les trois quarts de la jeunesse mauritanienne, dont une écrasante majorité de négro-mauritaniens », ont observé certains intervenants.
« Cela ne va nullement dire que les autres artistes et griots de toutes les communautés ne souffrent pas de la mauvaise volonté du département chargé de la Culture. Tous sont mécontents de la situation lamentable du monde artistique et culturel, malgré les nombreuses conventions et traités signés par la Mauritanie, notamment la Convention de l’Unesco portant sur la diversité et l’expression culturelle » font-ils cependant remarquer.
L’accès aux fonds culturels
Sur ce plan, Abderrahmane Lahy, réalisateur, producteur et cinéaste, fondateur du festival Nouakshort Film, devait souligner qu’à travers cette convention, l’Etat mauritanien reçoit une subvention égale à 80% des financements, les 20% restant étant destinés à la société civile.
Il ajoutera que la rétorsion de l’information a voulu que la plupart des artistes n’ont pas été informés des modalités d’accès aux fonds et n’ont pas rempli les formulaires d’accès à ces ressources. Seul l’Etat avait bouclé son rapport, plus deux ou trois associations qui ont pu envoyer des formulaires, a-t-il noté en substance.
Ensuite, Abderrahmane a informé l’assistance de l’existence de fonds destinés aux acteurs culturels et artistiques, rappelant la position privilégiée de la Mauritanie qui a accès aussi bien aux fonds arabes qu’aux fonds africains, tels que le fonds arabe AFAK du Liban ou encore le fonds de la diversité culturelle de l’Unesco.
Aux artistes d’aller à la chasse à l’information
Abderrahmane que l’on surnomme aussi Abderrahmane Toto, a mentionné également l’existence d’un bureau de droits d’auteurs et d’un directeur payé mensuellement, notant que ce bureau a déjà organisé plusieurs réunions avec la Francophonie et l’Unesco. Ainsi, les artistes peuvent bien aller le voir pour défendre leurs droits en cas d’utilisation abusive de leurs œuvres, suggère-t-il.
Enfin, de par son expérience, Abderrahmane a conseillé les artistes de bien soigner leur langage car, dit-il, « les politiques et les sponsors nous écoutent toujours avec l’oreille de l’intérêt, alors que nous leur parlons de l’amour de notre art ». En d’autres termes, lorsque l’artiste porte avec passion et amour son projet auprès d’un homme politique ou d’un sponsor pour chercher des financements, ce dernier évalue ce que ce projet peut lui rapporter d’abord, a-t-il détaillé.
La journée commémorative de la fête de la musique s’est poursuivie par des jeux, des projections, de la chorégraphie et du live.
Cheikh Aidara